Introduction
Câest Ă la fin de lâannĂ©e 2002 que le SARS-CoV sâĂ©tait dĂ©clarĂ© Ă Foshan (prĂšs de Canton) et Ă Hong-Kong. Le virus avait touchĂ© huit mille personnes rĂ©parties dans 29 pays avec une mortalitĂ© de 10 %. Comme les chercheurs ne peuvent se satisfaire dâune corrĂ©lation statistique ou Ă©vĂšnementielle â ce type de corrĂ©lation ne pouvant se substituer Ă une causalitĂ© rĂ©futable â il fallut donc attendre longtemps avant que sâĂ©tablisse un consensus sur lâorigine de ce coronavirus, son parcours et sa transmission vers les Humains [3]. Le virus princeps fut finalement dĂ©couvert chez des chauves-souris insectivores, les rhinolophes, dans les grottes du Yunnan, au sud de la Chine, câest-Ă -dire Ă 1 200 km du lieu oĂč la maladie explosa. La civette palmiste masquĂ©e, un animal sauvage vendu sur les marchĂ©s et consommĂ©, fut Ă©galement reconnue comme Ă©tant « lâhĂŽte intermĂ©diaire » entre les deux espĂšces.
Il ne serait donc pas sĂ©rieux de faire croire que quelques semaines ou mĂȘme quelques mois aprĂšs son apparition, lâorigine du prĂ©sent SARS-CoV-2 est Ă©tablie de maniĂšre certaine. Laissons cela aux manipulations algorithmiques de Facebook dont son ex-ingĂ©nieure et lanceuse dâalerte, Frances Haugen [4], a rĂ©cemment prĂ©cisĂ© quâil sâagissait lĂ dâune entreprise dĂ©libĂ©rĂ©e dâhystĂ©risation des foules Ă des fins commerciales.
Il subsiste donc plusieurs hypothĂšses Ă ce sujet, essentiellement : la fuite dâun laboratoire et une zoonose. Mais dans les deux cas il est admis que le virus original provient dâune ou plusieurs espĂšces de chauve-souris qui se trouvent dans le nord de la pĂ©ninsule indochinoise ou en Chine du sud. RĂ©cemment, des chercheurs de lâinstitut Pasteur travaillant sur place [5] en ont identifiĂ© le plus proche parent Ă ce jour. Il serait issu dâune recombinaison virale et prĂ©sente une identitĂ© gĂ©nĂ©tique de 96,85% avec le SARS-CoV-2, câest-Ă -dire une similaritĂ© plus Ă©levĂ©e que celle du virus nommĂ© RATG13 que Shi Zhengli, la chasseuse de chauve-souris (Batwoman) sâenorgueillissait dâavoir rapportĂ© dans son labo, Ă Wuhan.
Dans ces conditions, il a donc paru urgent⊠de se plonger dans lâhistoire longue afin de prendre un peu de distance avec tout le fracas rĂ©seautĂ©.
La premiĂšre pandĂ©mie de lâĂšre industrielle et du chemin de fer ?
Elle fut appelĂ©e « grippe russe, grippe de Saint-PĂ©tersbourg [6], grippe asiatique ou influenza » et ravagea le monde entre la fin 1889 et le dĂ©but de 1895. Au total, on estime que cette pandĂ©mie aurait provoquĂ© au moins un million de morts Ă travers le monde (ce qui reprĂ©senterait aujourdâhui 5 millions de dĂ©cĂšs).
La premiĂšre flambĂ©e importante a eu lieu dans la ville de Saint-PĂ©tersbourg au milieu du mois de novembre 1889. Ă partir de cette date, la maladie va dĂ©ferler sur le monde Ă un rythme extrĂȘmement rapide : en un mois et demi, elle a envahi lâEurope occidentale et pendant la troisiĂšme semaine de janvier 1890 elle va provoquer 1 200 dĂ©cĂšs Ă New-York, avant dâenvahir les Ătats-Unis. LâAustralie et la Nouvelle-ZĂ©lande vont Ă©galement ĂȘtre touchĂ©es fin janvier et cinq vagues Ă©pidĂ©miques vont ĂȘtre observĂ©es pendant plus de 4 annĂ©es : au printemps 1891, de novembre 1891 Ă juin 1892, dans lâhiver 1893 – 1894 et au dĂ©but de 1895. Dâautres vagues Ă©pidĂ©miques circuleront dans de nombreuses rĂ©gions du monde jusquâĂ la fin du siĂšcle.
En Europe, la dissĂ©mination de lâaffection suit rigoureusement le trajet des 200 000 km de voies de chemin de fer qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©veloppĂ©es et elle avance Ă la vitesse des trains : il fallait alors deux jours pour se rendre de Saint-Petersbourg Ă Paris. Il en rĂ©sulte une Ă©pidĂ©mie quasi uniquement urbaine, les capitales Ă©tant les premiĂšres touchĂ©es dans chaque pays, rapidement suivies par les grandes villes de province. Les campagnes restent globalement indemnes et des populations isolĂ©es Ă©chappent Ă la contagion [7].
En France, la pandĂ©mie est dâabord observĂ©e chez les personnels des Grands Magasins du Louvre, Ă Paris, avec 670 des 3 900 employĂ©s touchĂ©s dans la seule semaine du 26 novembre 1889. Dans la capitale, lâinfection progresse rapidement et, dĂ©but dĂ©cembre, un tiers des lits hospitaliers sont occupĂ©s. NoĂ«l 1889 est marquĂ© par la saturation des hĂŽpitaux et lâĂ©rection en urgence de baraquements dans leurs cours et dans celles des casernes oĂč les malades sont placĂ©s alors quâil fait – 8°degrĂ©s Ă lâextĂ©rieur. Le pic de cas survient autour du 28 dĂ©cembre avec 180 000 personnes simultanĂ©ment touchĂ©es Ă Paris (il y avait Ă ce moment-lĂ 2,5 millions dâhabitants). Face aux quatre Ă cinq cent dĂ©cĂšs quotidiens, les personnels des pompes funĂšbres sont dĂ©bordĂ©s et demandent la simplification des rites funĂ©raires religieux pour tenir le rythme. La quasi-totalitĂ© des mĂ©decins hospitaliers parisiens sont infectĂ©s. Les Ă©coles, collĂšges, lycĂ©es et universitĂ©s sont fermĂ©s. Le Danemark et le Royaume-Uni sont particuliĂšrement affectĂ©s par les deuxiĂšme et troisiĂšme vagues, plus lĂ©tales que la premiĂšre.
