Comme pour le mouvement des Gilets jaunes le choix du samedi nâest pas anodin ; il est en rupture avec la tradition syndicale et ouvriĂšre des manifestations sur le temps de travail. Mais ce qui est en jeu cette fois ce nâest pas la « question sociale », mais pas non plus une question sociĂ©tale. On est bien obligĂ© de reconnaĂźtre dans cette protestation une sorte dâobjet non identifiĂ©. Partons de cela.
Relevons dâabord la forte diversitĂ© gĂ©ographique et sociologique des manifestants. Des urbains en provenance des grandes villes, des « rurbains » des pĂ©riphĂ©ries et aussi des habitants de petites villes et alentours, comme le montrent les dizaines et dizaines de manifestations dans toute la France. DiversitĂ© dâĂąge, de sexe et de milieu social malgrĂ© la tendance des mĂ©dias Ă prouver que les manifestations se recrutent plutĂŽt dans les milieux les moins Ă©duquĂ©s si ce nâest les plus dĂ©favorisĂ©s. Cette diversitĂ© sâexprime concrĂštement dans le fait que, parmi les manifestants on ne trouve pas seulement et principalement des non-vaccinĂ©s hostiles au vaccin contre le Covid et a fortiori contre les vaccins en gĂ©nĂ©ral, mais des personnes vaccinĂ©es hostiles au passe sanitaire y compris quand, pour des raisons pragmatiques, elles en sont pourvues.
Cette diversitĂ© de composantes et de motivations fait que lâopposition frontale au passe sanitaire constitue la seule dimension unitaire de ces manifestants, dont une bonne partie a rĂ©agi individuellement vis-Ă -vis des mesures gouvernementales de gestion de la crise sanitaire et nâa pas de tradition de lutte sociale. Ă ce propos, on pourrait parler de lâagrĂ©gation dâune colĂšre individuelle sans potentialitĂ© politique Ă©vidente ou immĂ©diate mĂȘme si lâopposition Ă Macron la cristallise.
Tandis que la majoritĂ© de la population semble avoir renoncĂ© Ă lâidĂ©e de comprendre quelque chose face au cours chaotique de la gestion Ă©tatique de la crise sanitaire et ses nombreuses injonctions contradictoires, Ă©mergent contre cet abandon des attitudes de refus qui sont passĂ©es progressivement dâun mĂ©contentement en privĂ© Ă lâexpression publique dâun refus. Mais les oppositions pas plus que les syndicats ou les associations nâayant de plan de remplacement, ces manifestations de colĂšre restent trĂšs minoritaires. Et ce mĂȘme Ă lâaune dâune comparaison avec le nombre de manifestants pendant le mouvement des Gilets jaunes alors que les mesures prises aujourdâhui concernent beaucoup plus de monde et Ă des niveaux divers. La diffĂ©rence nâest pas ici quantitative. Les Gilets jaunes avaient bien le sentiment de former le « peuple », mĂȘme si câĂ©tait une illusion, quand ils entonnaient le « Tous Gilets jaunes » parce quâils se sentaient victimes de la politique des puissants et cette position victimaire originelle, ils lâont dĂ©passĂ©e partiellement dans le mouvement et la communautĂ© de lutte. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure avec aujourdâhui des manifestants qui se savent trĂšs minoritaires, mais nullement « victimes » si ce nâest dâune politique ressentie comme incohĂ©rente et autoritaire. Ă tort ou Ă raison, la plupart en dĂ©duisent que cette premiĂšre caractĂ©ristique rend illĂ©gitime lâapplication de la seconde.
En effet, le gouvernement sâĂ©tait fait remarquer par sa premiĂšre prescription la plus simple en direction des personnes ĂągĂ©es : « Nâallez pas chez le mĂ©decin, restez chez vous et prenez un doliprane ; si vos symptĂŽmes sâaggravent, consultez votre mĂ©decin ou appelez le SAMU ». RĂ©sultats, peu de monde chez les mĂ©decins dans un premier temps et des hospitalisations et soins intensifs Ă suivre qui auraient, peut ĂȘtre, pu ĂȘtre Ă©vitĂ©s. Ă ce niveau dâincohĂ©rence, on peut comprendre que certains aient pu faire entendre que, peut-ĂȘtre⊠la chloroquine⊠Par la suite, ce qui importera pour le pouvoir câest dâimposer le seul protocole de la vaccination, celui en provenance dâun conseil scientifique et non pas un choix de soins large Ă©ventuellement compatibles avec la vaccination qui aurait tenu compte de lâaction de soins au quotidien des mĂ©decins traitants. LâARS et la SĂ©curitĂ© sociale les ont en effet rappelĂ©s Ă lâordre afin quâils participent Ă lâeffort dâune vaccination1 pourtant toujours pas obligatoire.
