Le 17 aoĂ»t 1945, Animal Farm (La Ferme des animaux) de George Orwell, paraissait chez Secker & Warburg, aprĂšs 18 mois de contretemps et de difficultĂ©s. Cette violente critique du stalinisme avait Ă©tĂ© refusĂ©e par plusieurs Ă©diteurs, alors que la Grande-Bretagne Ă©tait alliĂ©e Ă lâURSS. En 1947, Orwell Ă©crivit une prĂ©face pour lâĂ©dition ukrainienne de son livre dans laquelle il rĂ©sumait explicitement ses intentions : « Rien nâa plus contribuĂ© Ă corrompre lâidĂ©al socialiste initial que de croire que lâUnion soviĂ©tique Ă©tait un pays socialiste. » Il poursuivait : « Je suis convaincu quâil est indispensable de dĂ©truire le mythe soviĂ©tique si nous voulons assister Ă la renaissance du mouvement socialiste [1]. » Difficile de faire plus clair et moins circonstanciel !
AprĂšs la mort dâOrwell en 1950, la « guerre froide » changea la donne. Lu Ă travers les ĆillĂšres de la propagande, La Ferme des animaux intĂ©ressait dĂ©sormais les services amĂ©ricains et britanniques dans leur croisade contre lâURSS. Ils allaient obtenir de la veuve de lâĂ©crivain les droits pour lâadapter en dessin animĂ© et en bande dessinĂ©e â les AmĂ©ricains sâoccupant du premier, les Britanniques de la seconde.
Câest cette bande dessinĂ©e en crĂ©ole mauricien et sa traduction en français qui est aujourdâhui proposĂ©e, accompagnĂ©e dâune mise au point historique de Patrick Marcolini, qui Ă©claire non seulement sur les intentions dâOrwell et les alĂ©as du roman durant la guerre froide, mais aussi sur les circonstances de sa réédition au dĂ©but des annĂ©es 1970.
Cette bande dessinĂ©e, fidĂšle au roman, pose, au-delĂ de ces pĂ©ripĂ©ties Ă©ditoriales, le problĂšme essentiel de notre rapport Ă la vĂ©ritĂ© â une idĂ©e essentielle malmenĂ©e sous les coups des Ătats, des grandes entreprises et de tous les fabricants dâopinion Ă leur service. Dans ce cas, la question est : lâUnion soviĂ©tique Ă©tait-elle un rĂ©gime socialiste ? Et question subsidiaire : un rĂ©gime qui opprime les classes populaires et persĂ©cute les rĂ©volutionnaires peut-il lâĂȘtre ? Au contraire, câest la question oiseuse « Ă qui profite la critique de lâURSS ? » qui a dominĂ© durant des dĂ©cennies, maniĂ©e ad nauseam par les staliniens et les bien-pensants. Ainsi, au nom de la lutte lĂ©gitime contre le fascisme, ces derniers disaient : les fascistes critiquent lâURSS, donc toute critique de lâURSS est fasciste ; les nazis dĂ©noncent le « judĂ©o-bolchevisme », donc le bolchevisme est le nec plus ultra de la politique rĂ©volutionnaire. Finalement, ce mode de pensĂ©e binaire oubliait que, bien souvent, on ne combat pas sur un seul front un seul ennemi, mais au moins deux, voire plus.
On laissera le lecteur en tirer les consĂ©quences qui sâimposent sur bien dâautres sujets oĂč lâaveuglement de la « gauche » nâa eu dâĂ©gal que sa mauvaise foi⊠Et sâil y a des leçons Ă retenir dâOrwell, câest bien que seule la vĂ©ritĂ© est rĂ©volutionnaire et quâ« une dictature bienveillante, ça nâexiste pas ».
Source: Cqfd-journal.org