« Je vais jouer au foot avec la tĂȘte de tes parents dâabord, et avec la tienne ensuite » : tel est le contenu des lettres que reçoit Cesare Battisti au Centre PĂ©nitentiaire de Rossano, en Calabre. Ce sont curieusement les seules lettres quâil reçoit puisquâune censure stricte sâest abattue sur le reste de son courrier. Pourvu quâon ait un peu suivi ses vicissitudes sur lundimatin, on sait quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© enlevĂ© en Bolivie dans des circonstances exorbitantes du droit international et montrĂ© comme un trophĂ©e de chasse Ă son arrivĂ©e en Italie, Cesare a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© dans la prison sarde dâOristano sous le rĂ©gime de surveillance spĂ©ciale rĂ©servĂ© aux terroristes.
Cette classification comme « terroriste » Ă©tait Ă©videmment absurde dans son principe : voilĂ 40 ans que Cesare avait, dans ses Ă©crits comme dans sa pratique, rompu avec lâactivitĂ© politique armĂ©e qui lui avait valu ses condamnations. Mais, dans la prison sarde qui nâĂ©tait pas Ă©quipĂ©e pour ce rĂ©gime de dĂ©tention, cette absurditĂ© sâest traduite trĂšs concrĂštement par un isolement total et diverses tracasseries, telle que lâobligation de choisir entre manger et se promener. Câest contre cela quâil avait entamĂ© une grĂšve de la faim en rĂ©clamant dâĂȘtre traitĂ© comme un dĂ©tenu ordinaire. A la suite de quoi il a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© dans la prison calabraise de Rossano.
LĂ , lâabsurditĂ©, loin de reculer, a atteint des sommets. Dans cette section oĂč sont dĂ©tenus 18 condamnĂ©s pour terrorisme islamiste, quâil nâest pas question pour lui de frĂ©quenter, on lui a notifiĂ© une mesure de censure officielle du courrier pour les motifs suivants : « appartenance au groupe subversif armĂ© PAC et une intense activitĂ© Ă©pistolaire de claire connotation subversive ». Or, comme lâa fait remarquer Cesare au Tribunal de surveillance de Catanzaro : le groupe subversif Pac « sâest Ă©teint en la lointaine annĂ©e 1979 et tous ses anciens membres sont aujourdâhui en libertĂ©. » Quant Ă la supposĂ©e activitĂ© Ă©pistolaire, il faisait remarquer que, nâayant jusque-lĂ jamais Ă©tĂ© soumis Ă une mesure de censure lĂ©gale, les autoritĂ©s ne devraient pas ĂȘtre au courant de son contenu. « Mais si au contraire par correspondance » ajoutait-il, « on entend les articles Ă contenu juridique et socio-culturel que [Cesare] a Ă©crits et rendus publics en toute lĂ©galitĂ© par des moyens de communications tout aussi lĂ©gaux », encore faudrait-il que les autoritĂ©s dĂ©montrent leur caractĂšre dĂ©lictuel, ce quâelles se sont bien gardĂ© de faire.