Jusque-lĂ , il y avait comme un doute dâune partie non nĂ©gligeable de la population si on en croit les sondages. La dĂ©fiance vis-Ă -vis du vaccin ou lâopposition au passe sanitaire ne se manifestait que dans la sphĂšre privĂ©e. Ă lâintĂ©rieur des familles dâabord oĂč elle crĂ©ait des clivages que le premier confinement nâavait pas rĂ©vĂ©lĂ©s ; sur les rĂ©seaux sociaux ensuite oĂč se dĂ©veloppaient les critiques les plus diverses, puisque câest aussi lâendroit oĂč les gens « se lĂąchent », jusquâaux dĂ©rives complotistes. Le contrĂŽle de ces rĂ©seaux par les Ătats sâavĂšre ici un enjeu dâimportance dans la mesure oĂč leurs contenus nâĂ©mergent pas vĂ©ritablement Ă la sphĂšre publique, mais alimentent une scĂšne underground dâun nouveau type. Ce qui sây dit Ă©chappe souvent Ă toute procĂ©dure de modĂ©ration et Ă une censure difficile Ă mettre en place en dehors des rĂ©gimes « illibĂ©raux » pour parler dans la novlangue politico-mĂ©diatique. Un problĂšme qui couvait depuis bientĂŽt 20 ans, mais laissĂ© dans lâombre par le caractĂšre apparemment inoffensif, car marginal, des discours qui sây dĂ©veloppaient. Si le mouvement des Gilets jaunes avait dĂ©jĂ montrĂ© que les rĂ©seaux sociaux pouvaient ĂȘtre Ă la base dâautre chose que des insultes et des fake news â parce que ce mouvement a peu Ă peu supplantĂ© le refoulĂ© des discours en se manifestant au grand jour â, la pandĂ©mie et son mystĂšre ont gelĂ©s, pendant presque deux ans, tout mouvement ou pratique quelle quâelle soit et ce sont les discours qui se sont donnĂ©s libre cours jusquâĂ constituer, sur ce sujet, une sorte de contre discours anti-systĂšme plus que critique.
Pourtant le pouvoir en place avait enregistrĂ© un niveau satisfaisant dâacceptation des mesures de confinement de la part dâune population qui faisait sienne lâidĂ©e dâune efficacitĂ© des mesures de confinement et les gestes barriĂšres imposĂ©s, doublĂ©s des mesures sociales de chĂŽmage partiel indemnisĂ© Ă un haut niveau. LâarrivĂ©e sur le marchĂ© de vaccins censĂ©s tout rĂ©soudre aurait dĂ» renforcer ce degrĂ© de satisfaction. Or, pour ce mĂȘme pouvoir, la surprise est grande de voir apparaĂźtre, certes Ă la marge mais renforcĂ©e par le fait que la pandĂ©mie perdure, une opposition, une irritation ou mĂȘme une rĂ©volte contre des mesures contraignantes qui ont perdu de leur pouvoir de convaincre au grĂ© dâune pandĂ©mie maintenant jugĂ©e interminable.
Ce que le pouvoir a, semble-t-il, mal perçu câest la diffĂ©rence entre des mesures de confinement inĂ©dites et Ă ce titre exceptionnelles â dâautant plus acceptĂ©es quâelles Ă©taient analogues dans les autres pays europĂ©ens â et des mesures comme lâobligation du passe sanitaire qui elles, sont rĂ©fĂ©rĂ©es Ă des dispositifs qui impactent la vie de tous les jours sans que le rapport Ă la pandĂ©mie soit pour tous Ă©vident2. De ce constat-lĂ , il est alors facile de passer Ă lâidĂ©e que ces mesures sont liberticides. Comme pour la tempĂ©rature, câest ici le poids du « ressenti » qui importe plus quâune conscience rĂ©flexive de la chose et tout Ă coup ce poids pĂšse et il faut que ça sorte. DĂ©filer dans la rue devient alors une façon de rompre avec cette invisibilitĂ© cultivĂ©e sur les rĂ©seaux parce quâelle est autant dĂ©sirĂ©e que subie. DĂ©sirĂ©e parce quâelle donne lâillusion de remĂ©dier Ă lâatomisation/particularisation des individus dans le capital ; subie parce que les politiciens et les mĂ©dias mĂ©prisent tout ce qui nâest pas les rĂ©seaux de pouvoir en dĂ©niant toute qualitĂ© dâintervention Ă des « rĂ©seaux sociaux » qui seraient dans lâinfra-politique. Mais cette nouvelle visibilitĂ© acquise dans la manifestation nâa quâune force relative, car les nouvelles mesures ne visent plus Ă ce que les gens se terrent chez eux comme dans le premier confinement ou prĂ©cĂ©demment quand les violences policiĂšres visaient Ă dissuader les Gilets jaunes de manifester. Le contrĂŽle de lâespace public et professionnel qui se met en place au cours de cette gestion de la crise sanitaire ne vise pas un ennemi concret, incarnĂ© et Ă combattre puisque câest le virus qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© tel, mais lâensemble dâune population. Il nâempĂȘche quâil nây a pas ici de volontĂ© premiĂšre de la part de lâĂtat dâun traçage des individus comme il peut y avoir en Chine. Ce nâest pas une fin mais un moyen pour obliger Ă la vaccination dans le cadre de la crise sanitaire.