Une pandémie documentée et médiatisée de maniÚre inédite
Suite aux dĂ©couvertes de Louis Pasteur et Robert Koch, cette pandĂ©mie fut la premiĂšre Ă faire lâobjet dâĂ©tudes par des moyens de laboratoire, Ă ĂȘtre suivie en temps rĂ©el et fut richement documentĂ©e Ă lâaide de questionnaires et de rapports. La synthĂšse du savoir de lâĂ©poque qui servira de rĂ©fĂ©rence, se trouve dans les mĂ©moires dâun mĂ©decin allemand, Otto Michael Ludwig Leichtenstern et de son confrĂšre anglais, Henry Franklin Parsons, du dĂ©partement mĂ©dical de la ville de Londres. Ainsi, les Ă©pidĂ©miologistes employĂ©s par le Local Government Board (LGB) ont cartographiĂ© la propagation de la maladie afin de tenter de rĂ©pondre aux questions clĂ©s sur son Ă©tiologie, son mode de transmission et son interaction avec les affections respiratoires. Leurs investigations ont dĂ©montrĂ© quâelle Ă©tait intensĂ©ment contagieuse et que les deuxiĂšme et troisiĂšme vagues Ă©taient les plus dangereuses, quelle que soit la saison. Selon H. F. Parsons [8], « Alors que le dĂ©marrage de la premiĂšre vague de six semaines a Ă©tĂ© soudain, avec des pics de mortalitĂ© dĂšs la troisiĂšme semaine, la mortalitĂ© a ensuite rapidement diminuĂ©. Au contraire, le dĂ©marrage de la deuxiĂšme vague, en mai et juin 1891, a Ă©tĂ© plus progressif, sâĂ©talant sur une durĂ©e de 8 semaines Ă Londres, mais cette vague sâavĂ©ra finalement plus lĂ©tale », tandis que la troisiĂšme vague Ă lâhiver de 1892 sâavĂ©rait Ă nouveau presque aussi meurtriĂšre.
« Trois explications Ă©taient formulĂ©es autrefois pour rendre compte des pestes : lâune par les savants, lâautre par la foule anonyme, la troisiĂšme [âŠ] par lâEglise. La premiĂšre attribuait lâĂ©pidĂ©mie Ă une corruption de lâair [âŠ]. La seconde Ă©tait une accusation : des semeurs de contagion rĂ©pandaient volontairement la maladie ; il fallait les rechercher et les punir. La troisiĂšme assurait que Dieu, irritĂ© par les pĂ©chĂ©s dâune population tout entiĂšre avait dĂ©cidĂ© de se venger [9]. »
En cette fin de siĂšcle, une des nouveautĂ©s de lâĂšre industrielle fut lâexplosion du nombre de quotidiens et de leurs lecteurs. Cette pandĂ©mie devint aussi la premiĂšre Ă faire les « Une » des journaux qui dĂ©crivent en dĂ©tail ses consĂ©quences : les hĂŽpitaux surpeuplĂ©s, le manque de mĂ©decins et les pertes Ă©conomiques. Ce relais mĂ©diatique puissant influence fortement lâimage de la maladie dans la sociĂ©tĂ© civile de tous les pays touchĂ©s. On assiste alors Ă une dramatisation, Ă des tentatives dâĂ©pidĂ©miologie sauvage (« les personnes les plus Ă©duquĂ©es sont davantage touchĂ©es »), ou Ă des accusations contre la technologie de lâĂ©poque (« si les villes sont les plus touchĂ©es, câest Ă cause de lâĂ©clairage Ă©lectrique, absent de nos campagnes, dâailleurs les employĂ©s des compagnies dâĂ©lectricitĂ© sont davantage atteints ») [10], etc. Sont alors promus des remĂšdes-miracles comme lâhuile de ricin, le brandy, les huĂźtres, la quinine, ce qui occasionne quelques catastrophes familiales avec des dĂ©cĂšs Ă la clef en 1891.
La pandémie de 1889-1895 fut-elle une Covid du XIXe siÚcle ?
RĂ©cemment, des chercheurs ont Ă©mis lâhypothĂšse que lâun des quatre coronavirus humains bĂ©nins aujourdâhui responsable de rhumes, HCoV OC43 (OC43), pourrait ĂȘtre Ă lâorigine de cette pandĂ©mie et provenir dâun coronavirus transmis par les bovins. Ils sâappuient Ă la fois sur des Ă©lĂ©ments phylogĂ©nĂ©tiques, Ă©pidĂ©miologiques et cliniques [11].
En 2005 et 2006, une Ă©quipe belge a sĂ©quencĂ© pour la premiĂšre fois lâintĂ©gralitĂ© du gĂ©nome dâOC43 et lâa comparĂ© Ă un autre betacoronavirus, [12] le BCoV portĂ© par les veaux dont on suspectait la proximitĂ© phylogĂ©nĂ©tique avec lâOC43. Par une technique dâhorloge molĂ©culaire appliquĂ©e aux deux coronavirus, ils ont calculĂ© la date approximative de la sĂ©paration entre les deux virus qui se situerait autour de 1890 et avancent quâOC43 serait issu du BCoV (et non lâinverse) car le premier prĂ©sente des dĂ©lĂ©tions importantes par rapport au second. Ils prĂ©cisaient « Il sâagit de la premiĂšre paire zoonotique de coronavirus animal-humain qui peut ĂȘtre analysĂ©e afin de mieux comprendre les processus dâadaptation dâun coronavirus non humain Ă un hĂŽte humain, ce qui est important pour comprendre les Ă©vĂ©nements de transmission inter-espĂšces qui ont conduit Ă lâorigine de lâĂ©pidĂ©mie de SARS-CoV [13] [en 2002-2003] »
En aoĂ»t 2020, une Ă©quipe danoise sous la direction de Lone Simonsen et Anders Gorm Pedersen a rapportĂ© des rĂ©sultats similaires Ă ceux de lâĂ©quipe belge, datant Ă©galement lâapparition dâOC43 Ă partir du BCoV vers 1890. La force de leur Ă©tude rĂ©side dans le fait quâils disposaient de diffĂ©rentes versions du gĂ©nome dâOC43, collectĂ©es depuis 15 ans, et donc dâune estimation fiable du taux dâĂ©volution naturel de ce coronavirus [14].
