[Un tract sorti le 23 mars dernier Ă Marseille, une semaine aprĂšs le premier confinement du printemps. A (re)lire en cette veille du second prĂ©vu pour durer jusquâau 1er dĂ©cembre minimum.]
Ces derniers mois, un virus contre lequel nâexiste pas de vaccin se propage, atteignant des organismes humains affaiblis notamment par les pollutions industrielles, la misĂšre, les conditions de survie Ă©prouvantes. Il contamine des centaines de milliers de personnes et tue des milliers dâautres. Ce virus et le traitement mĂ©diatique qui en est fait viennent activer une terreur ancienne, celle des diffĂ©rentes « pandĂ©mies » de peste noire et leurs dizaines de millions de mort-es au fil des siĂšcles, terreur confirmĂ©e et amplifiĂ©e par les mesures spectaculaires et coercitives se rĂ©pandant comme traĂźnĂ©e de poudre. La mort et la peur quâelle inspire, tenues Ă distance la plupart du temps dans « nos » sociĂ©tĂ©s occidentales (ou « normalisĂ©-e » Ă renfort de protocoles mĂ©dicaux), semble prendre sa revanche en envahissant lâespace social et incitant chacun.e Ă regarder lâautre comme un facteur de risque potentiel.
Celles et ceux qui se prĂ©sentent comme indispensables se targuent de nous imposer surveillance et autoritĂ© « pour notre bien » et font feu de tous bois, de la culpabilisation au discours nationaliste de merde ; de la surveillance technologique aux amendes, du tabassage Ă la menace de la taule. Les rues quasi-dĂ©sertes sont quadrillĂ©es dâuniformes bleus et kaki, qui se rĂ©jouissent dâavoir les mains libres pour tomber sur des personnes isolĂ©es, alors que depuis plusieurs mois, dans lâhexagone comme dans diffĂ©rents coins du monde, la rage sâexprime intensĂ©ment contre lâautoritĂ©. La sale rhĂ©torique de la « mobilisation gĂ©nĂ©rale » et de « lâĂ©tat dâurgence » (pour cette fois sanitaire et -comme toujours- amenĂ© Ă durer) est abondamment martelĂ©e, justifiant un nouveau niveau dâembrigadement des corps et des esprits, incitant chacun.e Ă devenir son propre maton (et si possible celui de ses proches ou moins proches, conjoints, ami.es, collĂšgues, voisin.es etc). Les mĂ©canismes de contrĂŽle et de dĂ©possession, lâaliĂ©nation et la mise au pas forcĂ©e qui sont particuliĂšrement palpables aujourdâhui nâont malheureusement rien de nouveau.
La prĂ©tention de lâĂtat Ă faire le tri entre les vies jugĂ©es dĂ©sirables (ou non) par temps de « crises » nâest que la triste continuitĂ© de ce qui passe trop souvent inaperçu par temps « calme » : mort-es aux frontiĂšres, meurtres policiers dans les quartiers, les taules, les Hp⊠Celles qui prĂ©tendent dĂ©cider de ce quâil advient de chaque corps -de la naissance au tombeau- parlent de « personnes vulnĂ©rables Ă protĂ©ger » tout en annulant une multitude dâopĂ©rations liĂ©es Ă dâautres pathologies mortelles (cancerâŠ). Sous couvert de « protection », ces raclures interdisent les visites Ă lâhĂŽpital et en Ephad, forçant plein de personnes Ă mourir seul.es. Ceux qui maintiennent des dizaines de milliers dâindividus enfermĂ©.es dans des conditions encore plus trash que dâhabitude (suppression des parloirs, du linge, des activitĂ©s etcâŠ) et rĂ©priment les mutineries (refus de remonter de promenade, dĂ©gradations, dĂ©parts de feux, affrontements avec la matonnerie, tentatives dâĂ©vasion etc.) qui Ă©clatent dans de nombreuses taules plutĂŽt que dâouvrir les portes nâont rien Ă nous apprendre en terme de solidaritĂ©.