Le pouvoir essaie de faire sortir de leur retrait passif ou actif les rĂ©calcitrants aux mesures actuelles en les « marquant » dĂšs quâils se livrent Ă des activitĂ©s quotidiennes ou non Ă lâextĂ©rieur de chez eux. Dans le cas de la France â pays dans lequel les manifestations nâont pas Ă©tĂ© les plus prĂ©coces, mais semblent parmi les plus fournies et les plus frĂ©quentes â, une batterie de mesures Ă la fois plus contraignantes et plus attentatoires Ă la lĂ©gislation en vigueur que dans la plupart des autres pays dĂ©mocratiques « libĂ©raux » est Ă lâorigine de la contestation. Alors que le pouvoir se sent majoritaire, il sâagit que tout le monde marche du mĂȘme pas, dâoĂč la stigmatisation de ceux qui « ont un niveau dâĂ©tude plutĂŽt infĂ©rieur Ă la moyenne » comme le disent par euphĂ©misme sondeurs et sociologues vis-Ă -vis de ce qui ne serait mĂȘme plus la plĂšbe et encore moins une classe ouvriĂšre. Il ne serait pourtant venu Ă lâidĂ©e de personne (politiciens ou journalistes) au moins depuis la TroisiĂšme rĂ©publique, de lui reprocher Ă cette derniĂšre son manque dâinstruction quand elle faisait grĂšve ou Ă©tait prise dâune montĂ©e de fiĂšvre ou manifestait son insubordination comme en 1968. On est revenu au temps du mĂ©pris de classe⊠en lâabsence de classes au sens historique et marxien du terme.
Les manifestations actuelles nâont pas pour base des conditions objectives dĂ©gradĂ©es engendrant des difficultĂ©s Ă vivre et sur lesquelles une mesure gouvernementale vient se greffer qui fait sauter le bouchon de la cocotte-minute, comme pour les Gilets jaunes. Certes, comme ont essayĂ© de le faire remarquer certains journalistes ou spĂ©cialistes de sciences sociales si le virus peut toucher riches et pauvres et maintenant jeunes et vieux, urbains comme ruraux, les conditions de sa rĂ©ceptivitĂ© et de lâaccĂšs aux soins ne sont pas les mĂȘmes pour tous3 ; mais ce nâest pas ce qui ressort de ces manifestations et pour nous ce nâest pas cela qui est remarquable. Ce qui lâest, câest finalement lâapprĂ©ciation subjective qui est faite de lâĂ©pidĂ©mie. Hormis les « extrĂ©mistes », dâun cĂŽtĂ© scientistes4 Ă tout crin et certains matĂ©rialistes marxistes qui sont tout dâun coup (avec la pandĂ©mie) passĂ©s de la haine contre les grands laboratoires pharmaceutiques et leurs profits dus Ă lâexploitation capitaliste de notre « capital-santĂ© », Ă la rĂ©vĂ©rence devant les progrĂšs de la science (elle serait du mĂȘme coup devenue neutre) qui ont permis en un temps record une vaccination miracle ; et de lâautre ceux qui ont Ă©tĂ© dans le dĂ©ni plus ou moins total, des individus « moyens » qui se sont surtout posĂ© des questions devant les atermoiements et revirements, Ă©ventuellement mensonges des politiques et sommitĂ©s acadĂ©miques (le masque pas le masque, Ă lâintĂ©rieur pas Ă lâextĂ©rieur puis Ă lâextĂ©rieur, le vaccin câest la libertĂ© non le vaccin protĂšge mais il faut garder les gestes barriĂšres, le vaccin empĂȘche de⊠non il nâempĂȘche pas, etc.). Qui nâest pas allĂ© Ă©couter Raoult ou FouchĂ© quand ils ont soutenu, dĂšs lâorigine, quâil fallait avant tout soigner les malades avant de se lasser de leurs affirmations aussi pĂ©remptoires que celles des comitĂ©s scientifiques officiels ? Les journalistes faisaient contre-feu en nous parlant dâune « communautĂ© scientifique » qui pourtant nâexiste pas. Il nây avait donc rien Ă voir, juste Ă acquiescer. Mais mĂȘme les soignants â qui ont eu un « comportement appropriĂ© » (comme disent ceux qui ont le pouvoir) pendant le premier confinement et la phase la plus intense de lutte contre le virus â, se trouvent aujourdâhui montrĂ©s du doigt sâils Ă©mettent le moindre doute sur la nĂ©cessitĂ© de leur propre vaccination et menacĂ©s de suspension en cas de refus.