Il existe Ă©galement des Ă©lĂ©ments Ă©pidĂ©miologiques qui suggĂšrent un passage dâOC43 des bovins vers lâhomme Ă lâĂ©poque de cette pandĂ©mie. Ainsi, entre 1870 et 1890, le cheptel bovin mondial fut dĂ©cimĂ© par une panzootie de pĂ©ripneumonie contagieuse probablement en lien avec lâexpansion soudaine, dans la seconde moitiĂ© du xixe siĂšcle, du commerce de bovins sur pied, rendu possible grĂące aux chemins de fer. Des centaines de milliers de bovins sont alors abattus Ă travers le monde pour contrĂŽler la maladie. Certains Ă©pizoologistes estiment quâil est probable que les personnels en charge de cet abattage sanitaire massif aient Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement exposĂ©s aux virus respiratoires des bovins abattus, dont le BCoV. Et en effet, la transmission du BCoV aux humains (et en particulier aux enfants) a Ă©tĂ© plusieurs fois observĂ©e [15].
Les caractĂ©ristiques cliniques de la pandĂ©mie de 1889, telles quâelles nous sont parvenues, suggĂšrent Ă©galement une origine coronavirale, compatible avec ce que lâon sait de la pathogĂ©nie dâOC43. En particulier, les symptĂŽmes neurologiques, qui ont si fortement marquĂ©s les praticiens de lâĂ©poque, Ă©voquent les capacitĂ©s neuro-invasives pour lesquelles OC43 est connu (comme lâest le 229E, un autre coronavirus du rhume) [16].
Un siĂšcle sâest Ă©coulĂ© depuis ladite grippe espagnole, et pourtantâŠ
Lorsque lâon sâintĂ©resse un peu Ă ladite grippe espagnole qui a sĂ©vi entre 1918 et 1919, les seules conclusions que lâon peut en lire sont celles-ci : i) le virus se serait assagi de lui-mĂȘme, ii) il a tuĂ© le maximum de personnes avant quâil ne trouve sur sa route une immunitĂ© de groupe suffisante, iii) cette pandĂ©mie sâest peut-ĂȘtre arrĂȘtĂ©e compte-tenu des deux prĂ©cĂ©dents facteurs. Il nâempĂȘche, elle a tout de mĂȘme fait entre 20 et 100 millions de morts suivant les estimations : souvenons-nous quâĂ lâĂ©poque, il nây avait ni vaccins [17], ni antibiotiques, ni oxygĂšne, ni rĂ©animation et quâil a fallu attendre 1933 pour que soit isolĂ© le virus de cette grippe.
Mais ce que lâon oublie en gĂ©nĂ©ral de dire, câest quâĂ cette Ă©poque lâaviation commerciale nâexistait pas, le tourisme de masse nâĂ©tait pas si rĂ©pandu et, sâil fallait entre deux et cinq jours pour parcourir un continent en train, six jours Ă trois semaines Ă©taient nĂ©cessaires pour effectuer des traversĂ©es transcontinentales. Câest dire que les malades Ă bord pouvaient ĂȘtre isolĂ©s et quâen tous cas des quarantaines Ă©taient alors plus faciles Ă mettre en Ćuvre. MĂȘme si les connaissances et les moyens mĂ©dicaux se sont dĂ©veloppĂ©s (avec tous les avatars issus de la rationalitĂ© capitaliste que lâon connait), le tourisme de masse, la vitesse et le volume des Ă©changes, lâinvraisemblable connectivitĂ© que la division internationale du travail exige ont fondamentalement changĂ© la donne par rapport Ă 1918. Autrement dit la « libre circulation » des biens et des salariĂ©s, chĂšre au capital, sâavĂšre ĂȘtre une des composantes majeures du problĂšme. Ainsi lâhypothĂšse selon laquelle lâaĂ©roport de Roissy fut le hub principal dâimportation du virus en France, ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©e [18].
Mais dans le contexte actuel, prĂŽner une « immunitĂ© de troupeau », comme les gouvernements nĂ©olibĂ©raux de Grande-Bretagne et de SuĂšde [19] lâont fait au dĂ©but de la pandĂ©mie avec le succĂšs que lâon pu constater depuis, a les relents nausĂ©abonds dâun eugĂ©nisme dont on sait les ravages que cela a pu entraĂźner dans les annĂ©es 30 et 40 en Allemagne. En outre, quels groupes sociaux, une fois de plus, sâen sortiraient le mieux, ici et ailleurs sur la planĂšte ?
Conclusions trĂšs provisoires
Albert Einstein Ă qui Hermann Broch avait adressĂ© un exemplaire de La mort de Virgile, exprima dans une lettre de remerciement la fascination quâexerçait sur lui cette Ćuvre, en mĂȘme temps que sa rĂ©sistance acharnĂ©e Ă ce quâelle exprime : « Ce livre me montre clairement ce que jâai fui en me vendant corps et Ăąme Ă la science : jâai fui le JE et le NOUS pour le IL du il y a ». [20]
Nonobstant la critique interne que nous dĂ©veloppons depuis dix ans concernant « le mode de connaissance scientifique moderne » [21], il est Ă©tonnant de constater que ceux et celles qui lui ont vouĂ© leurs Ă©tudes et leurs vies restent aussi muets dans la situation prĂ©sente, Ă quelques exceptions prĂšs. Certes, en adressant deux lettres ouvertes Ă lâOMS le 6 juillet 2020 et le 4 mars 2021 des chercheurs ont bien rĂ©agi, mais ce fut en ordre dispersĂ© et sans suite. Nous le savons, les pressions sont fortes, ne datent pas dâhier et sâexercent jusque dans le choix des sujets de recherche : la forme nĂ©olibĂ©rale du capital rĂšgne aussi dans tous les labos, quoiquâon en pense. Câest pourquoi un « groupe dâĂ©tudes », mĂȘme provisoire, serait le bienvenu pour Ă©laborer un Ă©clairage critique indĂ©pendant des gouvernements et des gafam [22]. Il pourrait par exemple prendre la forme de la cĂ©lĂšbre association de mathĂ©maticiens « Nicolas Bourbaki » â dont on a su par la suite quâAlexandre Grothendieck en faisait partie â et se doter (ou non) de porte-paroles internationalement reconnus.
