Le rapport des mouvements sociaux au pouvoir politique reste un sujet toujours dâactualitĂ©. Le renouveau de la gauche radicale en France actualise cet enjeu. AprĂšs ce contexte Ă©lectoral, les dĂ©bats qui traversent le mouvement ouvrier sont relancĂ©s. Un courant insiste sur lâindĂ©pendance et sur lâautonomie. Un autre considĂšre le syndicalisme comme la « courroie de transmission » du parti politique. La recherche dâun dĂ©bouchĂ© politique pour les luttes polarise les dĂ©bats entre celles et ceux qui veulent changer la sociĂ©tĂ©.
Un Ă©clairage historique apporte des pistes de rĂ©flexion. En 1906, la Charte dâAmiens affirme lâautonomie du mouvement ouvrier par rapport aux partis politiques. Inversement, lâarrivĂ©e de la gauche au pouvoir en 1981 semble fĂ©odaliser les syndicats. Le regard sur des expĂ©riences dans diffĂ©rents pays apporte Ă©galement des Ă©lĂ©ments de rĂ©flexion. La revue Les Utopiques rassemble les analyses de diffĂ©rents militants syndicaux dans le numĂ©ro « Pouvoirs, politique, mouvement social ».
ActualitĂ© de la Charte dâAmiens
Thierry Renard revient sur la Charte dâAmiens. Ce texte de la CGT de 1906 insiste sur lâindĂ©pendance Ă lâĂ©gard des partis politiques. Mais il porte Ă©galement la perspective dâune autonomie de classe. Les exploitĂ©s doivent sâorganiser pour dĂ©velopper un projet Ă©mancipateur. « LâindĂ©pendance nâa en effet aucun sens, si lâorganisation prĂ©tendument indĂ©pendante nâa pas sa propre vision, ses orientations stratĂ©giques propres », souligne Thierry Renard. Le syndicalisme rĂ©volutionnaire refuse la sĂ©paration entre le politique et lâĂ©conomique.
Au contraire, le lĂ©ninisme et la social-dĂ©mocratie imposent des champs de compĂ©tences sĂ©parĂ©s entre partis et syndicats. Mais les syndicats actuels Ă©laborent peu de perspectives stratĂ©giques pour transformer la sociĂ©tĂ©. Tandis que les partis de gauche ne remettent pas en cause le capitalisme. La Charte dâAmiens apparaĂźt comme un compromis entre diffĂ©rents courants de la CGT. Elle tient Ă se dĂ©marquer de la mouvance de Jules Guesdes qui propose la subordination du syndicat aux objectifs du parti. La Charte dâAmiens relie la stratĂ©gie de la grĂšve gĂ©nĂ©rale et un projet de sociĂ©tĂ© nouvelle avec des revendications immĂ©diates au quotidien.
Force ouvriĂšre et la CGT estiment que le syndicat ne doit pas exprimer un projet de sociĂ©tĂ© pour ne pas diviser ses adhĂ©rents. Les syndicats Solidaires semblent engluĂ©s dans les actions immĂ©diates et ne dĂ©veloppent pas une rĂ©flexion collective sur un projet de sociĂ©tĂ©. MĂȘme si SUD-PTT sâinscrit dans la filiation du socialisme autogestionnaire de la CFDT des annĂ©es 1968. « Avoir des Ă©lĂ©ments dâun projet de transformation sociale permet dâavoir une comprĂ©hension du monde et de ce quâil faut changer et pĂšse directement sur le contenu et la forme des luttes sociales », estime Thierry Renard. En 1973, la lutte des LIP reste orientĂ©e par la perspective autogestionnaire portĂ©e par la CFDT.
Les mouvements sociaux apparaissent comme des contre-pouvoirs qui portent des questions nouvelles et contribuent Ă faire bouger la sociĂ©tĂ©. Les luttes sociales construisent des rapports de force face aux institutions. « De fait, ces contre-pouvoirs ne laissent pas intact le pouvoir dĂšs lors quâils participent Ă modifier en profondeur la sociĂ©tĂ© et quâils sâattaquent Ă la dĂ©lĂ©gation de pouvoir et aux institutions illĂ©gitimes », analyse Thierry Renard. Ensuite, les pratiques dâauto-organisation remettent en cause les logiques de reprĂ©sentation et de dĂ©lĂ©gation. Ces pratiques portent en elles-mĂȘmes le projet de maĂźtriser sa vie.