Face Ă la multiplication des mesures sanitaires et leurs incohĂ©rences apparentes5, il ne faut donc pas sâĂ©tonner que les protestations varient parfois au grĂ© des desiderata de chacun selon le contexte (travail, vie quotidienne, loisirs) ou le moment. Elles traduisent surtout une disparitĂ© dâapprĂ©hension qui va dâune approche complotiste des mesures gouvernementales au rejet de la vaccination jusquâau refus dâun traçage des personnes par lâĂtat. Toutes ces rĂ©actions ne sont pas Ă©quivalentes, mais leur point commun, câest dâĂȘtre des positions marquĂ©es par un isolement par rapport Ă des Français qui se font vacciner en masse, mĂȘme si ce nâest pas pour les mĂȘmes raisons6.
Comme pendant le mouvement des Gilets jaunes, la lutte pour la visibilitĂ© semble lâemporter jusquâĂ se dĂ©tacher dâun contenu prĂ©cis. Ici par exemple mĂȘme le refus du passe sanitaire (de la part de personnes qui lâont) manifeste une opposition en soi Ă Macron et Ă ce quâil reprĂ©sente. Le risque câest que le but ne soit plus que dâĂ©largir cette visibilitĂ© et donc de ne pas pouvoir se confronter Ă la diversitĂ© voire Ă lâincompatibilitĂ© des contenus exprimĂ©s par les manifestants. En ce sens, ceux-ci sâillusionnent sur leur consensus oppositionnel, en grande partie fictif. Plus fictif, en tout cas pour le moment, que celui des Gilets jaunes dont le mouvement a suivi un processus de transcroissance7 relative des motivations de dĂ©part vers une prise de distance par rapport aux impĂ©ratifs et normes de la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e, pour le moment absente ici.
Câest bien cette possibilitĂ© que scrute actuellement le gouvernement, mĂȘme sâil a une bonne marge de manĆuvre en sâappuyant sur la rĂ©elle division qui oppose les « pro » aux « anti ». Mais que cette division existe nâest pas une raison pour prendre pour argent comptant lâargumentaire du pouvoir comme quoi les vaccinĂ©s seraient les altruistes et les non-vaccinĂ©s les Ă©goĂŻstes. Stigmatiser, culpabiliser, diviser, est une mĂ©thode qui a fait ses preuves en politique et mĂȘme les nĂ©ophytes macroniens peuvent se lâapproprier. Ainsi, les « soignants » (infirmiĂšres, ASH et aides-soignantes principalement) qui sont sans aucun doute les plus reprĂ©sentĂ©s comme profession dans les manifestations et qui ont fait preuve de leur « altruisme » pendant le premier confinement peuvent-ils contribuer Ă donner sens commun Ă ce qui semble partir dans tous les sens. Les syndicats CGT et SUD-SantĂ© quant Ă eux donnent lâimpression de tirer dans la mĂȘme direction quand ils essaient de faire le lien entre lutte contre vaccination obligatoire et passe sanitaire dâun cĂŽtĂ©, casse de lâhĂŽpital public de lâautre. Certes quand on connaĂźt la division syndicale et les corporatismes de la profession on nâest pas absolument certain quâil nây a pas lĂ -dessous un coup fourrĂ© du mĂȘme type que celui de la prĂ©tendue convergence Hospitaliers-Gilets jaunes il y a deux ans. Mais quand mĂȘme ; alors quâaucune nouvelle mesure depuis deux ans nâest venue inverser cette tendance Ă la dĂ©sagrĂ©gation de lâhĂŽpital public en France et de lâhĂŽpital en gĂ©nĂ©ral dans des pays comme lâAngleterre, lâEspagne et lâItalie, les pouvoirs publics en sont Ă accuser ceux qui ne rĂ©pondent pas aux injonctions dâĂȘtre Ă lâorigine des futurs reports dâopĂ©rations graves Ă lâhĂŽpital. On comprend que des soignants et pas que leurs syndicats, lâaient mauvaises.
LĂ encore les mĂ©dias ont tendance Ă mettre en avant que lâordre dâacceptation des mesures sanitaires chez le personnel soignant est corrĂ©lĂ© au niveau de diplĂŽme. Le pouvoir macronien a quand mĂȘme une spĂ©cificitĂ© de ce point de vue lĂ par rapport Ă ces prĂ©dĂ©cesseurs gaullistes ou mitterrandiens. Ce nâest pas un gouvernement politique ou mĂȘme politicien auquel on a affaire ici, mais Ă une exposition de supposĂ©es « tĂȘtes » nĂ©es quasiment toutes hors sol8. Il ne faut donc pas sâĂ©tonner que la spontanĂ©itĂ© des nouvelles « masses » soit essentiellement dĂ©gagiste si ce nâest coupeuse de tĂȘtes.