Reste quâune rĂ©flexion politique et mĂȘme une critique thĂ©orique radicale sont dâautant plus nĂ©cessaires que les effondrements politiques, anthropologiques et sociaux en cours vont sâĂ©tendre et sâapprofondir, entraĂźnant avec eux des consĂ©quences dont la tiers-mondisation actuelle des Etats-unis (pour ne citer quâun exemple de pays capitaliste occidental) nâest quâun pĂąle signe avant-coureur. Par ailleurs, croire que cette pandĂ©mie restera un phĂ©nomĂšne unique et sans lendemains, câest faire montre dâune mĂ©moire un peu courte et dâun regard pour le moins Ă©troit. MĂȘme si nous y avions jusquâici partiellement Ă©chappĂ© en Europe, il y eĂ»t, dans les trois derniĂšre dĂ©cennies : lâESB, la Dengue, le Nipah, le SARS-CoV, le Chikungunya, le H1-N1, le Mers-Cov, Ebola, le H5N1. Les Ă©pizooties, les Ă©pidĂ©mies et les zoonoses vont se multipliant et nombreux sont ceux qui sâaccordaient Ă dire, depuis trente ans dĂ©jĂ , que cela irait sâaccĂ©lĂ©rant [23].
Concernant lâorigine possible du Sars-CoV-2, nous nâavons pas envisagĂ© les hypothĂšses qui ont trait aux laboratoires de Wuhan, faute de sources accessibles, suffisantes et crĂ©dibles. Et disons-le, ce nâest pas le rapport de lâOMS qui aura fait avancer les choses dans ce domaine. En effet, lâorganisation a acceptĂ©, entre autres choses [24] et aprĂšs des mois de nĂ©gociations, que toutes les analyses soient rĂ©alisĂ©es sur place, que le rapport final soit validĂ© par le PCC et que la commission de lâOMS, arrivĂ©e en Chine le 14 janvier 2021, en reparte le 10 fĂ©vrier, quarantaine de quinze jours comprise. Durant un sĂ©jour beaucoup plus efficacement encadrĂ© que ce que lâURSS Ă©tait naguĂšre capable de mettre en place, les experts passeront en tout et pour tout, trois heures Ă lâinstitut de virologie de Wuhan, oĂč ils ont rencontrĂ© Mme Shi Zhengli, une de ses responsables. Mais ils nâont pas eu accĂšs Ă la base de donnĂ©es de prĂšs de 22 000 sĂ©quences de virus mise hors ligne par ses Ă©quipes chinoises le 12 septembre 2019, soit trois mois avant le dĂ©but officiel de lâĂ©pidĂ©mie, sous prĂ©texte quâelles avaient subi de nombreuses tentatives de piratages [25]âŠ
RĂ©pĂ©tons-le, il nây a, jusquâĂ ce dĂ©but de lâannĂ©e 2022, aucun consensus de type scientifique sur lâorigine de la pandĂ©mie. Les deux « chapitres » qui suivent visent donc Ă attirer lâattention sur une seule hypothĂšse, celle de la zoonose issue des « Ă©levages » industriels de visons qui, comme toutes les zoonoses actuelles, se combine de fait avec la transformation industrielle et marchande du vivant, lâavancĂ©e de la dĂ©forestation pour nourrir ces usines Ă viande [26], celles de lâurbanisation, de la mondialisation des Ă©changes et de tous leurs effets Ă©cologiques et climatiques dĂ©vastateurs. Dans les annĂ©es et les dĂ©cennies Ă venir, nous aurons Ă faire face de maniĂšre rĂ©currente Ă dâautres zoonoses, câest aussi ce qui nous a motivĂ© Ă ne pas nĂ©gliger cette hypothĂšse en ce qui concerne lâorigine du SARS-CoV-2, quelle quâen soit la probabilitĂ©.
Mais disons-le, pour le PCC, reconnaĂźtre une pandĂ©mie issue des « Ă©levages » industriels de visons (si câest effectivement le cas) serait trĂšs coĂ»teux socialement (par le nombre dâemplois mis en cause dans le secteur, Ă savoir quatorze millions environ), financiĂšrement (des milliards de dollars) et politiquement (nous pensons « au laisser faire â laisser aller » dans les domaines rĂ©glementaires, sanitaires, vĂ©tĂ©rinaires [27] de plusieurs ministĂšres et de nombreux Ă©chelons de lâappareil du Parti-Etat) ce qui « tomberait mal » Ă©tant donnĂ© les difficultĂ©s Ă©conomiques et financiĂšres que la Chine connaĂźt depuis quelques temps.
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LâhypothĂšse des « Ă©levages » industriels comme rĂ©acteurs infectieux
Quelques réflexions et questions rémanentes
PrĂ©lude concernant la mĂ©thode. Lors de lâĂ©tude historique du « projet Manhattan » il nous Ă©tait venu Ă lâidĂ©e dâĂ©tudier les archives Ă©tats-uniennes en ligne concernant la premiĂšre explosion atomique au plutonium, celles du 16 juillet 1945 dans le dĂ©sert du Nouveau Mexique, Ă©tant donnĂ© que nous avions rencontrĂ© un nĂ©gationnisme Ă©tatique trĂšs organisĂ© sur celles dâHiroshima et Nagasak [28].