Les mouvements sociaux se composent dĂ©sormais dâune diversitĂ© dâorganisations. Les partis et les syndicats doivent abandonner la prĂ©tention Ă lâhĂ©gĂ©monie sur la classe ouvriĂšre considĂ©rĂ©e comme un bloc homogĂšne. Il semble important dâassumer la pluralitĂ© et le dĂ©bat. Les partis se prĂ©sentent comme des dĂ©bouchĂ©s politiques des luttes, mais sans proposer de vĂ©ritable perspective de transformation sociale. « Le dĂ©bouchĂ© politique aux luttes, câest dâabord la victoire des luttes elles-mĂȘmes et la politisation du mouvement social », souligne Thierry Renard. Les luttes sociales et leurs pratiques portent des perspectives politiques.
Autonomie des mouvements sociaux
Verveine Angeli, militante Ă SUD-PTT, rappelle les risques dâune proximitĂ© des mouvements sociaux avec les partis politiques. LâarrivĂ©e de la gauche au pouvoir dĂ©bouche vers une dĂ©mobilisation des syndicats, comme en France avec le Parti socialiste http://www.zones-subversives.com/la-gauche-au-pouvoir-au-service-du-capital de Mitterrand. Plus rĂ©cemment, lâarrivĂ©e au pouvoir de la gauche radicale en GrĂšce a permis dâĂ©craser de puissants mouvements de grĂšves et dâoccupations. « Misant tout sur la victoire de Syriza, le mouvement syndical progressiste, historiquement liĂ© dans ses diffĂ©rentes fractions aux partis politiques, sâest mis de plus en plus en retrait et fur et Ă mesure du rapprochement des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales », dĂ©crit Verveine Angeli.
Par ailleurs, les mouvements sociaux peuvent Ă©galement porter leur propre projet politique, avec la perspective dâune rĂ©organisation de lâensemble de la sociĂ©tĂ© Ă partir de structures qui se construisent dans les luttes. « Cette Ă©mancipation, câest aussi pouvoir gĂ©rer la production, envisager dâautogĂ©rer la sociĂ©tĂ© de demain sans remettre Ă un Ătat – fĂ»t-il progressiste – ce rĂŽle là », souligne Verveine Angeli. Ensuite, le syndicalisme ne doit pas se rĂ©duire aux enjeux Ă©conomiques. Le monde du travail reste traversĂ© par diffĂ©rentes oppressions. Le fĂ©minisme, lâantiracisme et lâĂ©cologie deviennent des enjeux majeurs pour les syndicats.
NĂ©anmoins, les alliances dans les luttes ne sont pas toujours Ă©videntes. Les mouvements de rĂ©volte, comme les Gilets jaunes, dĂ©veloppent des pratiques dâauto-organisation et dâaction directe. Mais les syndicats et les partis apparaissent trop comme des structures rigides, verticales et hiĂ©rarchisĂ©es. Ces formes dâorganisation sont devenues archaĂŻques et les syndicats semblent avoir du mal Ă sâinspirer des nouvelles formes de lutte.
Christian Mahieux, militant Ă SUD-Rail, revient sur la fĂ©tichisation consensuelle de la Charte dâAmiens. Tous les syndicats se rĂ©clament de ce texte, sans en saisir sa vĂ©ritable portĂ©e. La Charte dâAmiens ne propose pas un syndicalisme neutre, consensuel et dĂ©politisĂ©. Le syndicalisme rĂ©volutionnaire reste indĂ©pendant des partis, mais propose Ă©galement des perspectives politiques. Cette dĂ©marche articule les luttes pour des revendications immĂ©diates avec une perspective de transformation radicale de la sociĂ©tĂ©.
