Poma de discorde
Article recopiĂ© quâon nous a envoyĂ©, publiĂ© Ă lâorigine dans le Postillon n58, bimestriel dĂ©cembre 2020 â janvier 2021, journal papier.
Enfin ! AprĂšs plus de 45 ans de lobbying, lâentreprise Poma basĂ©e Ă Voreppe tient enfin son transport par cĂąble dans lâagglomĂ©ration grenobloise. Avec la future liaison entre Fontaine et Saint-Martin-le-Vilnoux, annoncĂ©e pour 2024 aprĂšs le vote favorable de la mĂ©tropole, le « leader mondial du transport par cĂąble » parviendra Ă imposer ses pylĂŽnes Ă domicile, pour le plus grand bonheur de son chiffre dâaffaires en croissance constante.
Le saviez vous ? Il y a presque cinquante ans, la sociĂ©tĂ© Poma et les Ă©lus avaient un curieux projet pour dĂ©velopper les transports collectifs Ă Grenoble : Le Poma 2000. « EntiĂšrement automatique, il Ă©tait constituĂ© de cabines autonomes de 23 places dont 10 assises. Les cabines se seraient succĂ©dĂ©es Ă des intervalles de 14 secondes ce qui devait permettre un dĂ©bit de 3800 passagers par heure. Lâinfrastructure aurait Ă©tĂ© constituĂ©e dâun cĂąble horizontal entre chaque station, dotĂ©e chacune dâun quai de 10 mĂštres et dâun tapis roulant dâembarquement, et de voies de guidage pouvant ĂȘtre positionnĂ©es au sol mais prĂ©vues dans Grenoble pour ĂȘtre aĂ©riennes. »
Dans les annĂ©es 1970, des tests furent mĂȘme effectuĂ©s pour les 3 lignes en projet dans des champs Ă cĂŽtĂ© du quartier de la Villeneuve en construction. Certains immeubles furent construits en laissant le passage possible aux cabines suspendues, comme on peut encore le voir rue HĂ©bert. Mais finalement, le projet capota, notamment Ă cause de son coĂ»t rĂ©dhibitoire pour lâĂ©poque (25 millions de francs par km en 1974).
Alors la ville a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e pour la bagnole, seulement concurrencĂ©e par le tram Ă partir des annĂ©es 1980. Mais, Poma nâa jamais lĂąchĂ© lâidĂ©e de faire un pĂ©riphĂ©rique urbain dans lâagglomĂ©ration grenobloise, lieu de son siĂšge social (aprĂšs avoir longtemps eu ses bureaux Ă Fontaine, elles les a dĂ©mĂ©nagĂ©s Ă Voreppe). Lâentreprise vend des pylĂŽnes, des cĂąbles et des cabines partout Ă travers le monde, de News York Ă MĂ©dellin, en passant par Toulouse ou les montagnes du Caucase ou de Chine. Et rien dans lâagglomĂ©ration grenobloise, exceptĂ©es ces vieilles bulles de la Bastille. Les tĂ©lĂ©phĂ©riqueurs sont-ils toujours les plus mal tĂ©lĂ©phĂ©riquĂ©s?
Pourtant, depuis cet abandon du Poma 2000, de nombreux projets de transport par cĂąble ont fait parler dâeux dans le coin. Des tĂ©lĂ©phĂ©riques Grenoble-Chamrousse, Crolles-Brignoud, Meylan-Saint Martin DâHĂšres ou Echirolles-Vizille, ont Ă©tĂ© plus ou moins rĂ©guliĂšrement Ă©voquĂ©s.
Plus rĂ©cemment, en mars 2012, la mĂ©tro avait « pĂ©tĂ© un cĂąble » en annonçant par surprise quâun tĂ©lĂ©phĂ©rique reliera lâagglomĂ©ration au plateau du Vercors Ă la fin 2014. Le boss de la cuvette de lâĂ©poque, le socialiste Marc Baietto, avait annoncĂ© quâil fallait « surtout Ă©viter que ce soit un Ă©lĂ©ment de dĂ©bat au moment des municipales de 2014 ». Las ! Lâopposition dâune grande partie des habitants du plateau, dont certains voyaient dans ce transport supposĂ© Ă©colo une façon dâaccĂ©lĂ©rer lâurbanisation de leur montagne, a eu raison du projet qui a Ă©tĂ© dĂ©finitivement abandonnĂ© en septembre 2014.