Ă la fin de lâannĂ©e 2020, pour tenter de contourner ce mĂȘme type de difficultĂ©, nous avons alors eu lâidĂ©e dâĂ©tudier de trĂšs prĂšs ce qui sâest passĂ© en Hollande et au Danemark dans leurs « Ă©levages » industriels de visons et nous avions pu constater la rapiditĂ© fulgurante de propagation du virus du SARS-CoV-2 dans ces pays : alors quâune seule « ferme » contaminĂ©e Ă©tait dĂ©tectĂ©e au Danemark en mai 2020, plus de 230 dâentre elles furent atteintes en septembre de la mĂȘme annĂ©e, câest-Ă -dire en cinq mois, sans que des explications dĂ©finitives aient Ă©tĂ© trouvĂ©es jusquâĂ ce jour pour expliquer la vitesse de cette transmission. PrĂ©cisons que les fermes doivent ĂȘtre rĂ©glementairement distantes de plus de 8 km entre-elles dans ce pays (ce qui nâest pas le cas en Chine). De plus, le virus avait acquis de dangereuses mutations en se retransmettant aux personnels de ces « Ă©levages » industriels, ce qui avait provoquĂ© lâabattage de plus de 15 millions de visons (une horreur sur laquelle il y aurait beaucoup Ă dire), le Danemark Ă©tant un « producteur » dâune taille comparable Ă celle la Chine.
Plus de 90 % des animaux avaient Ă©tĂ© infectĂ©s au Danemark, dont 47% se sont avĂ©rĂ©s asymptomatiques, mais ils ont un taux de mortalitĂ© trĂšs faible. Le stress, les blessures, lâentassement, la proximitĂ© gĂ©nĂ©tique, le passage constant entre les cages de fluides et dâaliments impliquent une circulation virale explosive. Le taux de contamination des travailleurs du vison atteint 68 %. [âŠ] Le 4 dĂ©cembre 2020, le Statens Serum Institute estimait que 2.700 personnes avaient Ă©tĂ© contaminĂ©es par un variant provenant des Ă©levages de vison, [mais dans le reste de lâEurope], seulement neuf pays sur quinze ont testĂ© les travailleurs des fermes Ă visons ; or, câest la premiĂšre rĂ©gion productrice de fourrure au monde, avec plus de trente millions de peaux collectĂ©es chaque annĂ©e [âŠ] Ă lâĂšre des pandĂ©mies, lâexistence dâĂ©levages oĂč des millions dâanimaux au systĂšme respiratoire voisin du nĂŽtre sâentassent dans des conditions sanitaires Ă©pouvantables est une bombe Ă dĂ©samorcer dâurgence [29].
Aucun document nâĂ©tant disponible concernant les « Ă©levages » industriels de visons en Chine, nous avons finalement fait un appel en janvier 2021, Ă la suite duquel lâONG australienne ActAsia, sâoccupant plus particuliĂšrement du bien ĂȘtre animal, nous faisait parvenir un rapport prĂ©cis dâune cinquantaine de pages [30] quâelle avait publiĂ© en 2019. Or, quâapprenait-on dans ce document ? Essentiellement que des milliers de « fermes » existaient en Chine, que leur densitĂ© au km2 dans la province du Shandong y Ă©tait deux fois plus importante quâau Danemark ; quâelles Ă©taient ouvertes Ă tous les vents (câest-Ă -dire aussi aux chauves-souris, aux oiseaux et autres petits animaux), dans des conditions de salubritĂ© hors dâun contrĂŽle vĂ©tĂ©rinaire digne de ce nom, dâautant que la diversitĂ© de leurs tailles â de plusieurs dizaines de milliers dâanimaux Ă quelques unitĂ©s chez le petit paysan â ne favorise en rien un contrĂŽle sanitaire qui nâest par ailleurs que trĂšs peu encadrĂ©.
LâEtat-parti-patron maĂźtre des horlogesâŠ
Concernant la pĂ©riode dâĂ©closion plausible de lâĂ©pidĂ©mie en Chine, une Ă©tude menĂ©e sur image satellitaire par lâUniversitĂ© de Harvard [31] a montrĂ© une augmentation significative du trafic hospitalier dans la rĂ©gion de Wuhan depuis septembre 2019, et parallĂšlement, une forte progression des requĂȘtes liĂ©es aux symptĂŽmes du COVID-19 dans les moteurs de recherche chinois. Dâautre part, entre le 18 et le 27 octobre 2019, les stades de 60 000 spectateurs Ă©taient pleins lors des jeux olympiques militaires de Wuhan, une ville de 11 millions dâhabitants. Au retour chez eux, les athlĂštes de nombreux pays, furent malades [32]. Mais partout lâarmĂ©e en restera Ă sa grande tradition de mutisme⊠Par ailleurs, les reportages vidĂ©o rĂ©alisĂ©s sur place, Ă Wuhan, par des lanceurs dâalerte [33] qui furent finalement tous arrĂȘtĂ©s en fĂ©vrier 2020, tĂ©moignaient dâune affection sĂ©vĂšre qui remplissait dĂ©jĂ les taxis menant aux cinq hĂŽpitaux de la ville dĂšs le mois de dĂ©cembre 2019. Enfin, des analyses rĂ©trospectives de prĂ©lĂšvements sanguins en HĂŽpital, aussi bien en Alsace quâen rĂ©gion parisienne, ont attestĂ© de la prĂ©sence du virus dĂšs novembre 2019 en France (Cf. le site de lâInserm) et mĂȘme dĂšs septembre en Italie [34]. Disons le clairement : fin janvier 2020, Wuhan fut un cluster dâune telle taille et dâune telle gravitĂ© quâil nâĂ©tait plus possible de le dissimuler. Ceci dit, il serait intĂ©ressant de relater en dĂ©tail comment, au jour le jour, les bureaucraties centrales et locales du PCC ont ĆuvrĂ© pour en retarder la connaissance, puis en minimiser la gravitĂ©. Toutes les infox qui ont suivi et qui tendaient Ă accrĂ©diter son marchĂ© â humide ou pas â comme lâĂ©picentre unique de cette pandĂ©mie, visaient Ă dissimuler son Ă©tendue territoriale et ses origines, quâelles quelles soient. Or, sâil y a un large consensus pour dire que la phylogĂ©nie du variant Omicron dĂ©montre quâil a circulĂ© dix-sept mois avant dâĂȘtre dĂ©tectĂ© en Afrique du sud, rien ne peut empĂȘcher dâĂ©mettre lâhypothĂšse que le « virus princeps » circulait dĂ©jĂ , Ă bas bruit ou pas, depuis des mois en Chine ou ailleurs et par exemple en Europe, avant dĂ©cembre 2019.