Les partis comme la France insoumise veulent remettre en cause la Charte dâAmiens et lâautonomie du mouvement ouvrier. AurĂ©lie TrouvĂ© prĂȘche pour des convergences entre partis, syndicats et associations. Ce qui nie la nĂ©cessitĂ© dâune organisation sur une base de classe pour se fondre dans un confusionnisme citoyenniste et interclassiste. « Mais les travailleurs et les travailleuses doivent sâorganiser sur une base autonome, en tant que classe sociale, et ne pas sâen remettre Ă des personnalitĂ©s politiques extĂ©rieures Ă elles et eux, Ă leur classe sociale », souligne Christian Mahieux. Le syndicalisme ne doit pas se soumettre Ă des politiciens dĂ©connectĂ©s du quotidien des exploitĂ©s et qui ignorent la subordination sur le lieu de travail.
CFDT et Parti socialiste en 1974
Théo Roumier, militant à SUD Education, revient sur la CFDT et les Assises du socialisme de 1974. Dans le contexte de la contestation des années 1968, la CFDT se réclame du socialisme autogestionnaire avant de dériver vers un accompagnement du capitalisme néolibéral. Ce syndicat regroupe des pratiques et des cultures militantes particuliÚrement hétérogÚnes. Mais les Assises du socialisme de 1974 apparaissent comme un véritable moment de bascule. La direction de la CFDT se questionne sur ses relations avec le Parti socialiste (PS).
Durant les annĂ©es 1970, la CFDT anime de nombreuses luttes emblĂ©matiques, comme la grĂšve du Joint français Ă Saint-Brieuc, de Penarroya Ă Lyon ou de Lip Ă Besançon. La CFDT sâappuie sur des pratiques dâaction directe et dâauto-organisation. En 1974, une vague de grĂšves dans le secteur bancaire agite lâactualitĂ© sociale. Ces luttes semblent ouvrir de nouvelles perspectives. Mais, toujours en 1974, François Mitterrand atteint 49% au second tour de lâĂ©lection prĂ©sidentielle. La conquĂȘte du pouvoir par la gauche devient un enjeu immĂ©diat.
La CFDT sâaccorde sur le projet du socialisme autogestionnaire, mais nâa pas tranchĂ© sur les moyens dây arriver. La gauche de la CFDT comprend surtout des syndicalistes radicalisĂ©s par Mai 68. Ce courant comprend des militants dâextrĂȘme-gauche, des chrĂ©tiens autogestionnaires et des proches du Parti socialiste unifiĂ© (PSU). Les grĂšves et les luttes sont au cĆur de sa stratĂ©gie syndicale. En revanche la direction de la CFDT, incarnĂ©e par Edmond Maire, privilĂ©gie une transition vers le socialisme plus progressive et institutionnel. La CFDT entend influencer le PS et le programme commun qui repose sur des solutions Ă©tatistes prĂ©conisĂ©es par le PC et la CGT. La CFDT tente de construire une dĂ©marche autogestionnaire large. Pour la direction du syndicat, ce projet doit sâappuyer sur le PS.
« Vivre demain dans nos luttes dâaujourdâhui » reste le slogan de la CFDT. Le syndicat se tient Ă distance du programme commun qui respire le centralisme autoritaire et la bureaucratie. De plus, le PS apparaĂźt comme un parti de notables, Ă©loignĂ© des grĂšves et des usines. Cependant, la direction de la CFDT dĂ©cide de soutenir la candidature Mitterrand en 1974. Le PS aspire Ă se renforcer Ă travers le ralliement de militants ouvriers et autogestionnaires. Des dirigeants de la CFDT collaborent Ă cette dĂ©marche Ă travers une tribune dans Le Monde. Pourtant, une majoritĂ© de structures locales du syndicat dĂ©nonce une atteinte Ă lâautonomie de la CFDT. De plus, les tractations politiciennes avec les socialistes semblent primer sur la construction du syndicat.
