POURQUOI NOUS SOMMES
FEMINISTES REVOLUTIONNAIRES
A lâheure oĂč les « questions de genre » sont, notamment en France, un des thĂšmes favoris des Ă©lites politiques, universitaires et mĂ©diatiques, et oĂč les courants fĂ©ministes existants sâopposent sur divers sujets, il nous a paru important de prĂ©ciser nos propres positions sur le fĂ©minisme, en tant que militantes anarchistes-communistes.
âą Nous luttons Ă la fois contre le patriarcat et contre le capitalisme
Le patriarcat est le systĂšme dâoppression qui assoit la domination des hommes sur les femmes dans tous les domaines de la sociĂ©tĂ© (Ă©conomique, politique, sexuel, intellectuelâŠ). Cette oppression spĂ©cifique est transversale en ce quâelle touche toutes les femmes de la sociĂ©tĂ©, quelle que soit leur appartenance de classe ; et elle est fonction de leur sexe biologique, ou plus exactement de leurs capacitĂ©s procrĂ©atives (effectives ou potentielles) que les tenants de lâordre Ă©tabli veulent contrĂŽler. Les femmes sont en effet assignĂ©es Ă la sphĂšre privĂ©e pour assurer la reproduction sociale sur le court et le long terme. Elles ont Ă charge, dans leur grande majoritĂ©, lâĂ©levage des enfants, la prĂ©paration de la nourriture, lâentretien du logement, etc., tandis que les hommes occupent la sphĂšre publique. Ces rĂŽles diffĂ©renciĂ©s sont imposĂ©s aux deux sexes par tout un conditionnement exercĂ© dĂšs la naissance â avec, concernant les femmes, lâinjonction Ă avoir des enfants. Aussi ne peuvent-elles Ă©chapper Ă leur condition quâen abolissant le rĂŽle attendu dâelles, appelĂ© en France « sexe social » par le Mouvement de libĂ©ration des femmes (MLF) dans les annĂ©es 1970 â mais rebaptisĂ© « genre » dans les annĂ©es 1980 sous lâinfluence des Ă©tudes culturelles produites par lâUniversitĂ© amĂ©ricaine.
Le capitalisme est le systĂšme dâexploitation Ă©conomique par lequel la bourgeoisie (classe dĂ©tentrice des moyens de production) exploite le prolĂ©tariat (ceux et celles qui ont juste leur force de travail Ă vendre). Ce systĂšme est postĂ©rieur au patriarcat, mais il est liĂ© Ă lui â en particulier parce que lâorganisation patriarcale de la sociĂ©tĂ© sert les intĂ©rĂȘts des capitalistes en leur offrant une reproduction gratuite de la force de travail, du fait que les tĂąches domestiques ne sont pas rĂ©munĂ©rĂ©es.
De nos jours, les femmes font massivement partie du salariat, car lâĂ©conomie capitaliste a sans cesse besoin dâaccroĂźtre sa main-dâĆuvre pour augmenter les profits dâune minoritĂ©. Elles sont â globalement â plus diplĂŽmĂ©es que les hommes, mais moins payĂ©es quâeux ; et ce sont elles qui, au bas de lâĂ©chelle sociale, occupent majoritairement les emplois les plus prĂ©caires et Ă temps partiel. De plus, si la sphĂšre publique et lâencadrement des entreprises se fĂ©minisent peu Ă peu, le rĂŽle attribuĂ© aux femmes dans la sphĂšre privĂ©e nâa guĂšre Ă©tĂ© modifiĂ© : la plupart dâentre elles sont ainsi confrontĂ©es Ă une double journĂ©e de travail.
Pareil constat conduit nombre de fĂ©ministes aux idĂ©es libĂ©rales ou progressistes Ă revendiquer une meilleure place dans les structures Ă©conomiques, politiques et sociales existantes par lâobtention de droits ou de lois contre les inĂ©galitĂ©s entre les sexes, ou encore par lâintervention de lâEtat contre les violences faites aux femmes.
