Pouvoir dâachat ?
Ces derniers temps, la hausse du prix de lâĂ©nergie (Ă©lectricitĂ©, gaz, essence) a fait la une de lâactualitĂ©. Effectivement, pour beaucoup, il faut se serrer la ceinture pour se chauffer convenablement et faire le plein pour aller au boulot. Mais la suite des commentaires marque une certaine confusion. La question posĂ©e Ă©tait que va faire Macron, diminuer le prix de lâessence ou augmenter les salaires. Euh⊠Certes lâessence est fortement taxĂ©e, mais les stations essence sont des entreprises privĂ©es de mĂȘme que les compagnies pĂ©troliĂšres. En quoi le montant des taxes est-il plus scandaleux que les bĂ©nĂ©fices de Total (4,6 milliards de dollars), Shell (3,4 milliards de dollars) ou BP (3,1 milliards de dollars) ? Câest eux qui fixent le prix de lâessence, pas Macron. Pour ce qui est des salaires, Macron nâa que deux possibilitĂ©s. Un, augmenter les fonctionnaires. Il semblerait bien quâil ne le veuille pas, pas plus que ses prĂ©dĂ©cesseurs. Deux, augmenter le SMIC. Il ne lâa augmentĂ© que du minimum lĂ©gal (proportionnel Ă lâindice dâinflation officiel), comme ses prĂ©dĂ©cesseurs dâailleurs. La majoritĂ© des salariĂ©s relĂšvent du privĂ©, et leur salaire du rapport de forces entre les classes. Et ça fait un petit moment quâil nâest pas bon pour nous, le rapport de forces. Donc oui, le prix de lâĂ©nergie augmente, mais non, lĂ nâest pas le problĂšme, le problĂšme câest la faiblesse de nos salaires.
En fait, si on regarde lâinflation, il nây en a pas tellement. Le dernier taux annoncĂ© est une hausse gĂ©nĂ©rale des prix de 2,6% sur un an. Câest comme si quelquâun qui gagnait 1500⏠par mois perdait 39⏠à la fin de lâannĂ©e. On a connu bien bien pire dans les annĂ©es 70-80. Par contre, dâaprĂšs la DARES [1], le salaire moyen dans le privĂ© (entreprises de plus de 10 salariĂ©s) a augmentĂ©, lui, de seulement 1,5%. LĂ rĂ©side dĂ©jĂ une partie du problĂšme. Notre salaire rĂ©el a baissĂ©.
Une autre partie du problĂšme rĂ©side dans ce que les statisticiens appellent dĂ©penses contraintes ou dĂ©penses prĂ©-engagĂ©es. Nous avons « le choix » de nos dĂ©penses, nous pouvons manger plus ou moins, et plus ou moins mauvais, nous habiller cher ou bon marchĂ©, avoir beaucoup ou peu de vĂȘtements, sortir ou pas, en fonction de diffĂ©rents alĂ©as. Mais il est des dĂ©penses sur lesquelles nous ne pouvons pas grand-chose. Une fois quâon a emmĂ©nagĂ©, on ne peut pas payer un peu moins de loyer pour sortir un peu plus, on a peu dâinfluence sur les charges de chauffage et dâĂ©lectricitĂ©, une fois choisi son abonnement internet on ne peut pas le moduler, et on ne peut pas dĂ©penser plus ou moins dâessence pour aller au boulot. Ce sont les dĂ©penses contraintes. Elles amputent de plus de 35% le budget des populations modestes, non compris lâessence, le gaz et lâĂ©lectricitĂ©. Donc, en fait, non seulement notre salaire rĂ©el baisse, mais pour beaucoup, nous ne disposons que de moins des deux tiers de ce salaire. Pour les 10% les plus pauvres, le logement Ă lui tout seul leur mange 42% de leurs revenus. Et globalement (mais pas cette annĂ©e), le prix de ces dĂ©penses a augmentĂ© plus que la moyenne des prix. Donc, forcĂ©ment, avec un salaire qui ne suit pas exactement lâinflation, et une part de ce salaire croissante dont on ne voit pas la couleur, on devient plus sensible Ă la hausse des prix des produits de notre quotidien. La masse de ce qui nous est prĂ©levĂ© augmente, et donc nous sommes plus sensibles Ă ce que nous dĂ©pensons par nous-mĂȘmes.