Mais si ce projet de liaison a Ă©tĂ© mis de cĂŽtĂ©, le lobbying pour le tĂ©lĂ©phĂ©rique urbain a continuĂ© intensĂ©ment, notamment par la voix de Baietto, qui dĂ©clarait dans le daubĂ© (30/08/2013) : « si le transport par cĂąble ne se fait pas dans le Vercors, on le fera ailleurs. Si les habitants du Vercors nâont pas besoin de dĂ©velopper le tourisme et lâattractivitĂ© de leur territoire, eh bien on ira dans la Chartreuse ou dans Belledonne. »
Finalement, la MĂ©tro nâest pas « allĂ©e » en Chartreuse ou en Belledonne, sans doute par crainte de futures oppositions, mais a prĂ©fĂ©rĂ© rester sur son territoire pour lancer son premier tĂ©lĂ©phĂ©rique urbain. Le trajet concoctĂ© en a surpris plus dâun, son seul intĂ©rĂȘt Ă©tant de survoler des zones peu habitĂ©es, ce qui facilite grandement son « acceptation ». Car sinon, comment comprendre la volontĂ© de relier Fontaine Ă Saint-Martin-Le-Vilnoux, un trajet incongru et en tout cas beaucoup moins encombrĂ© que celui des entrĂ©es dans Grenoble ?
Le principal problĂšme rencontrĂ© par Poma pour faire grossir son chiffre dâaffaire dans les villes est bien celui de lâ« acceptation », selon son PDG Jean Souchal, rĂ©pondant Ă DĂ©cideurs magazine (14/10/2020). Il poursuit : « le transport par cĂąble est aujourdâhui perçu comme une solution concrĂšte. Alors que personne nây pensait il y a 20 ans. Les 2 derniĂšres dĂ©cennies ont permis aux amĂ©nageurs de se dire : oui, il y a aussi des solutions Ă cĂąble. Lâaccompagnement lĂ©gislatif et Grenelle, Grenelle 2 plus prĂ©cisĂ©ment, ont dĂ©crĂ©tĂ© que le transport par cĂąble Ă©tait vertueux. Il y a eu une conscience politique forte. Cela a permis la modification de la loi de 1941 sur le survol des propriĂ©tĂ©s. » Si la « conscience politique » sur le transport par cĂąble est aujourdâhui si forte, câest notamment grĂące au travail intense de lobbying menĂ© par Poma, qui ne sâen cache pas. « On veut rĂ©volutionner le transport urbain », affirme Jean Souchal dans Capital (02/01/2012). Dans la loi du 3 aoĂ»t 2009 du Grenelle de lâenvironnement, il est inscrit que pour « lutter contre le changement climatique », « lâĂtat encouragera Ă©galement le transport par cĂąble ».
En 2015, Poma lance avec le gĂ©ant du BTP Eiffage le projet I2TC (Interconnexions Transports en Commun et Technologies cĂąbles) qui consiste « Ă adapter le systĂšme de transport par cĂąble, bien connu Ă la montagne, aux contraintes et enjeux de la ville moderne ». Un lobbying financĂ© par lâargent public : ce projet « dâun montant global de 4,3 millions dâeuros, bĂ©nĂ©ficie dâune aide de 1,6 millions dâeuros versĂ©e par le fond unique interministĂ©riel, la ville de Paris, les rĂ©gions Ile de France et RhĂŽne-alpes ».