Leur dĂ©marche rĂ©formiste nâest pas la nĂŽtre, car nous voulons dĂ©truire la hiĂ©rarchie sociale entre les sexes mais aussi entre les classes. Il faut bien sĂ»r dĂ©fendre des conquĂȘtes sociales telles que lâavortement et se battre contre toutes les discriminations dans le systĂšme en place, mais sans jamais perdre de vue quâil nâest pas amĂ©nageable. Ce nâest pas un hasard si les « questions de genre » figurent aujourdâhui parmi les sujets de prĂ©dilection desdites « Ă©lites », et si elles sont pour une bonne part disposĂ©es Ă ce que certaines femmes accĂšdent aux hautes sphĂšres : elles savent que les fondements profondĂ©ment inĂ©galitaires de la sociĂ©tĂ© en seront confortĂ©s.
Se libĂ©rer de lâexploitation Ă©conomique et de la domination masculine implique donc toujours la disparition Ă la fois du capitalisme et du patriarcat.
âą Nous critiquons le postmodernisme
La vague « nĂ©olibĂ©rale » qui a suivi lâeffondrement du bloc de lâEst, en 1991, a peu Ă peu conduit les mouvances contestataires et intellectuelles occidentales Ă abandonner lâidĂ©e de rĂ©volution. Ce rĂ©sultat est certes dĂ», en France, Ă la propagande du systĂšme en place : elle a proclamĂ© la fin des idĂ©ologies, la disparition de la classe ouvriĂšre et la faillite du « communisme », le triomphe du « libĂ©ralisme » et du consumĂ©risme dans une sociĂ©tĂ© oĂč la critique et la rĂ©sistance nâauraient plus leur place. Mais les thĂ©ories postmodernes qui se sont rĂ©pandues dans tous les secteurs de cette sociĂ©tĂ© via lâUniversitĂ©, depuis une trentaine dâannĂ©es (voir lâencadrĂ©), y ont aussi largement contribuĂ©.
Le postmodernisme rejette en effet toute vision globale de lâHistoire et toute analyse gĂ©nĂ©rale, au prĂ©texte que celles-ci conduiraient fatalement Ă un nouveau totalitarisme. Il affirme que le monde est dĂ©sormais trop complexe pour que sa marche puisse ĂȘtre modifiĂ©e, et met lâaccent sur lâindividu au dĂ©triment du collectif â tout en Ă©cartant la notion dâun sujet autonome, capable dâactions et de choix conscients. Dans cette logique, il critique lâuniversalisme bien plus que la mondialisation du capitalisme. Or si lâuniversalisme et la pensĂ©e rationnelle des LumiĂšres sont, selon nous, largement contestables pour les normes quâils ont permis dâimposer Ă toute la planĂšte dans le dessein de servir lâimpĂ©rialisme occidental (en prĂ©sentant le colonialisme et le patriarcat comme lĂ©gitimes et bĂ©nĂ©fiques y compris pour les peuples de couleur et pour les femmes), le fĂ©minisme et les mouvements antiesclavagistes et pacifistes nâen ont pas moins Ă©mergĂ© au XIXe siĂšcle dans leur sillage.
Les thĂ©ories postmodernes accordent qui plus est une grande importance aux structures, notamment linguistiques, et aux modĂšles de pensĂ©e, dâorganisation sociale et de comportement que celles-ci dĂ©terminent, mais pour en souligner le caractĂšre instable et temporaire â la rĂ©alitĂ© serait « prĂ©caire », plurielle et morcelĂ©e parce quâelle se confondrait avec les interprĂ©tations subjectives quâon en faitâŠ
Toutes ces idĂ©es peuvent prĂ©senter un intĂ©rĂȘt sur le plan intellectuel et ĂȘtre dĂ©battues, mais elles nâincitent vraiment pas Ă rechercher un changement social dâenvergure. AppliquĂ©es aux « questions de genre », elles ont dĂ©bouchĂ© sur une multiplication dâ« oppressions particuliĂšres » dans lesquelles celle des femmes sâest noyĂ©e â elles composent pourtant la majoritĂ© de la population â, et sur des analyses qui, en se focalisant frĂ©quemment sur les minoritĂ©s sexuelles, les rapports de « race » ou de genre, font perdre de vue les classes sociales et les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques reprĂ©sentĂ©s par celles-ci.