Syndicalisme dans le monde
Ătienne David-Bellemare se penche sur le syndicalisme au BrĂ©sil. La Centrale unique des travailleurs (CUT) devient le principal syndicat dans les annĂ©es 1980. Elle affirme son indĂ©pendance Ă lâĂ©gard dâun Ătat qui sâappuie sur le corporatisme. La CUT reste influencĂ©e par une idĂ©ologie social-dĂ©mocrate. MĂȘme si elle comprend Ă©galement des courants dâextrĂȘme-gauche comme les trotskistes ou la thĂ©ologie de la LibĂ©ration. La CUT soutient la campagne du Parti des travailleurs (PT) Ă partir de 1989. Le candidat Lula est dâailleurs un ancien syndicaliste de la CUT. Dans ce contexte de succĂšs Ă©lectoraux et de montĂ©e du chĂŽmage, la CUT passe dâun syndicalisme dâopposition Ă un syndicalisme de proposition. La nĂ©gociation prime sur la conflictualitĂ© sociale. Le PT abandonne son discours sur la lutte des classes pour se prĂ©senter comme un parti politique responsable et capable de gouverner.
En 2002, Lula accĂšde aux sommets de l’Ătat. Mais il mĂšne une politique nĂ©olibĂ©rale, avec des mesures dâaustĂ©ritĂ© comme la rĂ©forme des retraites. La CUT semble divisĂ©e mĂȘme si ses dirigeants sont des proches du prĂ©sident Lula. Plusieurs syndicats dĂ©cident alors de crĂ©er la Coordination nationale des luttes (Contulas). Mais lâarrivĂ©e au pouvoir du PT rĂ©vĂšle Ă©galement lâĂ©volution des mouvements sociaux qui passent dâune perspective de rupture radicale vers une approche plus modĂ©rĂ©e qui propose une transformation plus progressive de la sociĂ©tĂ© brĂ©silienne. La CUT, qui se dĂ©veloppe dans les annĂ©es 1980 pour affirmer lâautonomie du syndicalisme, sombre dans le modĂšle corporatiste dont elle prĂ©tendait se distinguer Ă ses dĂ©buts.
Alexandra Bradbury, rĂ©dactrice en chef de Labor Notes, revient sur la vague de contestation aux Etats-Unis en 2021. Des grĂšves emblĂ©matiques Ă©clatent dans diverses entreprises de diffĂ©rents secteurs. Les salaires de misĂšre et la surcharge de travail sont ciblĂ©s. Ensuite, un mouvement contre les violences policiĂšres se dĂ©veloppe en marge des syndicats. Des grĂšves sauvages Ă©clatent, comme dans le secteur de la santĂ© mentale. MĂȘme si le syndicalisme reste encadrĂ© par dâimportantes limites lĂ©gales sur le moment et la maniĂšre de faire grĂšve. Des sanctions sĂ©vĂšres sont prĂ©vues en cas dâinfraction.
Ensuite, la fragmentation et la rĂ©signation du salariat reste un obstacle majeur. « Sans parler de tous les autres Ă©lĂ©ments qui nous bloquent, comme la peur, la division, la confusion et le dĂ©sespoir », observe Alexandra Bradbury. NĂ©anmoins, ce renouveau des pratiques de grĂšve peut se dĂ©velopper davantage. Les victoires arrachĂ©es par lâaction collective peuvent en amener dâautres et crĂ©er un effet dâentraĂźnement.
GrĂšve dans le nettoyage
La section SUD Education Sorbonne UniversitĂ© revient sur la grĂšve du nettoyage Ă Jussieu. Dans cette universitĂ© parisienne, les 130 agents de nettoyage nâont pas le statut de fonctionnaires, mais subissent le rĂ©gime de la sous-traitance. Lâentreprise Arc-en-ciel, qui remporte lâappel dâoffre en fĂ©vrier 2021, ne respecte pas les garanties minimales du droit du travail. Les heures supplĂ©mentaires ne sont pas payĂ©es et lâentreprise a fait signer aux femmes de mĂ©nage des CDD antidatĂ©s plutĂŽt que des CDI pour pouvoir les licencier facilement. Ensuite, lâentreprise impose un fractionnement de la journĂ©e de travail. Les salariĂ©es cessent le travail le 4 septembre et rĂ©clament des nĂ©gociations. La grĂšve est prĂ©parĂ©e et animĂ©e par les syndicats CGT du campus, et soutenue par des syndicats de personnels et dâĂ©tudiants.