Depuis, lâentreprise tente de convaincre les collectivitĂ©s de parsemer leurs villes de tĂ©lĂ©phĂ©riques. « Pour une ville, construire des tĂ©lĂ©cabines (15 Ă 20 millions dâeuros seulement) coĂ»te 10 fois moins cher quâun mĂ©tro » sâemballe Souchal dans Capital (02/01/2012). Des affirmations qui mĂ©ritent dâĂȘtre complĂ©tĂ©es : en fait le tĂ©lĂ©cabine de Grenoble ne coĂ»tera pas « 15 Ă 20 millions dâeuros seulement », mais au moins 65 millions dâeuros pour seulement 3,7 km. Mais quand on aime on ne compte pas â ou mal. Car si le cĂąble est effectivement moins cher au km que le tramway, il transporte par contre beaucoup moins de monde. Dans la guerre dâinfluence que se livrent les promoteurs du cĂąble, du tram ou du mĂ©tro, les chiffres sont triturĂ©s dans un sens ou dans lâautre.
Lâargument ultime des Ă©lus pour dĂ©fendre le choix du cĂąble est quâil permet de franchir 2 riviĂšres, une ligne de train, une autoroute, ce qui serait effectivement beaucoup moins facile pour un tramway. Mais, outre le fait que ce trajet absurde nâa jamais Ă©tĂ© rĂ©clamĂ© par personne, on pourrait tout autant le faire, si on veut rester dans le champ de la « mobilitĂ© dĂ©carbonĂ©e » â câest-Ă -dire turbinant au nuclĂ©aire â avec des trolleybus grĂące aux ponts dĂ©jĂ existants. Mais câest vrai que ces bons vieux trolleybus ne seraient pas Ă la hauteur de « lâenjeu dâattractivitĂ© Ă©conomique, de dynamisme territorial, de marque territoriale » dont parlait lâĂ©colo Mongaburu pour dĂ©fendre le mĂ©trocĂąble au conseil mĂ©tropolitain du 02/02/2016.
Il est en tout cas certain que ce genre de projet a bien plus Ă voir avec le marketing quâavec lâĂ©cologie. Comme tous les grands pollueurs qui se respectent, lâindustriel abuse du mot « dĂ©veloppement durable » dans sa propagande.
Le dernier « challenge » de Poma a Ă©tĂ© dâĂ©quiper en cabine la « plus grande roue dâobservation du monde » Ă DubaĂŻ aux Ămirats Arabes Unis. En 2012, les mĂȘmes sâenorgueillissaient dĂ©jĂ dâavoir rĂ©alisĂ© la « plus grande roue du monde » Ă Las Vegas, qui sera « la vedette dâune zone de divertissement de 27 000 mÂČ Â». 2 ans auparavant, Ă grand renfort de communication pour cette « 1Ăšre mondiale », Poma a Ă©difiĂ© un funiculaire hermĂ©tique entre 2 salles blanches du CEA Grenoble dont toute lâutilitĂ© consiste Ă permettre aux chercheurs de gagner 15 minutes en Ă©vitant de se dĂ©shabiller. En 2014, la boite isĂ©roise a Ă©tĂ© choisie pour construire le funiculaire qui descendra les dĂ©chets radioactifs au trĂšs controversĂ© centre dâenfouissement de Bure.
Mais lâessentiel du business de Poma est ailleurs, dans la conquĂȘte de nouveaux marchĂ©s dans les pays qui ne connaissent pas encore le supplĂ©ment esthĂ©tique offert par les stations de ski. AprĂšs avoir recouvert les montagnes françaises et europĂ©ennes de pylĂŽnes et de cabines, Poma sâattaque maintenant aux autres continents. Lâargent nâayant pas dâodeur, Poma accepte sans rechigner les pĂ©tro-dollars de DubaĂŻ, comme les gazo-roubles de Moscou. En ligne de mire : lâAmĂ©rique latine, lâAsie, la Russie, le Caucase. De partout, des pylĂŽnes, des cĂąbles, des cabines, du « dĂ©veloppement » enterrant Ă grands coups de bulldozers toute prĂ©tention de « durable ».
12/12/2020
POMA
Source: Bureburebure.info