⹠Nous contestons la conception « moderne » du genre
Dans les annĂ©es 1970, il Ă©tait largement admis au sein du MLF que la sujĂ©tion des femmes sâĂ©tablissait sur la base de leur sexe biologique ; que cette sujĂ©tion permettait Ă la fois la reproduction de lâespĂšce et celle de la classe dominante, par la transmission des biens ; et quâelle servait les intĂ©rĂȘts du capitalisme en lui assurant gratuitement lâentretien de sa main-dâĆuvre. Pour que le masculin ne soit plus la norme de lâhumanitĂ©, il fallait donc supprimer le rĂŽle social attribuĂ© Ă chaque sexe.
Malheureusement, aprĂšs avoir Ă©tĂ© secouĂ©es par Mai 68 et les mobilisations suivantes, les institutions patriarcales ont vite retrouvĂ© leur position hĂ©gĂ©monique, et les universitaires sont devenu-e-s la nouvelle avant-garde intellectuelle qui, avec notamment la « thĂ©orie queer » et les « politiques de lâidentitĂ© », dĂ©fend son prĂ© carrĂ© et lâordre Ă©tabli.
En dĂ©formant la formule employĂ©e par Simone de Beauvoir dans Le DeuxiĂšme Sexe « On ne naĂźt pas femme, on le devient » et en recourant Ă un jargon des plus abscons rĂ©servĂ© aux initiĂ©-e-s, on nous assure Ă prĂ©sent, sur les pas de Judith Butler, que non seulement le genre mais aussi le sexe sont des constructions sociales arbitraires. En sâappuyant sur lâexception biologique des personnes intersexes, qui nâentrent ni dans la catĂ©gorie « hommes » ni dans la catĂ©gorie « femmes », on nous « dĂ©montre » que ces deux catĂ©gories ne correspondent pas Ă la diversitĂ© humaine. Sur lâargument que des personnes refusent le rĂŽle associĂ© Ă leur genre (gays, lesbiennes, bi, trans), on nous prĂ©sente celui-ci soit comme un choix (on pourrait lâadopter librement et le subvertir), soit comme une « essence » propre Ă chacun-e, indĂ©pendamment de son corps. Ce ne serait pas lâappartenance Ă une catĂ©gorie, mais le genre auquel on sâidentifie (une identitĂ© autodĂ©finie de façon positive) qui dicterait si on est marginalisĂ©-e par lâoppression patriarcale ou si on en bĂ©nĂ©ficie.
A partir du terme « cis- » ou « cisgenre », un nouveau vocable censĂ© rendre compte de lâĂ©chelle des oppressions, les femmes dites « cis- » se retrouvent placĂ©es en haut de cette Ă©chelle, juste en dessous des hommes dits « cis- », parce quâelles sont supposĂ©es bĂ©nĂ©ficier de leur « adĂ©quation entre leur sexe et leur genre assignĂ© ». Câest ainsi que mĂȘme une fĂ©ministe luttant pour lâabolition du genre qui lui a Ă©tĂ© assignĂ© peut ĂȘtre rangĂ©e parmi les dominant-e-sâŠ
De tels raisonnements reviennent selon nous, dâune part, Ă nier lâoppression spĂ©cifique des femmes puisque câest sur le rĂŽle social, ou genre, imposĂ© Ă elles que sâĂ©tablit une hiĂ©rarchie au profit des hommes ; dâautre part, Ă supprimer la base mĂȘme sur laquelle peut exister un mouvement fĂ©ministe (du latin femina, « femme »).
