Entre temps a commencĂ© la lutte entre synthĂ©sistes et plateformistes au sein du mouvement libertaire. Lecoin bien quâil se dĂ©fiait des comitĂ©s oĂč majoritaires et minoritaires sâopposent retardant les dĂ©cisions
[1], joue un rĂŽle important dans cette controverse.
Les plateformistes sous lâimpulsion des exilĂ©s russes Makhno et Archinov sont partisans dâune organisation anarchiste puissante et unie au point de vue idĂ©ologique et tactique
[2] et veulent se dĂ©marquer des individualistes. Les synthĂ©tistes trouvent ces positions contraires Ă lâĂ©thique et Ă la tradition libertaires et pensent que les trois courants anarchistes (anarcho-syndicaliste, communiste libertaire et individualiste) peuvent coexister et former une synthĂšse.
Le congrĂšs de lâUA Ă OrlĂ©ans les 12, 13 et 14 juillet 1926, Ă©vite la scission entre les deux tendances. Un manifeste est proclamĂ©, il rĂ©affirme les positions des synthĂ©sistes tout en faisant des concessions aux plate-formistes. LâUA devient Union Anarchiste Communiste (UAC). Lecoin dans un article du Libertaire se fĂ©licite que lâunitĂ© triomphe [3].
Mais lâabcĂšs nâest pas vidĂ© ; le congrĂšs de Paris des 30 octobre et 1er novembre 1927 marque la rupture entre les deux courants. Les plate-formistes, majoritaires, prennent le contrĂŽle de lâUAC de nouveau transformĂ©e en Union Anarchiste Communiste RĂ©volutionnaire (UACR). Trois tendances se dĂ©terminent :
1) Un courant majoritaire qui, rejetant lâincohĂ©rence et la dispersion des efforts rĂ©sultant de lâindividualisme irresponsable, estimait que lâaction de ses groupes ou de membres isolĂ©s ne peut ĂȘtre efficace quâen se trouvant en concordance avec lâidĂ©ologie et la tactique gĂ©nĂ©rale de lâorganisation…
2) Un courant minoritaire qui, quoi quâen dĂ©saccord sur la nouvelle orientation violant, selon lui, les principes anarchistes, dĂ©cidait de rester dans lâorganisation pour les dĂ©fendre contre leurs dĂ©tracteurs.
3) Un courant scissionniste, dâaccord avec les minoritaires pour la dĂ©fense du traditionalisme anarchiste, mais refusant dâappartenir plus longtemps Ă une organisation quâil assimilait Ă un parti [4].
Lecoin soutient la deuxiĂšme tendance et demeure Ă lâUACR, malgrĂ© le dĂ©part de SĂ©bastien Faure qui fonde lâAssociation des FĂ©dĂ©ralistes Anarchistes (AFA). Pendant un an Lecoin reste en retrait, il ne participe pas au congrĂšs dâAmiens en aoĂ»t 1928 oĂč il est nĂ©anmoins Ă©lu Ă la Commission administrative. Voyant lâUACR sâaffaiblir, Lecoin et quelques compagnons synthĂ©tistes lancent une offensive en vue du congrĂšs dâavril 1930. Ils demandent que le congrĂšs soit ouvert aux abonnĂ©s du Libertaire ainsi quâĂ IâAFA de SĂ©bastien Faure [5]. Les plateformistes refusent ; Lecoin revient Ă la charge [6] et obtient quâun vote ait lieu sur la question. La Commission administrative dĂ©cide que le congrĂšs soit Ă©largi.
Lecoin et une trentaine de militants publient alors un « Manifeste des Anarchistes Communistes » [7]. Ils y rĂ©affirment les principes de base de lâanarchisme, rejettent lâidĂ©e dâune armĂ©e post-rĂ©volutionnaire et appellent Ă lâunitĂ© des anarchistes. Lecoin rĂ©dige un cinquiĂšme du texte et se charge de recueillir les signatures des militants favorables. La tĂąche lui vaut dâĂȘtre la cible des plateformistes : Lecoin et sa tendance croient en imposer Ă quelques-uns par cette espĂšce de coup de force moral qui dĂ©note une intransigeance voisine des chefs bolchĂ©vistes
[8].