En effet, dans cette vĂ©ritable industrie des mustĂ©lidĂ©s, la plupart des pays occidentaux Ă©changent des moyens, des mĂ©thodes, des animaux et des « hommes dâentreprises » avec la Chine [35]. Il a Ă©tĂ© justement remarquĂ© que certains foyers dâĂ©pidĂ©mie en Europe, notamment en Italie et en Espagne, se trouvaient Ă proximitĂ© immĂ©diate dâimmenses « Ă©levages » industriels. Ainsi, en Lombardie, prĂ©cisĂ©ment dans le triangle Lodi-Bergame-Cremone oĂč la maladie dĂ©buta, se trouvaient les quatre « fermes » de Capralba, Offanengo, Dovera, Capergnanica qui enfermaient environ 40 000 visons et dont les propriĂ©taires nâacceptĂšrent de les tester quâen aoĂ»t 2020⊠En Aragon, Ă La Puebla de Valverde qui se trouve Ă 18km de la ville de Teruel oĂč les premiers cas du pays furent signalĂ©s, se situe le plus important stalag de visons dâEurope occidentale avec 100 000 visons encagĂ©s [36]. Le Danemark pour sa part, a Ă©tĂ© un des partenaires les plus importants de la Chine dans lâindustrie du vison, notamment dans lâĂ©change de mĂąles reproducteurs, au moins depuis 2003 ; alors quâil a un bien meilleur suivi vĂ©tĂ©rinaire et sanitaire, le pays a connu en 2020 cette foudroyante propagation du SARS-CoV-2 Ă©voquĂ©e plus haut.
Comment se fait-il quâen Chine nous nâayons aucune trace du dĂ©but de la moindre Ă©pidĂ©mie de ce type dans les derniĂšres annĂ©es, alors que les « Ă©levages » industriels y pullulent par milliers et peut-ĂȘtre mĂȘme par dizaines de milliers, sans aucuns contrĂŽles et sur tout le territoire ? Sans parler du fait que les Ă©changes dâanimaux avec de nombreux pays occidentaux ont Ă©tĂ© si intenses que les douanes chinoises ont dĂ» adopter des process spĂ©cifiques pour ces passages dâanimaux vivants (voir ci-dessous). Reste un mystĂšre pour lâheure non Ă©lucidĂ© :
En 2017 comme en 2018, le Shandong a produit 15 millions de peaux de visons. Fin 2019, la province nâen a rĂ©coltĂ© que 6,5 millions. Quasiment neuf millions de visons volatilisĂ©s dâune annĂ©e sur lâautre. Une baisse de 55 %, propre Ă cette seule province, qui semble ne pouvoir sâexpliquer que par un flĂ©au brutal ou une catastrophe. Dâautant que les productions de peaux de renards (5,7 millions) et de chiens viverrins (3 millions) issues du mĂȘme territoire sont, elles, restĂ©es parfaitement stables [37].
La fourrure et les « élevages » industriels de visons en chine [38]
Jusquâau milieu du xxe siĂšcle, les animaux Ă©taient piĂ©gĂ©s, Ă©levĂ©s et abattus pour leur fourrure dans la rĂ©gion du nord-est de la Chine, oĂč existaient des usines de transformation associĂ©es. Au cours des derniĂšres dĂ©cennies, la Chine est passĂ©e dâun pays dont la population produisait et portait traditionnellement de la fourrure Ă petite Ă©chelle dans les rĂ©gions froides de lâextrĂȘme nord-est, Ă un pays qui a poussĂ© sa production de fourrure Ă un niveau industriel inĂ©dit.
Ă partir de 1956, lâĂ©levage des animaux Ă fourrure en Chine a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©. LâĂtat a dâabord organisĂ© lâimportation de renards et de visons reproducteurs, principalement depuis lĂ Russie. Puis dans les annĂ©es 70 et 80, des animaux ont Ă©tĂ© importĂ©s des pays nordiques et dâAmĂ©rique du Nord pour amĂ©liorer le cheptel.
Au cours des annĂ©es 1980 et 1990, lâindustrie chinoise de la fourrure a vraiment commencĂ© Ă prospĂ©rer avec lâouverture commerciale du pays et lâafflux des investissements Ă©trangers.
Ainsi, cette industrie sâest largement dĂ©veloppĂ©e avec une main-dâĆuvre croissante. En 2017, la Chine constituait 56% du marchĂ© mondial de vĂȘtements de fourrure en valeur. Outre lâĂ©levage industriel, il faut signaler deux autres « sources dâapprovisionnement » en fourrures : le piĂ©geage sauvage et le vol dâanimaux de compagnie ou de chats et de chiens errants.
GĂ©ographie de lâĂ©levage et de la transformation des fourrures en Chine
LâĂ©levage dâanimaux Ă fourrure en Chine est concentrĂ© principalement dans la province du Shandong, suivie de trĂšs loin par les provinces du Liaoning et du Heilongjiang, puis du Hebei, mais il existe beaucoup de fermes isolĂ©es dans dâautres provinces de Chine. Il reste donc difficile de dĂ©terminer la quantitĂ© rĂ©elle de fermes Ă fourrure en Chine malgrĂ© de nombreux reportages : les rapports de lâindustrie et de la recherche universitaire ont tendance Ă mesurer le nombre de fermes Ă fourrure Ă partir dâune certaine taille seulement. Lâindustrie affirme que 12% des exploitations sont de grande taille (ces fermes concentrent plus de 10 000 animaux), 32% de taille moyenne (10 000 Ă 1000 animaux) et 46% de petite taille (moins de 1000 animaux).
Pour tenter dâempĂȘcher la propagation des maladies zoonotiques, cette « industrie » sâoriente dĂ©sormais vers de plus grandes exploitations ou des « grappes de fermes » qui sont soutenues par les marchĂ©s de transformation et de gros en raison des marges bĂ©nĂ©ficiaires Ă©levĂ©es dans ce secteur. Mais dans la province du Zhejiang, le nombre de petites exploitations familiales a en fait augmentĂ© avec lâexpansion de lâindustrie de la fourrure.
