DâaprĂšs nos informations, confirmĂ©es par Le Parisien â dans un article qui constitue, par ailleurs, un cas dâĂ©cole du « journalisme de prĂ©fecture »1 -, le policier tireur a Ă©tĂ© mis en examen pour « homicide volontaire ». Une qualification trĂšs rare dans ce genre dâaffaires. Il a Ă©galement Ă©tĂ© placĂ© sous contrĂŽle judiciaire et fait lâobjet dâune interdiction dâexercer la profession, de se rendre dans les Yvelines et de porter une arme.
Ă Argenteuil, oĂč Olivio a grandi, et dans le quartier Beauregard Ă Poissy, oĂč il vivait, la nouvelle a Ă©tĂ© accueillie avec soulagement. Mais les questions et frustrations demeurent. La tristesse dâavoir perdu un ĂȘtre cher, un « exemple, aimĂ© de tous », se mĂȘle Ă la colĂšre froide suscitĂ©e par les circonstances de ce crime et son traitement mĂ©diatique.
En effet, quelques heures seulement aprĂšs le dĂ©cĂšs de ce pĂšre de famille, se fondant sans recul sur la version officielle, de nombreux journaux titraient « un chauffard abattu par un policier » et faisaient mention dâune « folle course-poursuite ». Tous ont repris la thĂšse selon laquelle le policier aurait agi en Ă©tat de « lĂ©gitime dĂ©fense » face Ă un conducteur qui, nous a-t-on dit, voulait lui « foncer dessus ». ProblĂšme ? Tout ceci est mis en cause par les rĂ©cits de deux tĂ©moins oculaires, passagers de sa voiture au moment des faits. Et les premiers Ă©lĂ©ments de lâenquĂȘte leur donnent plutĂŽt raison.
Que sâest-il passĂ© ?
Ce soir-lĂ , Olivio Gomes part rejoindre des amis, dâabord Ă la DĂ©fense puis Ă Paris, pour profiter dâune derniĂšre soirĂ©e avant le dĂ©but du couvre-feu. Deux de ses proches, Nabil* et Sofiane*, lâaccompagnent. Ils feront les trajets aller et retour ensemble, dans la Clio 3 conduite par Olivio. Avant de regagner leurs domiciles, dans les Yvelines, ils dĂ©cident dâaller acheter de quoi manger. Il est minuit passĂ©. Alors quâils se trouvent devant un restaurant de la capitale, une premiĂšre patrouille de police les arrĂȘte. « Ils nous ont demandĂ© ce quâon faisait lĂ , on leur a expliquĂ© et ils nous ont laissĂ©s partir. Ils nous ont juste rappelĂ© le couvre-feu et nous ont dit que comme câĂ©tait le premier soir, ils faisaient surtout de la prĂ©vention » raconte Nabil. Lâinteraction â dont on a pu penser au dĂ©but quâelle avait un lien avec la suite des Ă©vĂ©nements â nâira pas plus loin. Les yvelinois ne comptent de toute façon pas sâattarder.
« Il voulait absolument ramener la voiture à sa femme »
AprĂšs avoir passĂ© leurs commandes, ils prennent donc la route pour rentrer chez eux. DâaprĂšs le parquet de Versailles, câest Ă la suite de « manoeuvres erratiques », sur le boulevard pĂ©riphĂ©rique, que la voiture aurait alors Ă©tĂ© repĂ©rĂ©e par une patrouille de la Brigade Anti-CriminalitĂ© de Paris. Dans sa dĂ©position Ă lâIGPN, Nabil expliquera que ces mouvements Ă©taient dus Ă un problĂšme de parallĂ©lisme des roues du vĂ©hicule. Une anomalie qui peut, effectivement, entraĂźner une certaine instabilitĂ©. Le parquet a, pour sa part, demandĂ© des analyses toxicologiques du dĂ©funt. Les rĂ©sultats sont encore attendus.