Il faut ajouter que lâindice des prix est une moyenne basĂ©e sur un panier type de consommation dans lequel il y a du pain, des stylos, des frigos, des ordinateurs, des apĂ©ros, etc. le tout pondĂ©rĂ© par des quantitĂ©s (on achĂšte du pain tous les jours, et un frigo assez rarement). Et donc bien sĂ»r, quand le prix des billets dâavion baisse, ça diminue le taux dâinflation, mais ça laisse indiffĂ©rent la majoritĂ© de la population (30% des gens nâont jamais pris lâavion de leur vie, et 34% lâont pris au moins une fois dans lâannĂ©e). En fait, il devrait y avoir autant dâindices dâinflation que de types de population. Et câest dâailleurs le cas, mais ils sont difficiles Ă trouver. DâaprĂšs la derniĂšre Ă©tude que jâai lue, lâinflation est plus Ă©levĂ©e pour les 20% les plus modestes que pour lâensemble de la population, et ce quasiment depuis lâentrĂ©e en vigueur de lâeuro, qui a surtout impactĂ© les petits prix.
Si on rĂ©sume. Oui, la vie est de plus en plus chĂšre pour une bonne partie de la population, la moins riche. Non, on ne peut pas parler dâinflation. En revanche, on peut parler dâatonie des salaires. Et oui, quand la marge de manĆuvre de consommation se restreint, lâaugmentation du prix de lâĂ©nergie aggrave les choses, dâautant quâune part de cette dĂ©pense est incompressible, ou en tous les cas pas choisie.
Quelle est la responsabilitĂ© du gouvernement ? Dans lâinflation (et donc aussi dans son absence), aucune depuis lâentrĂ©e en vigueur de lâeuro. Sur le prix de lâĂ©nergie ? Pas Ă©norme. Il nâest Ă©crit dans aucune loi que câest lâautomobiliste qui doit payer les taxes. Les compagnies pĂ©troliĂšres pourraient rogner sur leurs bĂ©nĂ©fices si elles voyaient que la consommation dâessence diminuait. Il y a bien une responsabilitĂ© de lâĂtat, mais plus vaste : câest celle de lâamĂ©nagement du territoire, de laisser libre cours Ă la spĂ©culation immobiliĂšre, de ne pas trop forcer sur des transports en commun corrects et pas chers, ce qui nous oblige Ă prendre la bagnole pour aller au boulot. Sur les salaires, lâĂtat a un levier dâaction quâil nâa pas utilisĂ© depuis trĂšs trĂšs longtemps : donner un coup de pouce au SMIC, câest-Ă -dire lâaugmenter plus que lâobligation lĂ©gale. Ca concerne 8,5% des salariĂ©s, mais 20% des ouvriers non qualifiĂ©s et 27% des employĂ©s non qualifiĂ©s. Et quand le SMIC augmente, souvent, les autres salaires aussi. Beaucoup de conventions collectives font rĂ©fĂ©rence au SMIC, et surtout, les entreprises ont une passion pour la hiĂ©rarchie. Elles conservent donc souvent les diffĂ©rences de salaires. Je ne vous dis pas les cris dâorfraie que pousserait le patronat, et je nâimagine pas une seconde Macron prendre ce type de dĂ©cision. Dâautant que sâil voulait vraiment augmenter le pouvoir dâachat, il pourrait dĂ©jĂ augmenter les fonctionnaires (autres que les flics je veux dire).
Et les primes quâil a annoncĂ©es ? Je suis incapable de vous faire le bilan. Je ne sais pas sur quoi se basent les chiffrages des journaux. Ce qui est donnĂ© par lâĂtat peut ĂȘtre calculĂ©, mais Ă condition de savoir quel pourcentage des bĂ©nĂ©ficiaires le touchera rĂ©ellement. Une partie des primes sont des effets dâannonce, parce que si elles ne sont pas inscrites dans la loi, les patrons ne sont pas obligĂ©s de les verser. Il sâagit en fait juste dâune version moderne du clientĂ©lisme en pĂ©riode Ă©lectorale. Il achĂšte des voix ou essaye. Ăa nâest pas trĂšs neuf.
Il faudrait rappeler une derniĂšre chose. La destruction de la planĂšte, câest pas des conneries. Macron ou pas Macron, le prix du pĂ©trole va augmenter au fur et Ă mesure de lâĂ©puisement des ressources, sauf si le gaz de schiste se gĂ©nĂ©ralise, ce quâaucun de nous ne souhaite. Et il va falloir diminuer nos Ă©missions de gaz Ă effet de serre. Câest possible avec une politique publique volontariste au bĂ©nĂ©fice de tous, en terme de logements et dâinfrastructures. Mais on ne voit pas le plus petit indice dâune quelconque volontĂ© politique. Donc, ils feront la seule chose quâils savent faire, mettre des taxes pour dĂ©courager la consommation, et Ă©ventuellement en exempter les plus riches pour pas trop les embĂȘter. Rappelons que les 10% les plus riches sont responsables de la moitiĂ© des Ă©missions de gaz Ă effet de serre sur la planĂšte.
Source: Oclibertaire.lautre.net