Les mĂ©dias tirent quand mĂȘme parfois la sonnette dâalarme. La voix de son maĂźtre, le journal Le Monde, sâinquiĂšte dans un rĂ©cent Ă©ditorial de la mĂ©thode du gouvernement, car pour les mĂ©dias mainstream tout est toujours une question de communication. Celle du gouvernement ne serait pas assez pĂ©dagogique et il vaudrait mieux faire de la prĂ©vention que de la rĂ©pression, car les dĂ©cisions autoritaires en matiĂšre de santĂ© ne sauraient rencontrer dâobstacles si leur nĂ©cessitĂ© sâimpose Ă une trĂšs grande majoritĂ©, parce quâest reconnue une vĂ©ritable situation dâurgence. Câest ce qui a fonctionnĂ© pendant la gestion pourtant improvisĂ©e du premier confinement, mais qui ne peut perdurer car ce qui se prolonge ne peut plus se rĂ©fugier derriĂšre lâargumentation autour dâune urgence qui devient toute relative comme nous le montre la une de la presse des 10 et 11 aoĂ»t oĂč il est davantage question dâune « urgence climatique absolue ».
DerriĂšre cette rhĂ©torique qui essaie de trouver la bonne alternance entre pĂ©dagogie et autoritĂ©, perce la peur dâun nouveau mouvement des Gilets jaunes puisque ceux-ci semblent dĂ©sormais remplacer Mai-68 comme aune dâĂ©valuation des menaces pour la continuitĂ© de lâĂtat. Pourtant, il nây a pas de nouveau mouvement Gilets jaunes parce que, pour le moment, il ne semble y avoir quâune protestation immĂ©diate qui peine Ă faire mouvement. Pour la plupart pas de signe distinctif, quelques pancartes individuelles plus que des banderoles collectives, pas de Gilets jaunes en grand nombre, mĂȘme si on a parfois lâimpression que ces derniers (mais sans leurs gilets) structurent les manifestations contre le pouvoir en gĂ©nĂ©ral et Macron en particulier. Si ce dernier point Ă©tait souvent plus implicite quâexplicite, le peuple en fusion quâils reprĂ©sentaient est loin de se retrouver dans les manifestations contre le passe sanitaire. En effet, lâidĂ©e du « tous Gilets jaunes » est, aujourdâhui en tout cas, encore impensable pour des individus dont la dĂ©marche de protestation est fondamentalement individuelle. Elle nâa pas trouvĂ© un relais tel que les ronds-points, Ă la fois en phase avec le lieu (pĂ©riphĂ©rie) et la revendication dâorigine (le prix du carburant, les transports) et la nĂ©cessitĂ© pour un mouvement de trouver une base de socialisation de la lutte qui soit lieu dâĂ©change, de convivialitĂ© et de camaraderie et puisse Ă©ventuellement aussi servir de base arriĂšre de rĂ©sistance et fixation pendant un moment.
Devant ce manque ou ce vide que reprĂ©sente lâabsence de collectif (alors quâil y avait des groupes de Gilets jaunes), les anciens Gilets jaunes deviennent une sorte de socle militant et de mĂ©moire constituant une passerelle pour de nouveaux manifestants qui soutiennent ou disent soutenir Ă retardement des Gilets jaunes, dont beaucoup Ă©taient eux-mĂȘmes des nouveaux manifestants Ă lâĂ©poque, regrettant parfois de ne pas avoir manifestĂ© contre le projet de loi-travail. LâenchaĂźnement oppositionnel de ces derniĂšres annĂ©es depuis le mouvements des places et malgrĂ© les critiques qui ont pu lui ĂȘtre adressĂ©es pour son formalisme, la lutte contre le projet de loi-travail, le mouvement des Gilets jaunes, certaines actions ou initiatives au moment du conflit des retraites, montrent Ă quel point la manifestation ouvriĂšre et syndicale « de gauche » est devenue un archaĂŻsme ritualisĂ©, Ă peine secouĂ© par le cĂŽtĂ© postmoderne dâun cortĂšge de tĂȘte lui-mĂȘme vite ritualisĂ© en deux ou trois ans. Si les manifestations dâaujourdâhui ne font pas mouvement, en elles rĂ©sonnent un peu de la puissance des luttes de ces derniĂšres annĂ©es, ne serait-ce que par la reprise de certains slogans ou par le fait dâimposer des manifestations, dĂ©clarĂ©es ou non dans un contexte dâĂ©tat dâurgence.