Ce qui est sĂ»r, câest que la voiture dâOlivio fait une lĂ©gĂšre embardĂ©e sur son trajet. Et que trois hommes non-blancs y siĂšgent2. LâĂ©quipage de la BAC se met donc Ă suivre la Clio. Câest lĂ que les premiĂšres divergences de rĂ©cit apparaissent. Selon la version des policiers, relayĂ©e telle quelle par la presse le lendemain du drame, une « course-poursuite » se serait dĂšs lors engagĂ©e sur « plus de 25 km », de Paris Ă Poissy. Nabil dĂ©ment formellement : « nous, au dĂ©but, on ne sâĂ©tait mĂȘme pas rendu compte que la BAC nous suivait, il nây avait rien qui permettait de les identifierâŠcâest quand ils ont mis le gyrophare quâon sâest dit quâil y avait un souci. Mais on avait dĂ©jĂ fait un gros bout du chemin. »
DâaprĂšs lui et Sofiane, lâautre passager, ce nâest quâun peu avant la bifurcation A12/A13, dans les Hauts-de-Seine donc, que la voiture de police aurait commencĂ© Ă se manifester. Olivio allume alors les feux de dĂ©tresse pour faire comprendre Ă lâĂ©quipage qui le suit quâil a bien compris leurs injonctions et quâil va sâarrĂȘter. Il le crie dâailleurs aux policiers qui ont placĂ© leur vĂ©hicule Ă cĂŽtĂ© du sien pour lui faire signe de se ranger sur le cĂŽtĂ©. « Quand ils se sont mis Ă notre niveau, Olivio leur a indiquĂ© avec son bras quâil allait sortir Ă la prochaine, et on leur a dit quâon nâĂ©tait pas en train de faire une chasse, quâon allait rouler tranquille et sâarrĂȘter » explique Nabil. « Olivio aurait pu sâarrĂȘter tout de suite » poursuit-il « mais il voulait absolument ramener la voiture en bas de chez lui pour ĂȘtre sĂ»r que sa femme lâait le matin et quâelle puisse lâutiliser pour les enfants ».
Si Olivio prend cette disposition, câest sans doute quâil nâexclut pas la possibilitĂ© dâĂȘtre arrĂȘtĂ© et placĂ© en garde Ă vue. En effet, il roule sans permis â ce dernier ayant Ă©tĂ© annulĂ©. Pour autant, il ne prend pas la fuite. Selon les derniers Ă©lĂ©ments de lâenquĂȘte, on sait dâailleurs quâil roulait sans excĂšs, entre 80 et 110km/h sur lâautoroute, ne dĂ©passant jamais les limitations de vitesse. « On pensait vraiment que la police avait compris nos signaux, quâils nous suivaient normalement et quâils allaient nous interpeller dans le quartier, une fois garĂ©s » indique Nabil. Aussi, la thĂšse de la tentative de fuite interroge. Elle interroge dâautant plus que dâune part, la voiture est immatriculĂ©e au nom de lâĂ©pouse dâOlivio Gomes â il aurait donc Ă©tĂ© retrouvĂ© dans tous les cas â et, dâautre part, il ramĂšne la police⊠jusquâen bas de chez lui. Ses proches questionnent Ă©galement lâabsence de renforts policiers. « Si câĂ©tait vraiment une course-poursuite, et sur un aussi long trajet, pourquoi nâont-ils pas appelĂ© des collĂšgues ? Pourquoi nâont-ils pas fait en sorte quâil y ait un barrage routier ? » demande Silvia*, lâune des cousines dâOlivio. Sur ce dernier point, la brigade affirme que sa « Radio Police » Ă©tait en panne ce soir-lĂ ; elle nâaurait donc pas pu demander lâintervention de policiers des Yvelines. Une rĂ©ponse qui ne convainc pas du tout les proches dâOlivio.