âą Nous rejetons la façon dont est utilisĂ©e lâ« intersectionnalitĂ© des oppressions »
Chaque personne est bien Ă©videmment confrontĂ©e, au cours de sa vie, Ă une multitude de dominations ou de discriminations, mais lâusage qui est fait des analyses intersectionnelles dĂ©veloppĂ©es Ă partir de cette rĂ©alitĂ© a des effets pervers :
1/ En ne prenant pas en compte les structures (Ă©conomiques, politiques, sociologiques) qui Ă©tablissent les dominations, on rĂ©duit le systĂšme dâoppression Ă des rapports interindividuels. On est de ce fait davantage dans la critique des normes par des personnes forgeant leur singularitĂ© que dans la critique de lâorganisation sociale. De plus, lâoppression est remplacĂ©e par le concept de « privilĂšges » (câest-Ă -dire les symptĂŽmes individualisĂ©s dâun systĂšme) ; et ces « privilĂšges » sont tenus pour Ă©quivalents, ce qui aboutit Ă un brouillage et Ă une dĂ©politisation des luttes Ă mener contre lâexploitation Ă©conomique et contre la domination masculine. Ainsi, on nous parle dâun privilĂšge « classiste » pour pointer la discrimination que certains « classistes » font subir aux personnes des classes infĂ©rieures, et non lâexistence des classes sociales ; et quoique ce privilĂšge dĂ©coule dâun systĂšme (le capitalisme), il est mis sur le mĂȘme plan quâun privilĂšge « validiste » (une personne valide par rapport Ă une personne handicapĂ©e). Pourtant, si un capitaliste a intĂ©rĂȘt Ă exploiter un travailleur, une personne valide ne gagne rien Ă discriminer une personne invalide, et il nâexiste pas dâexploitation spĂ©cifique des personnes invalides.
2/ En ayant comme objectif de changer les personnes une Ă une, et non les structures, on nuit Ă la construction dâune lutte contre les oppressions qui sâappuierait sur lâĂ©tude des processus sociaux globaux. DĂšs lors que tout le monde opprime plus ou moins tout le monde dâune façon ou dâune autre, la « politique » proposĂ©e est en effet une dĂ©construction individuelle toujours plus poussĂ©e, ou la constitution dâespaces safe dans lesquels aucune oppression ne sâexercerait.
3/ En figeant les individus en deux groupes, les dominant-e-s et les dominĂ©-e-s, et en affirmant lâinfaillibilitĂ© des dominĂ©-e-s, on en arrive Ă une absurde course aux dominations, puisque la personne la plus opprimĂ©e sera â mĂ©caniquement â celle qui aura le plus de pouvoir politique. On en vient Ă©galement Ă des raccourcis « thĂ©oriques » aussi grossiers que faux. Par exemple, considĂ©rer que les « femmes blanches » sont lâinstrument de la domination mĂȘme quand elles sont ouvriĂšres, ou lesbiennes ; ou qualifier les fĂ©ministes « blanches » de « bourgeoises », et vice versa : toutes les Blanches ne sont pas bourgeoises, et toutes les bourgeoises ne sont pas blanches.
4/ En culpabilisant les personnes, on introduit une forte moralisation du champ politique, la seule attitude autorisĂ©e pour les « dominant-e-s » politisĂ©-e-s Ă©tant dâĂȘtre de « bon-ne-s alliĂ©-e-s », autrement dit de se taire et de suivre la ligne dictĂ©e par les « concernĂ©-e-s ». Il ne sâagit donc plus de convaincre de façon rationnelle et politique, mais dâimposer son ressenti et de rĂ©duire au silence les personnes qui ne sont pas dâaccord avec.
Lâintroduction du postmodernisme dans le champ social a, on le voit, produit des « problĂ©matiques de lâidentitĂ© et de la fragmentation des luttes » plus axĂ©es sur le dĂ©corticage du prĂ©sent que sur sa transformation en vue dâun meilleur avenir social. Il en rĂ©sulte actuellement, dans les milieux dits radicaux, une valorisation du moi-sujet privilĂ©giant lâĂ©motion et le ressenti personnels comme seules possibilitĂ©s de discours, Ă©radiquant toute possibilitĂ© de critique plus globale. Mais lâextrĂȘme gauche et les libertaires se montrent Ă©galement assez permĂ©ables Ă cette problĂ©matique de lâidentitĂ© tournĂ©e sur une recherche obstinĂ©e de la diffĂ©rence ; la rĂ©fĂ©rence historique et thĂ©orique reprĂ©sentĂ©e par le monde ouvrier, lâexistence mĂȘme des classes populaires et la nĂ©cessitĂ© de lâanticapitalisme sont de ce fait trop souvent mises au second plan, voire oubliĂ©es â et ce au dĂ©triment de lâaction militante sur le terrain social.