La maniĂšre de vivre lâopposition au passe sanitaire est de lâordre dâun rapport entre soumission et colĂšre, sans continuitĂ© autre que celle de la rĂ©currence de la colĂšre, puisque la prĂ©dominance actuelle de la forme rĂ©seau de lâĂtat tend Ă supprimer toute mĂ©diation et donc toute perspective de nĂ©gociation qui permettait, dans la phase prĂ©cĂ©dente, de ne pas procĂ©der par Ă coups, mais par un processus de lutte duquel se dĂ©gageait un rapport de forces. Ici, cette colĂšre sâaccumule certes, mais elle nâa pas les caractĂšres de « lâexpĂ©rience prolĂ©tarienne » qui objectivait la lutte des classes et lâinscrivait dans des cycles de lutte et donc des continuitĂ©s et des discontinuitĂ©s avec des pĂ©riodes de haute ou basse intensitĂ© qui se succĂ©daient dans le temps. Elle nâa pas non plus le caractĂšre de processus du mouvement des Gilets jaunes qui, une fois atteinte puis passĂ©e lâincandescence de novembre-dĂ©cembre 2018, a maintenu un temps les Ă©changes et les liens nĂ©s sur les ronds-points et a dĂ©veloppĂ© dâautres actions, par exemple de blocage ou de sensibilisation en dehors des samedis de manifestation ; dâautres formes telles les assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, bref des pratiques quâon pourrait dire militantes. Tout un ensemble qui dĂ©gageait une conscience dâavoir participĂ© plus encore quâĂ une lutte collective, Ă une aventure commune. Câest dâailleurs, en plus dâun large soutien de la population, ce qui a fait tenir si longtemps les Gilets jaunes contre toutes les attaques (mĂ©diatiques et politiques) quâils subissaient semaine aprĂšs semaine.
LĂ , on a plutĂŽt lâimpression dâune disparition de la temporalitĂ© dans lâabsence dâamorce dâun processus. Les manifestations contre le passe sanitaire, mĂȘme si elles sont immĂ©diatement contre des mesures prises par lâĂtat et la gestion alĂ©atoire de lâĂ©pidĂ©mie, ne sâaffrontent pas Ă lâĂtat. Cela explique la diffĂ©rence de traitement des manifestants par les forces de lâordre. Ă la tension violente qui rĂ©gnait dans les manifestations dâhier succĂšde aujourdâhui la confrontation Ă fleuret mouchetĂ©. La situation est paradoxale parce que lâĂtat est encore plus dans lâĂ©tat dâexception quâhier, mais ses opposants ne sont pas des ennemis de lâĂtat ; ils ne sont simplement pas sur la mĂȘme longueur dâonde. Dans cette mesure, la rĂ©pĂ©tition des manifestations sans gain notable dâune semaine sur lâautre est pour le moment parfaitement maĂźtrisĂ©e par lâĂtat qui y trouve son compte : les protestataires sâexpriment, mais on les donne en contre exemple de « lâattitude appropriĂ©e » qui dans la novlangue de la sociĂ©tĂ© a dĂ©jĂ replacĂ© lâancienne « attitude citoyenne ». Dans cette mesure et nous lâavons vu prĂ©cĂ©demment, si nous sommes bien dans une situation dâexception depuis la lutte contre le terrorisme, la mise en place controversĂ©e de la loi de « sĂ©curitĂ© globale » et enfin lâĂ©tat dâurgence sanitaire, nous ne sommes pas dans un Ătat dâexception au sens de Carl Schmitt ou de Giorgio Agamben.
Les premiĂšres manifestations contre le masque ont Ă©tĂ© spontanĂ©es ou sur la base de contacts sur les rĂ©seaux sociaux, mais celles contre le passe sanitaire ont Ă©tĂ© plus organisĂ©es au sens oĂč elles ont Ă©tĂ© appelĂ©es, si ce nâest diligentĂ©es, par des fractions politiques comme « Les Patriotes » qui ont compris ne pas avoir affaire Ă un ou des collectifs coordonnĂ©s9 et il cherche donc Ă en tirer le bĂ©nĂ©fice politique rapidement avant les Ă©lections prĂ©sidentielles en proposant des parcours de manifestation quâil est Ă mĂȘme de dĂ©poser officiellement. Par delĂ la tentative dâinfiltration politique dâun groupe politique10, ce qui a triomphĂ© ici câest le pragmatisme avec la dĂ©claration des manifestations et lâassurance quâelles puissent se dĂ©rouler sans trop de heurts au nom de la libertĂ© mais dans le respect de lâordre. La stratĂ©gie de manifestation est donc diffĂ©rente de celle des Gilets jaunes qui tenaient Ă une unitĂ© de la lutte autour de lâidĂ©e que la manifestation nâest pas un droit acquis comme le pensent les syndicats et les divers tenants de la libertĂ©, mais une sorte de droit naturel Ă lâinsubordination en droite ligne de la constitution de 1793. Il ne se nĂ©gocie pas. Ce prĂ©cepte/principe nâempĂȘchait pas quâau fur et Ă mesure du dĂ©roulĂ© de la lutte des Gilets jaunes, faire preuve de pragmatisme soit exclu, comme dans les manifestations parisiennes oĂč trĂšs rapidement dĂšs le printemps 2019 il nâĂ©tait plus possible de constituer une manifestation « sauvage ». Câest ainsi quâĂ lâintĂ©rieur du mouvement des Gilets jaunes, si lâon met de cĂŽtĂ© Paris, les discussions sur le fait de dĂ©poser ou non faisaient lâobjet dâĂąpres discussions et la tactique sur ce point sâĂ©valuait de semaine en semaine. LĂ il nâen est rien. Il nây a pas de lieux occupĂ©s, peu de temps de rĂ©union et ce nâest quâĂ la marge que des actions ont lieu durant la semaine. Des greffes dâAG sont tentĂ©es par des militants de gauche mais dĂ©jĂ au moment des Gilets jaunes on pouvait noter la caducitĂ© de la forme-assemblĂ©e ; lĂ elles semblent encore plus dĂ©couplĂ©es des manifestations.
