Le fait que chacun puisse, quelles que soit sa langue maternelle et ses facultĂ©s, comprendre et se faire comprendre de tous seraient un progrĂšs indĂ©niable. Pourtant, sâil est facile dâadmettre la nĂ©cessitĂ© dâune langue commune Ă lâhumanitĂ©, on ne voit la situation Ă©voluer de façon satisfaisante â quoiquâen disent les dĂ©fenseurs de lâanglais.
LâANGLAIS, LE MYTHE
Lâanglais est lâobjet dâun vĂ©ritable culte. Câest bien de culte quâil faut parler quand on voit des gens soutenir mordicus quâil est la langue internationale⊠alors quâils sont souvent incapables dâaligner une phrase. DerriĂšre le dogme, quelle est la rĂ©alitĂ© ?
La majoritĂ© dâentre nous nâa presque rien conservĂ© des annĂ©es passĂ©es Ă ingurgiter lâanglais au collĂšge et au lycĂ©e. Dâautres, une petite partie, peuvent le lire ou le comprendre avec plus ou moins de facilitĂ©, mais rencontrent dâimportantes difficultĂ©s quand il sâagit de sâexprimer. Ceux qui peuvent se vanter de le parler correctement sont une infime minoritĂ© (seul environ 1 % de bacheliers sont capables de tenir une conversation de niveau moyen).
Le plus dur Ă avaler est sans doute quâon nous a fait gaspiller une somme de temps et dâĂ©nergie considĂ©rable pour arriver Ă un rĂ©sultat aussi minable. Enfin, une grande partie de ce quâon a appris finit par se perdre, car la connaissance dâune langue Ă©trangĂšre fond vite si elle nâest pas entretenue par une pratique rĂ©guliĂšre.
PrĂ©sentĂ© depuis des dĂ©cennies par les milieux intello -politico-mĂ©diatique comme Ă©tant la solution Ă la communication internationale, lâanglais nâest quâune arnaque. La vraie solution existe : elle sâappelle lâespĂ©ranto.
BRĂVE HISTOIRE DE LâESPERANTO
Le philosophe Descartes fut le premier Ă concevoir lâidĂ©e de « langue universelle fort aisĂ©e Ă apprendre », mais il faudra attendre 1879 pour connaĂźtre la premiĂšre tentative sĂ©rieuse de concrĂ©tiser cette idĂ©e : câest le VolapĂŒk, Ćuvre dâun allemand, Johann Martin Schleyer. La langue connaĂźt un succĂšs aussi vif que bref. En effet, beaucoup de volapĂŒkistes trouvent la langue encore perfectible et rĂ©clament une rĂ©forme ; mais Schleyer ne lâentend pas de cette oreille et sây oppose, revendiquant sa paternitĂ©. Ce sera la cause principale de la chute. DĂ©sertĂ©, le VolapĂŒk tombe en dĂ©suĂ©tude.
Câest alors quâen 1887, un oculiste polonais du nom de Ludovik L. Zamenhof fait publier, sous le pseudonyme « Dr. Esperanto », une brochure jetant les bases dâune nouvelle langue internationale. La langue du docteur Esperanto (« celui qui espĂšre ») va vite devenir lâespĂ©ranto et se propager. Le mouvement espĂ©rantiste se dĂ©veloppe en partie sur les ruines du mouvement volapĂŒkiste, et on peut noter la forte participation libertaire dĂšs les dĂ©buts.
En 1905, une Ă©tape est marquĂ©e : le premier congrĂšs universel espĂ©ranto est organisĂ© Ă Boulogne-sur-Mer. Câest Ă cette occasion quâest créé le drapeau du mouvement : il est vert, avec une Ă©toile verte dans un rectangle blanc au coin supĂ©rieur gauche. Les congrĂšs universels, lieux de rencontres, de dĂ©bats et dâĂ©changes culturels se succĂ©deront chaque annĂ©e jusquâĂ nos jours (exceptĂ© les hiatus pendant les deux guerres mondiales). Le prochain a lieu Ă Zagreb en juin.
Le bilan culturel de lâespĂ©ranto est trĂšs positif : une littĂ©rature originale abondante avec ses romans, ses poĂšmes, son théùtre, etc. Depuis une vingtaine dâannĂ©es aussi, le dĂ©veloppement de la musique comme lâillustre le Festival Culturel et Artistique dâEspĂ©ranto qui a eu lieu lâĂ©tĂ© dernier Ă Toulouse.
Quant Ă la langue elle-mĂȘme, Zamenhof a eu lâintelligence dâabandonner ses droits et dâen faire don Ă la communautĂ© espĂ©rantophone. Elle sâest animĂ©e de sa propre vie, sâenrichissant considĂ©rablement (environ 15 000 nouveaux radicaux), Ă©voluant avec lâusage tout en gardant intactes ses structures fondamentales.
