Je me prends pour un personnage dâune nouvelle de Haruki Murakami . En DĂ©cembre 2014, jâavais chroniquĂ© un spectacle adaptĂ© de la nouvelle Sommeil au Théùtre de lâĆuvre avec Nathalie Richard. Jâai relu cette chronique qui me parait rĂ©sumer justement le propos de Haruki Murakami. Il y manque cependant lâampleur, le zeste de folie, la pirouette, enfin ce mouvement de la pensĂ©e qui rĂ©siste Ă lâanalyse, au raisonnement.
Haruki Murakami a une perception de la condition humaine somme toute assez proche de celle de Camus ou de Sartre dans leurs romans respectifs, LâĂtranger ou La NausĂ©e.
La vie de ces personnages semble Ă ce point programmĂ©e par toutes ces actions qui ponctuent irrĂ©mĂ©diablement la journĂ©e : lever, petit dĂ©jeuner, douche, bureau, dĂ©jeuner etc⊠que les protagonistes finissent malgrĂ© eux par sâenliser, se dĂ©personnaliser en quelque sorte et sâoublier.
Lâart de sâoublier ! Lâunivers de Haruki Murakami nâest guĂšre joyeux. Tout se passe pourtant comme si lâauteur se rĂ©jouissait de tendre au lecteur une page de vie qui ne serait que la face immergĂ©e ou visible de lâiceberg inimaginable, inatteignable.
photo dâAndrĂ© Mouton
Sa technique est trĂšs instructive. Je lâimagine volontiers observer le monde comme on regarde Ă lâenvers un cafard agiter malheureusement ses pattes.
Il balance le pendule de tous ces repĂšres qui nous rattachent Ă la rĂ©alitĂ© jusquâĂ satiĂ©tĂ©. A la fin, il y a toujours quelque chose qui cloche et le lecteur qui sâidentifie au personnage le plus souvent ordinaire, ne sait si câest lui-mĂȘme qui cloche ou la rĂ©alitĂ© ou son ombre.
Tirer par le manche cela qui dĂ©passe ou cela qui nous fait de lâombre. Quel intĂ©rĂȘt y a-t-il Ă vouloir repĂȘcher son ombre dans le puits ?
Sâagit-il dâespĂ©rer un sursaut de sa petite conscience qui entend sâentendre dĂ©glutir avant de sâĂ©teindre ? Câest le couac de lâestomac, le rĂŽt, le sourire, le ventre qui se soulĂšve, le gloussement de la dinde. Quand mĂȘme lâodeur du vomi devient salutaire.
Vous me direz que jâexagĂšre. Câest quâil y a un trop plein, un trop plein du mode machine comme si nous ne savions plus penser avec notre corps, nos doigts, nos mains, nos nerfs, parce que nous sommes cernĂ©s par nos blablas, nos formules creuses, le quâen dira-t-on, alors que nous voudrions crever lâĂ©cran, ĂȘtre physiquement dans ce monde sans autre intermĂ©diaire que notre peau !
Eze, le 10 Janvier 2021
Evelyne TrĂąn
Source: Monde-libertaire.fr