Il sâensuit que plusieurs manifestations peuvent coexister les samedis puisque les Gilets jaunes ayant marquĂ© les esprits, lâhabitude de manifester sans dĂ©clarer est prise et ouvre une possibilitĂ© pour diverses initiatives cherchant Ă essaimer plutĂŽt quâĂ concentrer les forces. Câest la coexistence de tous les mĂ©contentements et rĂ©voltes. Ainsi, Ă Paris, le samedi 21 aoĂ»t on ne dĂ©nombrait pas moins de quatre appels Ă manifestation dans Paris, dont certaines appelĂ©es par des Gilets jaunes. Cette combinaison dâindividus plus hĂ©tĂ©roclites quâassociĂ©s sâen trouve incapable de dĂ©gager une ligne directrice, le mĂ©lange des positions les plus improbables engendrant une unitĂ© Ă minima. Câest cette absence de ligne directrice qui permet aux manifestations de perdurer au-delĂ des clivages politiques et des positions de chacun.
Cette rĂ©pĂ©tition de la manifestation en soi sur le modĂšle des samedis des Gilets jaunes semble parachever la fin de toute rĂ©fĂ©rence Ă la lutte des classes que lâon pouvait dĂ©jĂ noter lors du mouvement des Gilets jaunes. Ce fil rouge est bien coupĂ©, mĂȘme si ce ne sont pas les manifestants qui le coupent. En consĂ©quence, les rĂ©fĂ©rences aux mouvements prolĂ©tariens ne sont pas rejetĂ©es, comme cela a pu lâĂȘtre Ă lâorigine du mouvement des Gilets jaunes, elles sont mĂ©connues pour ne pas dire inconnues, en dehors des quelques militants politiques ou syndicaux qui participent Ă ces manifestations. Lâimaginaire convoquĂ© est moins prĂ©sent puisque câest lâimmĂ©diatisme du refus qui lâemporte. La rĂ©fĂ©rence Ă la RĂ©volution française affleure encore, mais ce serait plus Ă celle de 1792 que de 1793 dont il sâagit. Le premier couplet de La Marseillaise est entonnĂ© ou le plus souvent un simple drapeau tricolore est agitĂ©, mais il ne sâagit plus « dâaller les chercher ».
Si le mouvement des Gilets jaunes, nous lâavons dĂ©jĂ dit, a tentĂ© une transcroissance de ses motivations dâorigine, nous sommes aujourdâhui dans une tout autre situation, bien significative de ce quâest la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e. Les manifestations ne manifestent aucun aprĂšs et pire que cela ce sont les pouvoirs en place et surtout les mĂ©dias qui ont osĂ© poser la question du « monde dâaprĂšs » parce quâeffectivement lâarrĂȘt du premier confinement strict ouvrait la possibilitĂ© de poser autre chose ce qui est mĂȘme venu Ă lâesprit de ceux qui gouvernent. Dans les manifestations dâaujourdâhui, quâon y soit favorable ou pas, il ne sâagit pas de ça, mais seulement, Ă©ventuellement, de rĂ©sister Ă ce qui pourrait advenir de pire.
Ce que lâon trouve Ă la place et platement, câest lâaccĂ©lĂ©ration de la virtualisation du monde avec le rĂŽle accru des Gafam via le tĂ©lĂ©travail, les contrĂŽles par QR code, etc. De la mĂȘme façon que « le mort saisit le vif » (Marx) dans le monde du travail, avec la prĂ©dominance de la technoscience dans le procĂšs du capital les technologies de lâinformation ont dans un premier temps suppléé les relations sociales empĂȘchĂ©es par les confinements pour ensuite les accompagner comme on peut le constater avec le passe sanitaire actuel.
Temps critiques, le 26 août 2021
1 â Ils servent encore aujourdâhui Ă liquider les doses dâAstraZeneca dont, pour de bonnes ou mauvaises raisons, personne ne veut.