Les élevages industriels de visons
Historiquement, les visons ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s pour leur fourrure plus que toute autre espĂšce. Dans les annĂ©es 1950, cet Ă©levage industriel a commencĂ© dans le district de Wendeng â province du Shandong â et avec le soutien du gouvernement local, des entreprises coopĂ©ratives ont vu le jour Ă proximitĂ©, notamment en ce qui concerne la production dâaliments pour animaux, la transformation des peaux et la vente en gros de fourrures. Ensuite, dans la mĂȘme province, Zhucheng est devenue lâune des plus grandes villes dâĂ©levage de visons de Chine depuis quâelle a commencĂ© Ă importer du vison noir de Russie dans les annĂ©es 1970. On prĂ©tend que sa seule production reprĂ©sente plus de 25% de la production de tout le pays, tandis quâenviron 70% des visons sont Ă©levĂ©s dans la province du Shandong. En 2015, il y aurait eu 8 600 Ă©leveurs localement Ă©tablis dans la rĂ©gion.
Selon lâassociation de lâindustrie du cuir de Chine (CLIA), 60 millions de peaux de vison auraient Ă©tĂ© « produites » en 2014, contre 13 millions de peaux de renard et 14 millions de peaux de chien viverrin. Ă cette date, le marchĂ© mondial des peaux de vison â estimĂ© Ă 40 milliards de dollars â a atteint un point de saturation. Si lâappĂ©tit du marchĂ© chinois pour la fourrure semblait insatiable, il nâa pu absorber immĂ©diatement ses propres 60 millions de visons abattus cette annĂ©e-lĂ : les magasins ont commencĂ© Ă faire des stocks, les peaux de vison ont rempli les entrepĂŽts frigorifiques et les prix ont chutĂ©. En fait, il semble que les Ă©leveurs, les transformateurs, les propriĂ©taires dâusines, les grossistes et les dĂ©taillants Ă©taient tous impatients de faire de bonnes affaires dans un marchĂ© qui avait quadruplĂ© en moins de cinq ans. Les autres raisons de cette surproduction pourraient provenir dâune rĂ©pression de la corruption dans « la chaĂźne de production de valeur », tandis quâune crise financiĂšre sĂ©vissait en Russie dont 65% des produits de fourrure importĂ©s provenaient de Chine.
Ainsi, la production chinoise de peaux de vison est passée de 60 millions en 2014 à 21 millions en 2018. [Une question demeure : cette chute était-elle uniquement due à une « crise de surproduction ?]
Lâimportation de mĂąles reproducteurs vivants
Depuis les annĂ©es 2000, de plus en plus dâĂ©levages chinois importent Ă titre privĂ© des visons et des renards mĂąles vivants pour la reproduction. Le Danemark est la principale source dâimportation de visons mĂąles en Chine grĂące Ă la collaboration avec Kopenhagen Fur. Les reproducteurs sont importĂ©s parce que les techniques dâĂ©levage en Chine sont moins avancĂ©es et que la qualitĂ© de la fourrure a tendance Ă dĂ©cliner aprĂšs quelques gĂ©nĂ©rations de reproduction endogamique.
De grands centres dâĂ©levage servent de plaques tournantes pour les mĂąles importĂ©s en Chine, qui sont ensuite distribuĂ©s aux petites fermes. Cette importation de reproducteurs est si importante que des bureaux de douane de « passage vert » ont Ă©tĂ© créés Ă Dalian (Heilongjiang) et Jilin en 2014, pour faciliter le processus. Ce « passage vert » simplifie les procĂ©dures dâinspection, ce qui aide Ă©galement les vendeurs Ă contourner les rĂ©glementations sanitaires existantes.
Ătude de cas : une ferme modĂšle du nord de la Chine
En 2003, une nouvelle installation dâĂ©levage industriel de visons a Ă©tĂ© fondĂ©e Ă Dalian, sur 100 000 mĂštres carrĂ©s, en collaboration avec la sociĂ©tĂ© danoise membre de lâassociation coopĂ©rative DPF / DPA. Son site Web indique quâil est prĂ©vu de vendre chaque annĂ©e 20 000 visons pour la reproduction. Dans le cadre de ces activitĂ©s, il y a une usine de dĂ©pouillement de vison, une usine de vĂȘtements de fourrure et une usine de transformation dâaliments pour visons [une « intĂ©gration verticale » de type fordiste]. Extraits du site Web de promotion en 2019 :
« Nous voulons crĂ©er des produits de fourrure parfaits avec du vison de haute qualitĂ©, un mode dâalimentation mĂ©canisĂ© de pointe, lâĂ©quipement dâĂ©levage et de traitement des produits le plus avancĂ© au monde, ainsi que la formule alimentaire la plus raisonnable, importĂ©e de lâĂ©trangerâŠ
En 2003, nous avons créé la premiĂšre coentreprise sino-Ă©trangĂšre dâĂ©levage de visons avec les danois⊠Il y a maintenant un total de 52 000 visons reproducteurs dans 15 variĂ©tĂ©s. Nous embauchons rĂ©guliĂšrement des experts Ă©trangers pour amĂ©liorer lâalimentation des visons et la formulation dâaliments. Notre sociĂ©tĂ© est la plus grande base dâexportation de la Chine⊠Câest Ă©galement lâune des dix principales bases de reproduction reconnues par le ComitĂ© dâĂ©levage de la Wild Life Conservation Association of ChinaâŠ
Nous avons de grands objectifs de dĂ©veloppement : crĂ©er une institution de commerce des fourrures en Chine, amĂ©liorer le dĂ©veloppement de lâĂ©levage de visons, renforcer la compĂ©titivitĂ© internationale de lâindustrie des vĂȘtements de fourrure et promouvoir le dĂ©veloppement sain de la logistique et du commerce des fourrures et des cuirs ». [Une parfaite dĂ©clinaison de la novlangue capitaliste occidentaleâŠ]
Législation relative à la production de fourrure en Chine
La FĂ©dĂ©ration internationale de la fourrure (IFF) se dĂ©finit comme suit : elle « reprĂ©sente 56 associations dans plus de 40 pays Ă travers le monde. Ses membres reprĂ©sentent tous les secteurs du commerce de la fourrure, y compris les Ă©leveurs, les trappeurs, les habilleurs, les fabricants, les courtiers, les maisons de vente aux enchĂšres, les dĂ©taillants et les stylistes. Chacun de ses membres a signĂ© un code de conduite strict les engageant Ă respecter les lois du secteur auxquelles ils sont soumis dans leur pays dâorigine. »
En novembre 2011, les spĂ©cifications de gestion du marchĂ© du cuir et de la fourrure (SB / T 10584-2011) Ă©tablies par le ministĂšre du Commerce en Chine sont officiellement entrĂ©es en vigueur. Elles recommandent aux Ă©leveurs dâanimaux Ă fourrure de repenser et de modifier leurs mĂ©thodes. En thĂ©orie, leur contrĂŽle relĂšve de lâAdministration dâEtat des forĂȘts et devait ĂȘtre promu en 2017 dans les cinq principales provinces dâĂ©levage dâanimaux Ă fourrure : Shandong, Heilongjiang, Liaoning, Hebei et Jilin. Cependant, ce ne sont que des recommandations, non obligatoires, identifiĂ©es par la lettre « T » dans le titre 45. Dâailleurs, aucune sanction nâest prĂ©vue pour en assurer lâapplication.