STRUCTURES DE LâESPERANTO
Pour prétendre à une utilisation internationale, une langue doit répondre à trois critÚres principaux :
â facilitĂ© : quâelle soit accessible Ă tous et avec le moindre effort ;
â souplesse : quâelle sâadapte au mode de pensĂ©e de toutes les cultures ;
â prĂ©cision : quâelle permette une expression fine et nuancĂ©e.
La grammaire que Zamenhof a choisie est dĂ©barrassĂ©e de toute rĂšgle arbitraire â et a fortiori de toute exception. Pas dâorthographe (un alphabet phonĂ©tique), une prononciation trĂšs rĂ©guliĂšre, pas de genre fĂ©minin ou masculin, pas de conjugaison, etc.
La terminaison dâun mot indique sa nature. Prenons lâexemple de parolo (parole) : le â o final lâidentifie comme Ă©tant un substantif. En le remplaçant par un â a, on obtient lâadjectif parola (oral) ; avec un â i, ce sera le verbe paroli (parler) ; un -e (Ăš), et on aura lâadverbe parole (oralement). Ce systĂšme prĂ©sente deux avantages :
â il Ă©conomise la mĂ©moire ;
â il permet de plier le langage Ă la pensĂ©e, Ă lâinverse de ce qui se passe souvent avec les langues naturelles : combien de fois nous est-il arrivĂ© dâĂȘtre confrontĂ©s Ă la difficultĂ© dâexprimer nos idĂ©es ou nos sentiments avec justesse ?
Ce systĂšme de dĂ©rivation est aussi exploitĂ© au moyen de la quarantaine de prĂ©fixes et suffixes qui modifient ou nuancent le sens du mot quâils accompagnent. Par exemple, libera signifie « libre ». En y ajoutant le suffixe â Ă©co, qui exprime lâidĂ©e de qualitĂ©, on obtient libereco (libertĂ©). Avec le prĂ©fixe mal- qui inverse le sens de la racine, on obtient mallibereco (quâon peut traduire approximativement par « servitude »). Ou alors, si on y ajoute â ano, on obtient liberecano (littĂ©ralement : « partisan de la libertĂ© ») autrement dit « libertaire ».
Ce trĂšs bref aperçu de la grammaire montre que lâespĂ©ranto rĂ©pond bien mieux aux critĂšres mentionnĂ©s que nâimporte quelle autre langue.
En ce qui concerne le vocabulaire, les exemples donnĂ©s ont montrĂ© quâil est essentiellement dâorigine latine et romane (environ 75 %). Mais il est aussi empruntĂ© aux langues germaniques (15 %), slaves (5 %), et dâautres origines (grec, arabe, hĂ©breux, etc. ). Ă ce sujet, on a souvent reprochĂ© Ă lâespĂ©ranto son eurocentrisme, vu comme la marque dâune Ă©poque colonialiste. Ceux qui avancent cet argument oublient en gĂ©nĂ©ral de faire la mĂȘme remarque Ă propos de lâanglais qui est pourtant beaucoup plus fermĂ©, et est de toute Ă©vidence le corollaire dâun impĂ©rialisme Ă©conomique. Toutefois, la critique est pertinente et mĂ©rite quâon y rĂ©ponde.
Multiplier les sources du vocabulaire et lâouvrir Ă des groupes de langues non europĂ©ennes est un choix qui se dĂ©fend, en thĂ©orie. Sa concrĂ©tisation est une tout autre chose, et le Lojban en est un parfait exemple. Mis au point dans les annĂ©es 50, le Lojban emprunte son vocabulaire aux six langues les plus parlĂ©es dans le monde : chinois, arabe, sanskrit, espagnol, anglais et russe. Le rĂ©sultat nâest absolument pas convaincant, car un texte Ă©crit en Lojban est presque totalement opaque, quâon soit anglais, chinois, etc. La majoritĂ© de la population sur Terre parle une langue qui est issue du latin ou en a Ă©tĂ© influencĂ©e : il est donc justifiĂ© dâen faire la source principale de la langue internationale.
Remarquons en passant que le mouvement espérantiste japonais est un des plus importants au monde.
UN ĂCHEC ?
On parle souvent de lâespĂ©ranto comme une relique du passĂ©, une curiositĂ© sans avenir. On ne peut parler dâĂ©chec pour tous ceux, de plus en plus nombreux, qui lâapprennent, le pratiquent et dĂ©montrent son efficacitĂ©. Pourtant, elle reste mĂ©connue et marginale. Si on ne peut accuser la langue elle-mĂȘme, si ses qualitĂ©s et sa valeur pratique sont indiscutables, comment peut-on expliquer cet Ă©tat de fait ?
Les premiers responsables sont ceux qui depuis plus dâun siĂšcle feignent de lâignorer, ou pire, dĂ©sinforment et calomnient en entretenant les prĂ©jugĂ©s, en employant les arguments les plus spĂ©cieux. On suggĂšre quâil aspire Ă devenir langue unique. On le qualifie pĂ©jorativement dâartificiel. On le prĂ©sente comme un simpliste mĂ©lange de langues. On proclame que lâanglais est universel. Tel est le discours tenu dans les mĂ©dias, chez les « intellectuels », les politiciens, le cadre Ă©conomiques. SĂ»r que nos Ă©lites nâont pas envie de voir disparaĂźtre leur anglais, langue internationale des privilĂ©giĂ©s !
