On le sait, Nicolas Demorand nâest pas vraiment prompt Ă lâautocritique quant Ă ses activitĂ©s de journaliste. Et pourtant, depuis le dĂ©but de lâannĂ©e, il sâest livrĂ© au moins trois fois lors de sa matinale Ă de vĂ©ritables « actes de contrition » selon ses propres mots. LâĂ©ditocrate aurait-il changĂ© ?
De mĂ©moire dâauditeur de France Inter ou dâEurope 1, ou de lecteur de LibĂ©ration, oĂč il officia entre autres, jamais, au grand jamais, nul nâa entendu de la bouche de Nicolas Demorand, le moindre dĂ©but de la moindre autocritique [1]. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manquĂ©. DĂ©jĂ en 2013, alors directeur de la rĂ©daction de LibĂ©ration, il avait rĂ©ussi le tour de force de sâexcuser auprĂšs des lecteurs sans pour autant sâautocritiquer aprĂšs avoir publiĂ© une fausse rumeur sur un supposĂ© compte bancaire en Suisse de Laurent Fabius.
Plus rĂ©cemment, lors du mĂ©morable fiasco mĂ©diatique sur « lâattaque » de lâhĂŽpital de la PitiĂ©-SalpĂȘtriĂšre par des gilets jaunes, dans lequel France Inter a donnĂ© tĂȘte baissĂ©e, le mĂȘme Demorand avait semoncĂ© un auditeur qui mettait en cause la station. Sur le faux Dupont de LigonnĂšs, Nicolas Demorand nâa rien dit, câĂ©tait pendant le week-end, il nâĂ©tait pas dâantenne. Mais le lundi, au studio de la matinale de France Inter, il a laissĂ© Thomas Legrand faire porter le chapeau au Parisien et Ă la presse en gĂ©nĂ©ral, en incluant toutefois timidement son antenne, alors que le journal de 23 heures (du vendredi 11/10) de France Inter avait lourdement relatĂ© lâarrestation de lâennemi public numĂ©ro un.
Plus câest grosâŠ
En cette annĂ©e 2019, on a cependant Ă©galement dĂ©couvert un autre Nicolas Demorand accueillant les critiques avec intĂ©rĂȘt, voire enthousiasme. Cela se passe dans le cadre de la chronique « Les 80â de⊠» de la matinale de France Inter portant, Ă 7h15, sur un sujet « politique » ou « culturel ». Ă trois reprises, il dĂ©die sa chronique Ă des remontrances faites par des auditeurs :
Quatre-vingts secondes ce matin pour faire amende honorable. Et lâamende est amĂšre. (10 janvier) : alertĂ© par des tweets, ND reconnaĂźt son erreur : il a employĂ© Ă trois reprises le mot « soldes » au fĂ©minin, alors que câest un masculin.
Quand un auditeur corrige nos fautes de français (11 octobre) : un auditeur prĂ©nommĂ© Vincent lui reproche un contresens sur lâexpression « Ă bĂątons rompus », ce quâil admet sans discuter.
Quatre-vingts secondes dâautoflagellation : « Lâaffaire Bourenbresse » (17 octobre) : le mĂȘme Vincent critique sa prononciation incorrecte de « Bourg-en-Bresse » ainsi que dâautres mots. Encore une fois, le journaliste fait amende honorable.
LâĂ©ditocrate serait-il plus rĂ©ceptif aux critiques quand celles-ci portent sur des sujets particuliĂšrement inoffensifs, des petites erreurs bien pardonnables ? Quoi quâil en soit, Nicolas Demorand en rajoute dans lâostentation, pour le cas oĂč on nâaurait pas remarquĂ© sa nouvelle propension Ă lâautocritique (« cet acte de contrition que je fais bien volontiers », « mes outrages Ă la langue française », « je battais ma coulpe avec vigueur », « le martyre quâendure la langue française par ma faute appelle ce matin 80 nouvelles secondes dâautoflagellation »). Et de remercier non moins ostensiblement celles et ceux Ă lâorigine des remontrances (« Merci aux twittos qui mâont vertement rappelĂ© Ă lâordre », « le mail courtois, souriant mais impitoyable que mâa envoyĂ© Vincent », « [âŠ] remerciant Vincent, auditeur dâInter, de mâavoir fermement morigĂ©nĂ© »).