Le policier tire 3 coups de feu, Ă bout pourtant
Les deux vĂ©hicules vont se suivre jusque dans le quartier Beauregard, Ă Poissy. Câest lĂ que vivent Olivio, sa femme et leurs trois enfants ĂągĂ©s de 5, 4 et 1 ans. DâaprĂšs le tĂ©moignage des deux amis qui lâaccompagnaient, il aurait alors quittĂ© la chaussĂ©e et placĂ© sa voiture sur un trottoir, sur lâun des emplacements prĂ©vus pour le stationnement des rĂ©sidents. Il insiste sur le fait que son ami sâest arrĂȘtĂ© de lui-mĂȘme sur ce parking et que, contrairement Ă ce qui a Ă©tĂ© rapportĂ© par plusieurs mĂ©dias, il nâa pas « perdu le contrĂŽle », ni « embouti une voiture garĂ©e sur la chaussĂ©e ». Selon lui, câest le vĂ©hicule de la BAC qui serait venu taper la Clio dâOlivio : « en fait, il allait pour se garer mais la voiture de police est arrivĂ©e et lâa collĂ© sur le cĂŽtĂ©. Ils ont percutĂ© le cĂŽtĂ© conducteur, pas fort hein⊠mais ils ont bloquĂ© sa portiĂšre. »
Câest lĂ que lâagent mis en cause sort de sa voiture. Tout se passe extrĂȘmement vite, en quelques secondes. Le policier intime aux trois amis de ne pas « faire les cons » et de sortir de leur Clio « immĂ©diatement ». Dans leur premiĂšre dĂ©position â lĂ encore, largement reprise par la presse â les fonctionnaires prĂ©tendaient quâOlivio avait tentĂ© de foncer sur lâun dâeux, obligeant ce dernier Ă faire usage de son arme pour se protĂ©ger. Une version mise Ă mal, dâune part, par les tĂ©moignages prĂ©cieux de Nabil et Sofiane, qui ont racontĂ© exactement la mĂȘme chose, une dizaine de fois, aux enquĂȘteurs qui les ont interrogĂ©s et, dâautre part, par les rĂ©sultats de lâautopsie et de la balistique.
Les deux tĂ©moins sont formels : contrairement Ă ce qui a Ă©tĂ© dit donc, Ă aucun moment le policier ne sâest trouvĂ© devant le vĂ©hicule dâOlivio et Ă aucun moment, il ne sâest trouvĂ© en danger. Il Ă©tait positionnĂ© dans la zone latĂ©rale gauche de la voiture conduite par Gomes. Et câest lorsque ce dernier a tentĂ© de redĂ©marrer sa Clio, pour lâavancer, que lâagent lui a tirĂ© dessus. Ă bout portant. Ă trois reprises. Les balles ont brisĂ© la vitre du conducteur et touchĂ© son Ă©paule et omoplate gauches. LâĂ©tude de la trajectoire balistique et des impacts sur le corps du dĂ©funt ont ainsi aidĂ© Ă dĂ©terminer la position exacte du tireur. Ă ce stade, on sait donc que lâagent ne faisait pas face au vĂ©hicule et quâil Ă©tait sur le cĂŽtĂ©. On sait aussi que la voiture du pĂšre de famille a lĂ©gĂšrement bougĂ©. « En fait, Olivio venait Ă peine dâappuyer sur lâaccĂ©lĂ©rateur quâon a entendu les coups de feu » raconte Nabil, encore sous le choc. Il ne saurait dire prĂ©cisĂ©ment pourquoi son ami a voulu avancer mais il balaie avec certitude lâaccusation de « tentative dâhomicide sur agent » dont il a Ă©tĂ© question au dĂ©but de lâenquĂȘte : « câest allĂ© super vite, franchement, peut-ĂȘtre quâOlivio a paniquĂ© en voyant comment Ă©taient les policiers⊠mais câest surtout que sa portiĂšre Ă©tait bloquĂ©e, il Ă©tait obligĂ© dâavancer la voiture pour en sortir⊠et câest ce quâon lui avait demandĂ© ».
Il ne comprend toujours pas pourquoi le policier a utilisĂ© son arme. Il rĂ©pĂšte en boucle que vu sa position, la configuration du lieu et la trajectoire potentielle dâOlivio â Ă savoir en ligne droite, puisque bloquĂ© par le vĂ©hicule de la BAC Ă gauche et par les voitures stationnĂ©es Ă sa droite -, lâagent nâĂ©tait pas en danger. Il se dit, par ailleurs, quâĂ©tant donnĂ© la proximitĂ© du policier et son angle de tir, il ne pouvait pas ignorer quâil toucherait Olivio aussi gravement. « Je me rejoue la scĂšne depuis vendredi. Je vais le dire comme je le pense : il a tirĂ© pour tuer ». Ă noter que, comme nous lâapprend Le Parisien, cet agent de police, ĂągĂ© de 29 ans, a rejoint les forces de lâordre en 2013, quâil avait Ă©tĂ© affectĂ© Ă la BAC en septembre, et quâil est « moniteur de tir dans le cadre de ses activitĂ©s privĂ©es ».
Source: Brest.mediaslibres.org