Dans un communiquĂ© parvenu Ă travers sa famille, il raconte que ses protestations, ont eu comme rĂ©sultat une « pluie de rapports disciplinaires au rythme inouĂŻ de deux par jour. Les motivations de ces rapports, dont chacun comporte de dix Ă quinze jours de punition », sont les plus invraisemblables ou fantaisistes. (âŠ) Par exemple, hier, le 15 octobre, aprĂšs avoir demandĂ© des nouvelles sur les photocopies de certaines communications de censure de correspondance, des lettres soit [parce quâelles sont]en français, soit parce quâelles citent le protagoniste de mon roman en cours, Ă la lĂ©gitime demande exprimĂ©e dans le formulaire rĂ©glementaire, la rĂ©ponse dâun responsable spĂ©cialement chargĂ© de traiter avec le soussignĂ©, a Ă©tĂ© une nouvelle mesure disciplinaire ». Et Cesare concluait : « Je voudrais publiquement dĂ©clarer que, bien que subissant toute sorte dâintimidations, quoi quâil arrive, il nâest pas dans mes intentions de commettre des actes inconsidĂ©rĂ©s, ni ne mĂ©dite absolument dâattenter Ă mon intĂ©gritĂ© physique. »
Il faut espĂ©rer que sa fermetĂ© dâĂąme se maintiendra contre le dernier coup en date de lâUbu calabrais : on lui refuse lâusage de son ordinateur au motif que lâadministration nâa pas connaissance quâil ait une activitĂ© professionnelle nĂ©cessitant dâen possĂ©der un. Vous avez bien lu : pour ses geĂŽliers, Cesare nâest pas un Ă©crivain. Il est dĂ©jĂ ahurissant et bien dans lâair du temps que dĂ©sormais une administration pĂ©nitentiaire sâattribue le droit de dĂ©cider qui est Ă©crivain et qui ne lâest pas. Quand il sâagit de quelquâun qui a publiĂ© une vingtaine de romans, des dizaines dâarticles et de nouvelles en France, au BrĂ©sil, au Mexique et en Italie, la cruelle absurditĂ© de la vengeance dâEtat atteint un sommet qui paraĂźt indĂ©passable. Qui paraĂźt mais Ubu peut toujours surprendreâŠ
Nous ne laisserons pas indĂ©finiment Ubu se surpasser. Dans les semaines Ă venir Lundi Matin mettra Ă disposition du matĂ©riel informatif pour contrer la propagande haineuse contre Cesare en mĂȘme temps que
des moyens pour alimenter un fonds de soutien.
En attendant, lisons-le :
Lettre ouverte dâun intellectuel vaincu mais pas rĂ©signĂ©
En plus dâĂȘtre, sous tous ses aspects, trĂšs clairement punitif, mon transfert dans un Guantanamo calabrais Ă©quivaut Ă un isolement ininterrompu, en raison de lâimpossibilitĂ© pour moi dâavoir des contacts avec les membres de Daesh ou supposĂ©s tels. Je veux espĂ©rer que lâadministration pĂ©nitentiaire trouvera un amĂ©nagement digne dâun pays civilisĂ©, sans me contraindre Ă reprendre la grĂšve de la faim. Certes, il est prĂ©fĂ©rable dâen finir en un mois, Ă la grande joie de lâhypocrisie nationale, plutĂŽt que dâagoniser un an dans des conditions honteuses et insoutenables. AprĂšs lâisolement forcĂ© dâOristano, je suis ici soumis Ă un rĂ©gime infiniment plus restrictif. Mon espace vital a Ă©tĂ© rĂ©duit aux termes minimums de la survie. Dans un climat de tension extrĂȘme et dâintimidation constante, surveillĂ© Ă vue et contraint Ă lâoisivetĂ© forcĂ©e dans une cellule dâune taille infĂ©rieure Ă la prĂ©cĂ©dente, dĂ©pourvue de lâĂ©quipement indispensable. On mâa confisquĂ© lâordinateur, mâempĂȘchant ainsi de fait de mâadonner Ă mon activitĂ© dâauteur et de conclure le travail sauvegardĂ© dans la mĂ©moire. A ma demande, il a Ă©tĂ© rĂ©pondu de maniĂšre trĂšs provocante que les autoritĂ©s nâont pas connaissance que jâaie une profession qui implique la disponibilitĂ© dâun ordinateur ou de tout autre matĂ©riel didactique. Comme si ça ne suffisait pas, une censure fĂ©roce mâa Ă©tĂ© imposĂ©e. Non pas pour une hypothĂ©tique « intense activitĂ© Ă©pistolaire subversive (sic) » comme le prĂ©tend une honteuse mesure disciplinaire, mais bien dans le but Ă©vident de mâempĂȘcher dâinteragir avec les instances extĂ©rieures, culturelles et mĂ©diatiques, grĂąces auxquelles, face Ă la vengeance de lâEtat, je serais en train de me gagner des soutiens du cĂŽtĂ© des dĂ©mocrates et des dĂ©fenseurs des droits humains.
Cesare Battisti
[Pour qui souhaite ĂȘtre tenu au courant de la situation de Cesare, un site indispensable : https://www.thechangebook.org/pages/1630/]
Source: Lundi.am