Il faut bien sĂ»r, sur le plan personnel, chercher Ă vivre librement sa ou ses sexualitĂ©s, et lutter contre les rapports de domination dans les sphĂšres privĂ©e et publique, mais ce nâest pas en tenant les conflits de classes ou la critique de lâaliĂ©nation pour autant de ringardises, ou en dĂ©tachant les revendications sexuelles de la question sociale, quâon renversera lâordre Ă©tabli. Sâattaquer fondamentalement aux rĂŽles sociaux imposĂ©s, Ă la norme hĂ©tĂ©rosexuelle, aux fĂ©minicides, Ă la discrimination des trans ou Ă lâhomophobie implique de redonner toute leur place au critĂšre et aux analyses de classe, afin de pouvoir multiplier les pratiques de terrain efficaces contre notre ennemi, qui est comme hier le systĂšme patriarcal et capitaliste â et non juste les politiques « nĂ©olibĂ©rales » ou les comportements sexistes quâil produit et alimente. De mĂȘme, favoriser lâautonomisation des femmes implique non de les prendre en charge en les victimisant, notamment en les enfermant « pour leur sĂ©curitĂ© » dans quelque ghetto safe compatible avec le systĂšme en place, mais de les aider Ă se donner elles-mĂȘmes les moyens de leur Ă©mancipation.
Dans la dĂ©cennie 1970, la « rĂ©volution sexuelle » a Ă©tĂ© rĂȘvĂ©e comme un moyen de chambouler le systĂšme patriarcal â en contestant la norme hĂ©tĂ©rosexuelle et la possessivitĂ© dans les couples, on sâattaquait plus largement Ă toutes les structures de pouvoir. Cela nâa pas suffi : tandis que le systĂšme sâaccommode maintenant sans peine des revendications fĂ©ministes exprimĂ©es, les rapports entre les sexes continuent dâĂȘtre basĂ©s sur lâappropriation du corps de lâAutre et sur un acte de mariage ou de PACS, donc sur la propriĂ©tĂ© privĂ©e, et lâhĂ©tĂ©rosexualitĂ© demeure la rĂšgle. On constate que lâexigence de fidĂ©litĂ© nâest pas plus conditionnĂ©e Ă un contrat de mariage quâĂ lâhĂ©tĂ©rosexualitĂ©, et quâen dĂ©pit dâune libertĂ© sexuelle facilement claironnĂ©e cette fidĂ©litĂ© Ă©rigĂ©e en principe persiste. Or elle contribue au maintien de lâoppression fĂ©minineâŠ
En conclusion, nous restons convaincues que si lâon veut toujours en finir avec lâexploitation capitaliste et lâoppression patriarcale, si lâon ne croit toujours pas que la « dĂ©mocratie libĂ©rale » est le moins mauvais des systĂšmes, câest une vĂ©ritable rĂ©volution sociale que lâon doit viser !
Des membres de La Grotte, local anarchiste-communiste et féministe de Poitiers
Cette affiche devenue un symbole de la lutte fĂ©ministe a dâabord Ă©tĂ© un outil au service du capitalisme. Elle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e pendant la Seconde Guerre aux Etats-Unis pour pallier le manque de main-dâĆuvre masculine dans lâindustrie : le gouvernement et le patronat voulaient inciter les femmes Ă effectuer temporairement des « mĂ©tiers dâhomme », afin de favoriser la victoire amĂ©ricaine. Mais la grande campagne de propagande dont elle Ă©tait lâun des supports visait aussi Ă les dissuader de faire grĂšve ou de sâabsenterâŠ
Encart
Le postmodernisme, quâest-ce que câest ?