Le piquet de grĂšve se rassemble chaque jour Ă 6h du matin, lâheure Ă laquelle les salariĂ©es commencent habituellement le travail. La poursuite de la grĂšve est mise au vote. Le piquet sâinstalle Ă lâentrĂ©e du campus Ă 8h avec banderoles, tracts, pancartes, drapeaux, mĂ©gaphones, complĂ©tĂ©s par des outils de percussion. Une dĂ©ambulation sonore se lance sur le parvis pour rendre la grĂšve visible par les Ă©tudiants, les personnels et la clique prĂ©sidentielle qui dirige lâuniversitĂ©. Les grĂ©vistes rentrent dans les amphis pour interrompre les cours et expliquer les raisons de la lutte. Un rassemblement de soutien rĂ©unit 200 personnes, avec des militants syndicaux et des responsables politiques. Ce qui donne une visibilitĂ© mĂ©diatique au-delĂ de lâuniversitĂ©.
La direction de lâentreprise envoie des dĂ©lĂ©guĂ©s du personnel sâimmiscer dans les nĂ©gociations et attiser les tensions dans les assemblĂ©es de grĂ©vistes. Ils conseillent aux grĂ©vistes dâabandonner leurs revendications et dâaccepter les propositions de la direction. Lâentreprise repousse les nĂ©gociations pour tenter dâĂ©puiser la grĂšve. Mais, aprĂšs 8 jours de lutte, les grĂ©vistes parviennent Ă arracher la satisfaction de leurs revendications. La caisse de grĂšve leur permet mĂȘme de ne pas perdre de salaire suite Ă leur action.
NĂ©anmoins, la CGT des profs de lâuniversitĂ© insiste pour agir seule et pour garder le contrĂŽle du mouvement. Les autres personnes doivent se cantonner Ă un simple soutien logistique. Lâabsence de structures claires comme un comitĂ© de grĂšve et un comitĂ© de soutien fragile la lutte. Les syndicats de la direction peuvent facilement perturber les rĂ©unions et monopoliser lâattention. Ensuite, la CGT ne favorise pas les pratiques dâauto-organisation des grĂ©vistes avec des mandats et la dĂ©signation des membres de la dĂ©lĂ©gation. Ce contrĂŽle de la CGT ne permet pas de crĂ©er des liens de solidaritĂ© durables entre les femmes de mĂ©nage. Par ailleurs, la lutte sâest achevĂ©e avec la satisfaction de revendications dĂ©fensives plutĂŽt que de poursuivre le mouvement pour arracher des augmentations de salaires.
Limites du syndicalisme
La revue Les Utopiques propose une rĂ©flexion Ă partir du syndicalisme. Les contributions proviennent de militants et non pas dâuniversitaires au discours dĂ©connectĂ© des mouvements sociaux. Ce qui montre Ă©galement que la rĂ©flexion intellectuelle peut Ă©merger depuis les luttes sociales. Surtout, la revue Les Utopiques ouvre un espace dâanalyse critique qui sort de lâurgence du militantisme quotidien pour penser les enjeux du syndicalisme. La rĂ©flexivitĂ© et le retour critique Ă partir des expĂ©riences militantes semble indispensable pour ouvrir des perspectives nouvelles.
La revue Les Utopiques assume une tonalitĂ© libertaire. Plusieurs syndicalistes et militants de lâUnion communiste libertaire (UCL) proposent des contributions pertinentes. Des articles insistent sur les limites de la gauche au pouvoir. Les syndicats et les mouvements sociaux se retrouvent dans lâattentisme voir la subordination Ă lâĂ©gard du gouvernement. Au contraire, ce sont les luttes sociales qui peuvent permettre de transformer la sociĂ©tĂ©. Le syndicalisme apparaĂźt alors comme un indispensable contre-pouvoir face aux politiques nĂ©olibĂ©rales menĂ©es par les gouvernements de droite et de gauche.
