Un seul hĂȘtre vous manque et tout est dĂ©peuplĂ©… (ndlr)
Les enjeux peuvent sembler parfois dĂ©risoires, en rĂ©alitĂ© il nâen est rien. Lorsquâil est question dâĂ©cologie et de protection de lâenvironnement, une bonne frange de suppĂŽts souvent inconscients du capitalisme a inventĂ© depuis un peu plus dâune dĂ©cennie un dispositif langagier qui dĂ©politise la problĂ©matique et dĂ©place la conflictualitĂ© dans une posture indĂ©fendable. TU dĂ©fends les arbres, les fleurs, les petits oiseaux, les papillons, les tritons crĂȘtĂ©s ? Pffft⊠Bobo, va ! Tu dĂ©nonces lâusage des pesticides, la bĂ©tonisation de zones naturelles, lâurbanisation et le dĂ©veloppement commercial au dĂ©triment des espaces verts ? Pffft⊠Bien un truc dâĂ©colo-bobo-gaucho, ça ! âŠ
Gaucho ? Ouf, lâhonneur est sauf ! Y a donc bien du politique lĂ -dedans. Certes, personne ne se sent Ă lâaise avec lâidĂ©e dâassumer le qualificatif de bobo : en somme, câest une catĂ©gorie sociale qui sâapparente Ă la bourgeoisie privilĂ©giĂ©e, dotĂ©e dâune prise de conscience environnementale, et Ă qui les privilĂšges Ă©conomiques et symboliques permettent dâadopter des comportements cohĂ©rents vis-Ă -vis de lâenvironnement. En revanche, la prise de conscience sâarrĂȘte assez systĂ©matiquement sur le seuil de la question des privilĂšges de classe, justement, mais aussi sur la remise en cause du capitalisme comme responsable de lâĂ©puisement des ressources, de la mise en pĂ©ril de la biodiversitĂ© et de la destruction des Ă©cosystĂšmes.
Gaucho, par contre, ça nous informe sur lâendroit dâoĂč vient lâattaque. Gaucho, câest pĂ©joratif, câest celle ou celui qui suit comme un mouton une espĂšce de sens commun, sans rĂ©flĂ©chir, des valeurs fĂ©ministes, Ă©galitaires, tenues pour Ă©loignĂ©es dâune certaine rĂ©alitĂ© sociale, quelquâun qui peut se permettre de dĂ©fendre ces valeurs parce quâil est dĂ©tachĂ© de ladite rĂ©alitĂ© (perte de repĂšre masculiniste, gender thĂ©orie, islamisation de lâEurope, etc.). Islamo-gauchiste, le thĂšme est Ă la mode outre-QuiĂ©vrain, Ă ce quâon dit. Utopiste. Ou bisounours. La boucle est bouclĂ©e. Un bisounours ne fait pas de politique, donc la ramenez pas avec vos belles idĂ©es, vos arbres, vos pâtites fleurs et vos pâtits oiseaux⊠!
Sauf que non. Ce discours bien typĂ©, câest celui des fachos, notamment, câest celui des idiots utiles de la machine Ă produire en dĂ©truisant. Celui des idiots utiles du capitalisme. Comme dans lâenfer de Dante, les cercles sont concentriques. Câest le cercle qui englobe tous les autres qui reprĂ©sente la vĂ©ritable cause du problĂšme et ce cercle, câest celui du capitalisme, de la poursuite dâune concentration des richesses aux mains dâun cercle de plus en plus Ă©troit, aux poches de plus en plus pleines. Câest au nom de cette dynamique mortifĂšre que, depuis des dĂ©cennies, lâexploitation des ressources, lâĂ©puisement des Ă©cosystĂšmes, le sacrifice de la biodiversitĂ© sont instrumentalisĂ©s en vue de favoriser le profit. Juste en-dessous de ce cercle, des politiques malavisĂ©s sâobstinent Ă se convaincre et Ă convaincre le pĂŽvâ monde que la solution Ă tous nos maux, paupĂ©risation, chĂŽmage, dĂ©ficit budgĂ©taire, financement des pensions, etc. rĂ©side dans la croissance. Le dĂ©ploiement de lâactivitĂ© Ă©conomique. Voire, ĂŽ imposture ! la croissance Ă vernis Ă©cologique, le dĂ©veloppement durable, le capitalisme vert.
Il devient urgent de re-politiser le dĂ©bat autour de lâenvironnement, en particulier quand on voit ce quâun parti prĂ©tendu vert accumule comme incohĂ©rences dans des dĂ©cisions oĂč la dĂ©mocratie locale est bafouĂ©e, mĂ©prisĂ©e. Vous avez dit : idiots utiles ? Mais non, voyons, câest juste du rĂ©alisme Ă©conomique, du pragmatisme politique.