En fait, la rĂšglementation chinoise concernant les « Ă©levages » et industries dĂ©rivĂ©es de visons, de renards et de chiens viverrins est peu ou pas appliquĂ©e Ă ce jour. En outre, les entreprises dâĂ©levage domestique, ressortissent de domaines juridiques spĂ©cifiques, avec leurs propres normes.
Rentabilité immédiate contre normes sanitaires et environnementales
Concernant lâĂ©levage industriel et lâabattage des animaux Ă fourrure, il existe peu de contraintes lĂ©gales ou rĂ©glementaires de ce type qui soit exĂ©cutoires en Chine. De plus, elles sont guĂšre prises en compte, dâautant quâil nây a aucune pĂ©nalitĂ© pour les entreprises qui ne les respectent pas ; les mĂ©thodes les moins chĂšres sont prioritairement utilisĂ©es. Les dĂ©chets toxiques sont gĂ©nĂ©ralement rejetĂ©s dans les riviĂšres ou les lacs et les travailleurs de la fourrure ne bĂ©nĂ©ficient dâaucune protection contre les produits chimiques potentiellement cancĂ©rigĂšnes et par ailleurs toxiques avec lesquels ils entrent en contact quotidiennement.
Des normes de protection de lâenvironnement sont en place en Chine depuis les annĂ©es 2000, et, bien quâelles soient classĂ©es comme obligatoires, ce nâest que rĂ©cemment que des plaintes pour pollution issue des fermes Ă fourrure ont Ă©tĂ© prises en compte. Des enquĂȘtes sur les mauvaises pratiques dans les Ă©levages industriels des provinces du Hebei, du Zhejiang, du Henan et du Guangdong ont Ă©tĂ© ouvertes en 2017.
En thĂ©orie, des fermes pourraient ĂȘtre fermĂ©es pour ne pas avoir respectĂ© ces normes. Mais dans la pratique, les appliquer strictement causerait des dommages considĂ©rables et indĂ©sirables Ă lâindustrie de la fourrure, car peu de fermes ou dâusines de transformation sont disposĂ©es Ă investir les fonds importants nĂ©cessaires pour appliquer ces normes.
Une rentabilisation croissante, de lâĂ©levage Ă lâabattage
Les pĂ©riodes de maturation des animaux dâĂ©levage sont raccourcies avec lâutilisation de drogues, de sorte que la production et les bĂ©nĂ©fices augmentent rapidement. Prenant le vison comme exemple, les mĂ©dias rapportent que traditionnellement, le vison nĂ© en avril Ă©tait Ă©corchĂ© en novembre ou en dĂ©cembre. Actuellement, il peut ĂȘtre Ă©corchĂ© dĂšs le mois dâaoĂ»t, avec une vie de quatre mois. Pour les fermes Ă fourrure, il sâagit dâune rĂ©duction importante des coĂ»ts de main-dâĆuvre et de nourriture. La mĂ©latonine est utilisĂ©e pour raccourcir le temps de maturitĂ© des visons, mais les os poussent trop rapidement, la densitĂ© osseuse, la reproduction saisonniĂšre et les habitudes de sommeil en sont affectĂ©s.
Une main-dâĆuvre mobile et considĂ©rableâŠ
PrĂšs de sept millions de personnes travaillent dans lâindustrie chinoise de la fourrure, dont 50% environ dans celle du vison. Sur la base dâune moyenne de mĂ©nage de trois personnes, lâindustrie affecte directement la vie de prĂšs de 20 millions de personnes – sans compter les dĂ©taillants de mode ou les crĂ©ateurs. Par exemple dans le comtĂ© de Suning ou dans la ville de Leting (province du Hebei), environ un tiers de la population travaille dans lâindustrie des animaux Ă fourrure.
Pendant la saison de dĂ©pouillement, les « Ă©corcheurs mobiles » se dĂ©placent de ferme en ferme, abattant et dĂ©pouillant les animaux aussi vite que possible, ce qui conduit Ă un dĂ©pouillement Ă vif et Ă un essaimage des Ă©pidĂ©miesâŠ
Dans le passĂ©, la chair de vison laissĂ©e aprĂšs le dĂ©pouillement Ă©tait consommĂ©e par les Ă©leveurs eux-mĂȘmes, ou vendue collectivement Ă des marchands de viande, entrant ainsi dans les marchĂ©s alimentaires. Mais en raison des quantitĂ©s beaucoup plus importantes dâanimaux Ă©corchĂ©s et de lâutilisation de mĂ©dicaments pour les dĂ©velopper, la plupart des fermes Ă fourrure prĂ©fĂšrent donner les animaux Ă©corchĂ©s Ă la prochaine gĂ©nĂ©ration dâanimaux dâĂ©levage dans leur usine Ă cages. [Une pratique qui nâest pas sans rappeler un des facteurs dâapparition de lâencĂ©phalopathie spongiforme bovine (ESB) de 1986 au Royaume Uni.]
Jean-Marc Royer, le 26 janvier 2022
Source: Autrefutur.net