NĂ©anmoins, la revue Les Utopiques laisse Ă©galement transparaĂźtre la diversitĂ© de lâUnion syndicale Solidaires. Si son courant libertaire reste bien reprĂ©sentĂ©, le point de vue Ă©tatiste sâexprime Ă©galement. GĂ©rard Gourguechon insiste mĂȘme sur le rĂŽle des douaniers contre la fuite des capitaux. Romain Casta tente de refourguer une version du salaire Ă vie portĂ©e par Bernard Friot. Alors que la Charte dâAmiens propose lâabolition du salariat, la secte friotiste qui tente de noyauter Solidaires propose au contraire de sacraliser le salariat. Sans interroger les rapports hiĂ©rarchiques, les liens de subordination et lâexploitation qui traversent le monde du travail.
Une autre tendance fĂącheuse de Solidaires est Ă©galement prĂ©sente. Cette union syndicale regroupe une majoritĂ© de cadres de la fonction publique qui dĂ©fendent les intĂ©rĂȘts de la classe moyenne. La confusion altermondialiste prime sur la critique du capitalisme d’un point de vue de classe. Solidaires permet un syndicalisme « hors les murs » qui se lie Ă la diversitĂ© des mouvements sociaux. NĂ©anmoins, le risque consiste Ă sâorienter vers des cartels de sectes idĂ©ologiques plutĂŽt que vers la construction de rapports de force pour amĂ©liorer le quotidien des salariĂ©s. Le groupuscule « Plus jamais ça » incarne cette dĂ©rive folklorique portĂ©e par les cadres de Solidaires proche dâATTAC et de la France insoumise. Au contraire, c’est Ă partir de luttes concrĂštes et des problĂšmes du quotidien que peuvent se construire des mouvements sociaux. Bien plus quâĂ partir du recyclage des programmes et catalogues de revendications de lâextrĂȘme-gauche. MĂȘme si la contribution de Christian Mahieux apporte quelques clarifications bienvenues.
Ivan Jurkovic, militant Ă SUD-Education et membre du collectif Smolny, apporte un indispensable regard critique sur les limites du syndicalisme. Cet outil peut impulser des luttes locales qui permettent une indispensable amĂ©lioration des conditions de travail. NĂ©anmoins, le syndicalisme se rĂ©duit Ă une dĂ©fense des salariĂ©s dans le cadre du capitalisme. Pour Karl Marx, les luttes syndicales peuvent mĂȘme se limiter Ă rendre lâexploitation capitaliste plus supportable. Si la Charte dâAmiens porte l’horizon de lâabolition du salariat, cette perspective semble Ă©loignĂ©e du militantisme au quotidien. Seuls des soulĂšvements sociaux permettent de porter une perspective rĂ©volutionnaire. Par ailleurs, les mouvements sociaux traditionnels se contentent de vouloir faire pression sur le gouvernement et le patronat. Mais ils nâenvisagent pas de les Ă©radiquer pour inventer une sociĂ©tĂ© sans classe, sans Ătat et sans hiĂ©rarchie.