Pendant le congrĂšs, Lecoin dĂ©fend ardemment les principes du « Manifeste ». Lâautonomie des groupes est rĂ©affirmĂ©e, les synthĂ©tistes triomphent. SĂ©bastien Faure collabore de nouveau au Libertaire et IâAFA rejoint lâUA en 1934.
Au cours du congrĂšs, Lecoin prend la dĂ©fense de lâobjection de conscience contre les plateformistes : Toute la beautĂ© du geste repose sur les gestes individuels. Ce sont de tels gestes qui nous ont fait connaĂźtre et aimer du peuple
[9]. Pourtant Lecoin nâa pas toujours eu cette position. Comme la plupart des anarchistes, au lendemain de la PremiĂšre Guerre mondiale, il demeure opposĂ© Ă lâobjection de conscience. Les libertaires refusent de demander Ă lâĂtat, le droit de ne pas faire la guerre et prĂ©fĂšrent appeler Ă la grĂšve insurrectionnelle en cas de mobilisation. Lors dâun congrĂšs de la Paix, organisĂ© du 17 au 22 aoĂ»t 1926, par la Jeunesse ChrĂ©tienne, il fustige les objecteurs. Un mois plus tard il rĂ©dige un long article sur le sujet : […] Des camarades de la tendance du Semeur [10] menĂšrent particuliĂšrement dans cet organe, une ardente campagne en faveur de la reconnaissance par nos gouvernants de lâobjection de conscience, câest-Ă -dire le droit lĂ©gal pour le
consciencus objector
dâĂȘtre soustrait aux risques de tuer ou dâĂȘtre tuĂ© pendant la guerre si la preuve Ă©tait administrĂ©e par lui et des tĂ©moins, quâavant la dĂ©claration de la guerre il Ă©tait un anti-guerrier convaincu.
ThĂšse extrĂȘmement dangereuse, salement Ă©goĂŻste et nettement anti-rĂ©volutionnaire.
Les anarchistes, qui ne sĂ©parent point leur sort de tout le peuple, nâaccepteront pour rien au monde de se placer eux mĂȘmes sur la bouche le haillon, ils ne veulent Ă aucun prix dâune exemption officielle qui les rendrait solidaires des officiels dans le plus grand des crimes.
[11].
Mais comme la plupart de ses compagnons, Lecoin prend peu Ă peu conscience de lâimpossibilitĂ© actuelle, pour les anarchistes de trans-former la guerre en rĂ©volution. Et lorsque son ami Pierre OdĂ©on, refuse de se prĂ©senter au titre de rĂ©serviste en dĂ©cembre 1929 et est arrĂȘtĂ©, il prend sa dĂ©fense dans le Libertaire : OdĂ©on sait trĂšs bien que le problĂšme social, Ă la solution duquel nous travaillions, ne sera rĂ©solu que par une rĂ©volution. Mais je ne pense pas quâen attendant cette rĂ©volution il soit interdit dâagir individuellement, selon ses goĂ»ts, sa force de volontĂ© et son ouvrage.
[12].
LâunitĂ© Ă©tant faite, Lecoin se retire Ă nouveau. Il est devenu un militant « exceptionnel » qui intervient lorsque les Ă©vĂ©nements lâexigent. Jusquâau dĂ©but de la guerre civile espagnole il participe peu Ă la vie du mouvement libertaire. Il prĂ©fĂšre se consacrer Ă la dĂ©fense de nombreux exilĂ©s politiques au sein du ComitĂ© pour le Droit dâAsile. Il sollicite lâappui de nombreuses personnalitĂ©s et soutien le vote dâune loi protĂ©geant les rĂ©fugiĂ©s. Ces activitĂ©s lui valent lâestime des diffĂ©rentes communautĂ©s de libertaires Ă©trangers installĂ©s, Ă cette Ă©poque en France. Elles lui valent Ă©galement des reproches sĂ©vĂšres de certains membres de lâUA. Le groupe dâAction Anarchiste de Marseille demande : La suppression du ComitĂ© du Droit dâAsile qui est un groupe dont les principes et les mĂ©thodes sont contraires aux principes gĂ©nĂ©raux de lâanarchisme.
[13] Lecoin nâen a cure et poursuit son action.
Source: Partage-noir.fr