LâĂ©tau se resserre de jour en jour (attestation de dĂ©placement dĂ©rogatoire, couvre feu dĂ©jĂ en vigueur dans plusieurs villes, respect du confinement surveillĂ© par drones, hĂ©licoptĂšres etc.). Voir tellement de personnes accepter la rĂ©duction soudaine de notre horizon est terrifiant. Cette situation asphyxiante ne peut que gĂ©nĂ©rer des « pĂ©tages de boulons ». Nous sommes inquiet.es et en colĂšre de voir tant de proches ou dâinconnu.es reprendre Ă leur compte les discours moralisateurs, mĂ©prisants et condescendants du pouvoir, quand il-es ne dĂ©noncent pas celles et ceux qui ne marchent pas assez droit. Les choix qui sont en tension aujourdâhui (repli sur soi, dĂ©lation, entraide, sĂ©ditionâŠ) laisseront sans doute des traces et blessures irrĂ©mĂ©diables. Ne pas perdre le contact avec le « dehors », se faire une idĂ©e de la situation par soi-mĂȘme et rĂ©flĂ©chir Ă plusieurs cette nouvelle donne nâa rien dâirresponsable. Ăa pourrait mĂȘme se rĂ©vĂ©ler vital.
On est rageuses en pensant Ă toutes celles qui vivent des violences physiques, psychologiques et sexuelles de la part dâun conjoint qui est aussi leur cohabitant, et dont les espaces de respiration se rĂ©duisent de maniĂšre dramatique ; et Ă tous-tes les minot-es qui se retrouvent bloquĂ©es avec des daron.nes nocif-ves⊠Quelles portes de sorties ?
La solidaritĂ© qui nous importe ne se cantonne pas Ă cette cellule familiale si souvent toxique ou aux autres « proches », choisies ou non. On pense Ă toutes les personnes mises en situation de prĂ©caritĂ© par ce monde capitaliste (patriarcal, racisteâŠ) de merde, aux distributions de bouffe annulĂ©es et aux passant-es plus rares et radin.es que dâhabitude ; au tabassage par les chtars marseillais des vendeurs Ă la sauvette de Noailles et dâune personne SDF vers la Plaine, ainsi quâau gazage de personnes qui zonaient vers la gare⊠et qui menacent ceux qui ne marchent pas droit (le couvre feu envisagĂ© relĂšve du pur maintien de lâordre, pas de la mesure sanitaire). Ă celles qui ne disposant pas des « bons » papiers (parce que clandestins, recherchĂ©esâŠ) pourraient subir des degrĂ©s de confinement supplĂ©mentaires. Laisser chez soi les tĂ©lĂ©phones qui pourraient permettre Ă lâĂtat de sâassurer du respect du confinement (câest dĂ©jĂ le cas en Italie) et plus largement tout ce qui permet de vĂ©rifier identitĂ© et adresse (quitte Ă prendre une attestation bidonnĂ©e) pourrait par exemple compliquer la tĂąche des keufs, quâil sâagisse de faire le tri entre les « bons citoyen.es » et les autres, de coller des amendes ou dâinculper des rĂ©calcitrant.es.
On se passera enfin des « appels Ă la responsabilitĂ© » dâexpert.es en blouses blanches qui demandent aux simples mortel.les de sâen remettre complĂštement Ă eux, se prĂ©sentant comme seul.es et ultimes recours face Ă la maladie, mĂ©prisant toute initiative qui dĂ©borderait leur cadre et leurs enjeux (quâil sâagisse de renforcer ses dĂ©fenses immunitaires ou de chercher des moyens de se soigner). Quand bien mĂȘme leur compĂ©tence ne saute pas aux yeux, ces gestionnaires de masse assĂšnent injonction sur injonction (y compris contradictoires entre elles), participant ainsi Ă la dĂ©possession, la confusion et lâinfantilisation gĂ©nĂ©rale. Ce nâest manifestement pas de responsabilitĂ© mais dâobĂ©issance quâil sâagit. Ă quel moment se donne-tâon la possibilitĂ© de choisir par et pour nous mĂȘme de quoi nos vies et nos solidaritĂ©s sont faites?
On espĂšre bien quâil nây aura pas de retour Ă la normale. Lâavant Covid 19 ne faisait pas rĂȘver, et ce que prĂ©pare le pouvoir pour lâ« aprĂšs » est glaçant : mobilisation pour le rĂ©tablissement de lâĂ©conomie du pays Ă coups de restrictions budgĂ©taires, « dâeffort national » et de mise au travail forcĂ©.
à moins que les questions autour de la mort nous amÚnent à réfléchir sur le sens que nous voulons donner à la vie et à nos activités ?
Ă moins que ce temps suspendu ne soit employĂ© Ă rencontrer des complices, Ă approfondir des affinitĂ©s, Ă envisager de nouvelles possibilitĂ©s offensives pour dĂ©truire ce qui nous dĂ©truitâŠ
Que vivent lâimagination, lâentraide et la rĂ©volte ! Que crĂšve la prison sociale.
Liberté pour tous.tes!
Mars 2020
Source: Sansnom.noblogs.org