Source : Revue Les Utopiques N° 19, « Pouvoirs, politique, mouvement social », Syllepse, 2022
Extrait publié sur Le Club de Mediapart
Articles liés :
Le syndicalisme révolutionnaire dans les luttes
Syndicalisme et bureaucratisation des luttes
Organisation de lutte et transformation sociale
Une analyse du mouvement de 2016
Pour aller plus loin :
Vidéo : Pablo Pillaud-Vivien, Théo Roumier : « Il faut que décembre soit le plus chaud possible avec le plus de grÚves reconductibles », mis en ligne sur le site de la revue Regards le 24 octobre 2019
Vidéo : Stéphane Ortega, Pour gagner : « reconduction, auto-organisation, généralisation » de la grÚve, mis en ligne sur le site Rapports de force le 8 décembre 2019
Vidéo : On fait quoi maintenant ? Pour une nouvelle force politique, mis en ligne sur le site Rejoignons-nous le 2 mai 2022
VidĂ©o : 1 an aprĂšs, sortir de lâimpasse – Introduction par Verveine Angeli, publiĂ© sur le site d’ATTAC le 10 mai 2013
Vidéo : Verveine Angeli, Union Syndicale Solidaires, diffusée sur TV Bruits le 25 août 2017
Vidéo : Verveine Angeli, Meeting Retraite Rouen, diffusée le 3 octobre 2013
VidĂ©o : RATP : l’action coup de poing des grĂ©vistes, diffusĂ©e sur BFM TV le 23 dĂ©cembre 2019
Vidéo : 1er mai: les syndicats éclipsés ?, diffusée sur BFMTV le 1er mai 2021
Vidéo : Christian Mahieux : syndicaliste ou christ chez Thierry Ardisson, émission diffusée sur Canal + le 26 septembre 2009
ThĂšme Syndicalisme sur le site de la revue Les Utopiques
Fabien Delmotte, Redonner dâautres perspectives au syndicalisme : Ă©changes autour de la revue Les Utopiques, publiĂ© sur le site Autre Futur le 19 janvier 2018
Table ronde syndicaliste 5/5 : Quel devrait ĂȘtre le rĂŽle politique du syndicalisme aujourdâhui ?, publiĂ© sur le site de l’Union communiste libertaire le 3 avril 2008
Historiens et syndicalistes dĂ©battent de la Charte dâAmiens, publiĂ© sur le site de l’Union communiste libertaire le 5 juillet 2006
Jean-Claude Mamet, Actualiser la charte dâAmiens, publiĂ© sur le site de L’Ăcole ĂmancipĂ©e le 10 novembre 2018
Un appel de militants associatifs, syndicalistes, intellectuels, citoyens… Pour l’autonomie du mouvement social, tribune publiĂ©e dans le journal LibĂ©ration le 3 aoĂ»t 1998
ThĂ©o Roumier, Syndicalisme : un outil collectif pour construire lâĂ©mancipation, publiĂ© sur le site de la revue Contretemps le 3 octobre 2018
Théo Roumier : « On a les moyens de défaire Macron », publié sur le site de la revue Ballast le 21 mai 2018
RĂ©interroger la Charte dâAmiens : et pourquoi pas ?, publiĂ© sur Le Club de Mediapart le 22 juillet 2017
ThĂ©o Roumier, 20 mai 1974 : quel jour dâaprĂšs ?, publiĂ© sur le site Association Autogestion le 15 fĂ©vrier 2022
ThĂ©o Roumier, Leçons dâun candidat des luttes EnquĂȘte sur lâĂ©phĂ©mĂšre candidature de Charles Piaget Ă la prĂ©sidentielle de 1974, publiĂ© dans la Revue du Crieur N° 20 en 2022
Articles de Théo Roumier publiés sur le site de la revue Les Utopiques
Articles de Théo Roumier publiés dans Le Club de Mediapart
Bénédicte Gilles, Verveine Angeli : « Il y a une mesure simple à laquelle il faudrait réfléchir : donner automatiquement 20 % de retraite de plus aux femmes », publié sur le site de 50-50 Magazine le 3 décembre 2019
Stéphane Ortega, 17 novembre : pourquoi les syndicats traßnent-ils des pieds, alors que les politiques courent aprÚs ?, publié sur le site Rapports de force le 13 novembre 2018
Verveine AngĂ©li : « La loi Travail sâinscrit dans un cadre de remise en cause de la protection sociale », publiĂ© sur le site Reporterre le 31 aoĂ»t 2017
Articles de Verveine Angéli publiés sur le site de la revue Les Utopiques
Ătienne David-Bellemare, Le syndicalisme brĂ©silien, la CUT et le gouvernement Lula : bilan dâune dynamique de confrontation, dâopposition et de conciliation, publiĂ© sur le site de l’Observatoire des AmĂ©riques le 14 septembre 2012
Guillaume Davranche, MAHIEUX Christian [Dictionnaire des anarchistes], publié sur le site du Maitron le le 23 avril 2014
Articles de Christian Mahieux publiés sur le site Cerises la coopérative
Articles de Christian Mahieux publiés sur le site Presse toi à gauche !
Articles de Christian Mahieux publiés sur le site de la revue Les Utopiques
Source: Zones-subversives.com