Diantre ! Alors quâen matiĂšre dâautocritique, il nâen faisait visiblement pas assez, et mĂȘme pas du tout, voici que tout Ă coup, il en fait des tonnes. Les « actes de contrition » de lâĂ©ditocrate seraient-ils reservĂ©s Ă des questions triviales ?
De lâhumour ?
Face Ă une telle effusion dâautocritique affectĂ©e Ă lâextrĂȘme (« merci, Vincent, vous mâavez donnĂ© lâenvie de faire des fautes pour avoir le plaisir dâĂȘtre tancĂ© »), on peut se demander si Nicolas Demorand est bien sĂ©rieux, sâil ne se moque pas de lui-mĂȘme, ce qui serait pardonnable, ou de ses auditeurs, ce qui le serait moins. Les saillies demorandesques sont pourtant bien sĂ©rieuses, si lâon en croit le dialogue entre le chroniqueur et la mĂ©diatrice de France Inter, Emmanuelle Davier, dans lâĂ©mission « Le rendez-vous de la mĂ©diatrice » du 25 octobre, dont voici la transcription pour ce qui concerne notre affaire :
Emmanuelle Daviet : Nicolas Demorand vous ĂȘtes plutĂŽt « coupes claires » ou « coupes sombres » ? « Bourg-en-Bresse » ou « Bourk-en-Bresse » ? Pour les auditeurs qui auraient ratĂ© cet Ă©pisode, le 11 octobre dernier, vous avez consacrĂ© votre chronique de 80 secondes, Ă lâexpression « coupes claires » Ă la suite dâun mail envoyĂ© par un auditeur de Bourg-en-Bresse. Vous faites un 80â et les gens disputent au sens noble du terme. Cela devient un micro-sujet dâenquĂȘte et donne lieu Ă une effervescence incroyable, joyeuse, enthousiasmante mĂȘme, entre vous et les auditeurs. Racontez-nous cette sĂ©quence et surtout ce quâelle vous inspire comme rĂ©flexions sur le mĂ©dia radio.
Nicolas Demorand : Jâai un certain nombre dâauditeurs avec lesquels jâai des Ă©changes rĂ©guliers sur tel ou tel point, de fond ou de forme. LĂ , il sâagissait dâun auditeur qui mâinterpellait sur un dĂ©faut de prononciation, un problĂšme de phonĂ©tique : « raciZMEU », « lyrizMEU » au lieu de « raciSSme » et « lyriSSme », et il notait que jâavais fait des progrĂšs sur « IZZraĂ«lien », que je disais maintenant « ISSraĂ«lien »⊠Et il faisait une liste pour un certain nombre de problĂšmes quâil faut que je rĂšgle urgemment. Donc je lâai remerciĂ© et je lâai citĂ© dans ma chronique⊠cet auditeur qui vit donc Ă Bourg-en-Bresse, qui se prononce « BourK » et jâai dit « BouR-en-Bresse ». Et câest DorothĂ©e Barba qui mâa dit « non, on ne prononce pas comme ça ». Et comme on nâarrivait pas Ă trancher la querelle, on a demandĂ© Ă Alain Rey.
Emmanuelle Davier : Comment et pourquoi est-il nĂ©cessaire de stimuler cette corde-lĂ qui semble ĂȘtre lâune des choses chaleureuses, intenses et positives du lien aux auditeurs ? Quâest-ce quâon fait de ça ?
Nicolas Demorand : Câest trĂšs Ă©tonnant de voir le nombre de rĂ©actions Ă cette chronique. Jâavais totalement sous-estimĂ© la langue française car câest notre outil de travail ici (sic), sous le micro, mais câest aussi lâobjet dâune passion de la part des auditeursâŠqui nous Ă©coutent de trĂšs prĂšs, et qui nous disent lorsquâon fait une faute.
Chiche !
Câest donc du sĂ©rieux ! Gageons cependant que ce nâest quâun dĂ©but, que le journaliste commence petit pour se faire la main Ă un exercice dâautocritique auquel il nâest pas habituĂ©, loin sâen faut⊠avant de sâattaquer Ă plus consĂ©quent, par exemple aux critiques dâAcrimed. Et avec le mĂȘme entrain !
Jean PérÚs
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Source: Acrimed.org