On rĂ©pondra que certains dâentre eux se montrent favorables Ă lâespĂ©ranto : lâexemple le plus rĂ©cent est celui de Jack Lang. Devenue ministre de lâĂducation nationale, la question de lâintroduction de lâespĂ©ranto aux programmes scolaires (ne serait-ce que sous forme dâoption) est passĂ©e Ă la trappe. En effet, afficher de la sympathie pour lâespĂ©ranto ne coĂ»te rien et permet de soigner une image humaniste (et Ă©ventuellement de gagner quelques voix). Au-delĂ de quelques dĂ©clarations bienveillantes, la classe dominante nâa jamais voulu de lâespĂ©ranto et a tout fait pour le discrĂ©diter et retarder son dĂ©veloppement. Deux explications de son refus me paraissent importantes.
Il y a dâabord la volontĂ© de contrer lâinternationalisme. Câest connu : il faut diviser pour affaiblir. En affirmant lâidĂ©e de nation, câest-Ă -dire lâidĂ©e de communautĂ© regroupant sans distinctions bourgeois et travailleurs, dont les intĂ©rĂȘts dits « supĂ©rieurs » sâopposent Ă ceux des autres nations, on en vient de fil en aiguille Ă nier lâidĂ©e de classes sociales. Sous un aspect plus concret, lâenfermement des frontiĂšres nationales et linguistiques est un grave obstacle Ă la propagation des idĂ©es progressistes (et Ă plus forte raison des idĂ©es libertaires). Le pouvoir se sent plus Ă lâaise face Ă une population peu Ă©duquĂ©e, or lâespĂ©ranto reprĂ©sente un facteur dâĂ©lĂ©vation culturelle certain : on peut donc comprendre son hostilitĂ© Ă une langue internationale.
La deuxiĂšme explication rĂ©side dans la volontĂ© de garder un maximum de contrĂŽle sur lâinformation. En effet, celle-ci circule dâabord entre les mains des grands mĂ©dias, professionnels et marchands de lâinfo. Câest leur rĂŽle de choisir, parmi ce qui se passe dans le monde, ce qui mĂ©rite dâĂȘtre dit (et donc ce qui peut ĂȘtre tu) et comment cela doit ĂȘtre dit. Ils filtrent lâinformation dans leurs intĂ©rĂȘts⊠les mĂȘmes que ceux de la classe dominante. Il leur serait gĂȘnant de voir une langue favorisant lâinformation libre et directe, une langue qui permettrait de les court-circuiter.
BREFâŠ
Parce quâil est un outil dâĂ©mancipation, quâil diffuse les idĂ©es dâinternationalisme et dâhumanisme, nous avons tout intĂ©rĂȘt Ă soutenir lâespĂ©ranto en le faisant connaĂźtre, en lâapprenant et en le pratiquant. Plus nombreux nous serons Ă nous en servir, plus vite le bilinguisme universel parviendra Ă sâimposer. Nâattendons pas que les « officiels » le fasse Ă notre place, car nous risquons dâattendre longtemps !
APPRENDRE LâESPERANTO
On a le choix entre la bonne vieille mĂ©thode et la mĂ©thode « jeunes ». La premiĂšre consiste Ă entrer en contact avec une organisation ou un club espĂ©rantiste pour sâacheter un manuel, suivre des cours locaux ou par correspondance. La seconde est de consulter les cours gratuits diffusĂ©s sur Internet. Voici donc une liste dâadresses Ă contacter :
§ Unuigho franca por Esperanto (Union française pour lâEspĂ©ranto) : se prĂ©sente comme apolitique. 4 bis, rue de la Cerisaie, 75004 Paris.
§ SAT-Amikaro (amicale de SAT, lâAssociation mondiale et anationale): rassemble diverses tendances de gauche, dont une fraction libertaire qui Ă©dite un bulletin (Liberecana Ligilo, trait dâunion libertaire). Plus active et moins Ă©litiste que la prĂ©cĂ©dente. 67, avenue Gambetta, 75020 Paris.
§ Esperanto Kultur-centro (Centre culturel dâEspĂ©ranto) : association toulousaine dont le local rassemble une bibliothĂšque de livres en langue internationale et de nombreux revues et journaux. Permanence : le mardi de 17 h Ă 19 h, 1 rue Jean Aillet. Envoyez la correspondance chez canal sud, 40 rue Alfred DumĂ©ril, 31000 Toulouse.
§ Liberecana Esperanto-Grupo : groupe anarcho-espérantiste de Toulouse (c/o Canal Sud, 40 rue Alfred Duméril, 31000 Toulouse).
Sur Internet : absolument incontournable est le site dâinformation multilingue www.esperanto.net.
Paru dans le numéro 23 du journal des JL « Il était une fois la révolution, con ! »
Source: Jeuneslibertaires.noblogs.org