Namur, capitale autoproclamĂ©e de la Wallonie, est actuellement le théùtre dâune ultime bataille. Autour dâun arbre. Un hĂȘtre. Un hĂȘtre remarquable. En thĂ©orie, ce statut protĂšge ledit arbre de lâabattage. Pourtant, la dĂ©cision suspendue depuis plusieurs mois est sur le point dâĂȘtre mise en Ćuvre ce lundi 22 fĂ©vrier. Lâarbre doit tomber. Au nom de quoi ? Pour permettre – on croit rĂȘver ! – lâextension dâune aile du casino de Namur⊠Ne nous y trompons, et peut-ĂȘtre ne nous braquons pas sur lâarbre qui masque la forĂȘt. Ce nâest pas lâabattage dâun hĂȘtre, fĂ»t-il remarquable, qui va accĂ©lĂ©rer la dĂ©gradation de lâenvironnement, le rĂ©chauffement climatique. Comme si on ne sâen doutait pas ! ⊠Oui, la terre va continuer Ă tourner sans le hĂȘtre du casino. Mais cette action est symptomatique, encore une fois, dâune sociĂ©tĂ© qui est malade dans le choix de lâordre de ses prioritĂ©s. Qui se perd dans le choix de ses fins et de ses moyens. Et qui souffre aussi dâune imposture complĂšte dans lâapplication de la dĂ©mocratie locale, renforcĂ©e Ă travers la tartufferie dâun Ă©chevinat de la participation citoyenne.
Namur toujours, on se demande combien de temps encore les travaux, prĂ©vus de longue date, en vue de raser le parc LĂ©opold, non loin de la gare, vont pouvoir ĂȘtre retardĂ©s. Les arbres doivent tomber. Cette fois, il sâagit de la construction dâun Ă©norme centre commercial, propice Ă lâaccueil de chaĂźnes de grande distribution de la malbouffe et du textile. Ces enseignes quâil est inutile de citer cumulent sans vergogne les qualificatifs de pollueurs et dâexploiteurs. Le problĂšme est Ă la fois Ă©cologique et social. Non, la terre ne va pas sâarrĂȘter de tourner pour une cinquantaine dâarbres sacrifiĂ©s au nom de lâexpansion Ă©conomique. Pour la suite, nous renvoyons ci-dessus.
Arlon enfin, oĂč la ZAD tient toujours, la ZAD de la ZabliĂšre, situĂ©e sur lâancienne sabliĂšre dĂ©saffectĂ©e de Schoppach, lieu de grand intĂ©rĂȘt Ă©cologique. VouĂ©e Ă ĂȘtre anĂ©antie pour y implanter un zoning commercial. La ZAD tient, malgrĂ© les menaces, malgrĂ© les annonces dâexpulsion. La ZAD tient, pour combien de temps encore ? Jusquâau moment oĂč les impĂ©ratifs Ă©conomiques auront pris le dessus et inspireront aux pouvoirs locaux de se sentir autorisĂ©s Ă utiliser la force et la violence prĂ©tendues lĂ©gales pour faire dĂ©camper les zadistes. Ces douces et doux rĂȘveurs. Ces utopistes. Ces bisounoursâŠ. Encore une fois, non. Lâenjeu politique ne peut pas ĂȘtre escamotĂ© sous lâartifice dâun dispositif langagier. Une ZAD, câest la protection dâun Ă©cosystĂšme, câest une façon de se grouper pour choisir la dĂ©fense de la biodiversitĂ© plutĂŽt que lâuniformisation et la standardisation dâune nature composĂ©e de parterres et de plantes en pot, plutĂŽt que la bĂ©tonisation des sols, plutĂŽt que la recherche du profit au prix du sacrifice de lâenvironnement naturel dont dĂ©pend lâĂ©quilibre de la vie. Câest aussi la poursuite dâun autre ethos, une autre maniĂšre de faire sociĂ©tĂ©, de vivre la communautĂ© des ĂȘtres, Ă travers un mode de vie alternatif, ne dĂ©pendant pas ou peu des circuits productivistes, pollueurs et exploiteurs, anti-Ă©cologiques et anti-sociaux. Peut-ĂȘtre mĂȘme sây joue-t-il la recherche dâune sociĂ©tĂ© sans classe, sans rapport de domination, sans mainmise de lâĂtat, oĂč les groupes dâindividus librement constituĂ©s prennent les dĂ©cisions qui les concernent sans sâen remettre Ă des reprĂ©sentants fantoches, appliquant en rĂ©alitĂ© les recettes du capitalisme et du profit.
Un arbre, un parc, une ZAD⊠Juste pour une portion dâune petite partie du monde, ça pĂšse pas lourd. MultipliĂ©, de par le monde, par dizaines, par centaines, par milliers dâhectares de nature rasĂ©s, liquidĂ©s, anĂ©antis pour activer la machine Ă produire du fric au profit des nantis et des dominants, ça finit par peser lourd. On le sait depuis des dĂ©cennies. On sait depuis des dĂ©cennies que la machine sâest emballĂ©e et que ses consĂ©quences ne sont pas seulement environnementales. Le choix de la ZAD, câest aussi cela, en somme : prendre le parti de la protection des Ă©cosystĂšmes et de la biodiversitĂ©, indĂ©pendamment des privilĂšges de classe, contre le capitalisme, et contre tous ses idiots utiles, dĂ©tracteurs de bobos-gauchos ou attentistes complices.
Lâenjeu nâest pas nĂ©gligeable, loin de lĂ . A travers ces luttes locales, câest le pouvoir et la domination mĂȘme sous toutes leurs formes auxquels il convient de sâopposer, en vue de la rĂ©alisation dâune sociĂ©tĂ© autogĂ©rĂ©e, Ă©galitaire et respectueuse des ĂȘtres autant que de lâenvironnement.
Groupe Ici & Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste
Février 2021
Soutien aux groupes qui se mobilisent : Ramur, Collectif de sauvegarde du parc LĂ©opold (Namur), Appel pour la sauvegarde des arbres Ă Namur, ZabliĂšre â ZAD dâArlon, etc.
Source: Monde-libertaire.fr