Câest par le terme de postmodernisme (ou de postmodernitĂ©) que lâon dĂ©signe le plus souvent notre Ă©poque ; mais sâil est beaucoup utilisĂ©, et parfois dans des contextes trĂšs diffĂ©rents, ce terme est trĂšs peu dĂ©fini. Issu des thĂ©oriciens des beaux-arts, il vise Ă la fin des annĂ©es 1970 les Ćuvres produites depuis lâexistence des mass media, et dĂ©crit en particulier le rapport nouveau que peuvent avoir lâartiste et le spectateur aux productions artistiques, du fait que les individus vivant dans les sociĂ©tĂ©s dites occidentales contemporaines sont constamment soumis Ă des images. Cette omniprĂ©sence des reprĂ©sentations entraĂźne un rapport constant Ă des citations, rĂ©fĂ©rences et esthĂ©tiques particuliĂšres (telles que le collage, le fragment), ou encore un rapport ironique aux prĂ©dĂ©cesseurs. Pour simplifier grossiĂšrement, ce qui est soulignĂ© lĂ est un peu la diffĂ©rence entre une personne contemplant dans un musĂ©e, au XIXe siĂšcle, une toile avec pour seul bagage ses souvenirs dâexpositions prĂ©cĂ©dentes et une autre qui, aujourdâhui, peut mettre en pause un film pour vĂ©rifier quâune de ses scĂšnes est bien extraite dâun autre film.
Mais la notion de postmodernitĂ© est entrĂ©e dans le champ politique avec dâautres thĂ©oriciens. Jean-François Lyotard, dans La Condition postmoderne, a dĂ©signĂ© par lĂ en 1979 un rapport nouveau au savoir et Ă lâinformation, qui nous rendrait hermĂ©tiques aux « grands rĂ©cits » (par exemple : Ă quoi bon vouloir faire la rĂ©volution quand on sait quâelle finira forcĂ©ment dans un bain de sang ?). Puis Fredric Jameson â toujours en sâappuyant sur les arts plastiques â y a vu, ainsi que le dit le titre de son essai sur la question en 1991, « la logique culturelle du capitalisme tardif ». « Je me dois de rappeler cette Ă©vidence au lecteur, y Ă©crit-il, Ă savoir que toute cette culture postmoderne mondiale, encore quâamĂ©ricaine, est lâexpression interne et superstructurelle dâune nouvelle vague de domination amĂ©ricaine, Ă©conomique et militaire, Ă travers le monde : en ce sens, comme dans toute lâhistoire des classes sociales, le dessous de la culture est le sang, la torture, la mort et la terreur. » Une remarque qui nâincite guĂšre Ă sâen revendiquerâŠ
En thĂ©orie politique, le postmodernisme a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© de maniĂšre assez floue par les mouvements hĂ©ritiers de la French theory (les Ă©tudes amĂ©ricaines qui ont dĂ©coulĂ© de la lecture des philosophes français Foucault, Derrida, Deleuze, etc.) et centrĂ© sur les identitĂ©s (de genre, de « race » ou dâautres oppressions). Le terme postmoderne (parfois abrĂ©gĂ© pomo) y voisine avec celui dâintersectionnalitĂ©, quand il ne se confond pas avec. Il est souvent utilisĂ© pour lĂ©gitimer les luttes individuelles au dĂ©triment de combats collectifs. Mais nâoublions pas que la façon dont on dĂ©signe une pĂ©riode est toujours marquĂ©e idĂ©ologiquement : la Belle Epoque nâĂ©tait belle que pour les bourgeois, et les Trente Glorieuses ne le sont surtout que pour lâEconomie. EspĂ©rons que le postmodernisme nâempĂȘchera pas la crĂ©ation dâutopies Ă grande Ă©chelle et ne nous confortera pas longtemps dans lâindividualisme.
Source: Oclibertaire.lautre.net