2 â Il ne faut pas oublier que tout cela se situe dans un contexte dâĂ©tat dâurgence initiĂ© contre le terrorisme et toujours maintenu ou actualisĂ© et Ă©largi avec le projet de loi sur la « sĂ©curitĂ© globale ».
3 â Dans Le Monde du 24-25 juillet, une enquĂȘte du gĂ©ographe de la santĂ© E. Vigneron constate une fracture vaccinale (indĂ©pendante du facteur Ăąge) entre dâun cĂŽtĂ© Ouest et Nord, territoires les moins touchĂ©s par la pandĂ©mie mais les plus vaccinĂ©s, et de lâautre, Sud-Est et Est, plus touchĂ©s, mais pourtant les moins vaccinĂ©s (constat paradoxal mais sujet Ă de multiples interprĂ©tations) ; mais surtout fracture vaccinale suivant grosso modo la « fracture sociale » : communes les plus aisĂ©es et les centres-villes oĂč on trouve le plus de vaccinĂ©s et communes les moins aisĂ©es des pĂ©riphĂ©ries et banlieues oĂč on en trouve le moins.
4 â Contrairement Ă ce que prĂ©tend le scientisme qui nâest quâidĂ©ologie, la science ne recherche pas une VĂ©ritĂ© absolue, laquelle nâexiste pas, tout au plus des vĂ©ritĂ©s partielles et souvent provisoires, qui ne sont quâautant dâ« erreurs rectifiĂ©es » (cf. Gaston Bachelard, La formation de lâesprit scientifique, Vrin, 1983, p. 10 et 239). Ce qui est incontestable, ce nâest pas telle ou telle vĂ©ritĂ© actuelle, fruit dâune dĂ©marche scientifique, mais cette dĂ©marche elle-mĂȘme, prĂ©cisĂ©ment en mesure de remettre sans cesse en cause ses propres rĂ©sultats antĂ©rieurs. Le moins quâon puisse dire, câest que les diffĂ©rents conseils scientifiques ou conseils de dĂ©fense nâont pas fait preuve dâune telle dĂ©marche en nâexposant finalement que leur propre « expertise » bien limitĂ©e dâailleurs par le cloisonnement des spĂ©cialitĂ©s. NĂ©anmoins, aujourdâhui, dans la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e, le « scientisme » est loin dâavoir lâinfluence quâil avait, bien sĂ»r dans la sociĂ©tĂ© bourgeoise, mais aussi pendant les Trente glorieuses. Il est dĂ©sormais concurrencĂ© par les critiques de la science venant de lâĂ©cologisme gĂ©nĂ©ralisĂ©, des courants religieux, des courants Ă©sotĂ©riques, du naturalisme, etc. DâoĂč la faveur que recueillent des scientifiques dissidents ou des biologistes dĂ©viants ou des mĂ©decins antivax.
5 â Pas seulement quâapparentes puisque le projet de passe sanitaire adoptĂ© le 1er juillet par les pays de lâUnion europĂ©enne, nâest accordĂ© quâaux citoyens qui ont reçu les quelques vaccins approuvĂ©s par lâAgence europĂ©enne des mĂ©dicaments, AstraZeneca, Janssen, Moderna et Pfizer. Et encore, pour le premier, seuls ceux sortis dâusines europĂ©ennes sont reconnus. Or, huit vaccins sont dĂ©jĂ autorisĂ©s par lâOMS et largement diffusĂ©s sur la planĂšte. Ces produits demeurent pourtant exclus du passeport. Ainsi, des centaines de millions de personnes qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© dâautres vaccins antiCovid demeurent interdites dâEurope. Alors quâon oppose aux manifestants anti-passe dâEurope la dĂ©tresse des Tunisiens sans vaccins et victimes de lâĂ©pidĂ©mie, aucune mesure sĂ©rieuse et dâurgence nâest prise pour une libĂ©ration des brevets. LâAfrique nâa pour le moment droit quâau mĂ©canisme Covax qui sâappuie sur la distribution de onze vaccins dont huit ne sont pas reconnus internationalement. Or selon une Ă©tude de lâImperial College London le coĂ»t de production dâune dose du vaccin Pfizer serait de 0,60 $ (0,51 âŹ) ; les coĂ»ts additionnels de conditionnement, packaging et contrĂŽle qualitĂ© en porteraient le prix Ă 0,88 $ (0,75 âŹ). Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/06/09/covid-19-de-la-recherche-au-flacon-comprendre-le-prix-d-un-vaccin_6083481_4355770.html. Or Pfizer a vendu sa dose de vaccin Ă lâUnion europĂ©enne au prix unitaire de 15,5 ⏠avant de dĂ©cider rĂ©cemment de son augmentation Ă 19,5 âŹ. Ă ce tarif, les Tunisiens ne seraient pas prĂšs dâĂȘtre vaccinĂ©s.
6 â Cet isolement semble dâailleurs bien partagĂ© puisque souvent ceux qui parlent dâisolement des manifestants, ou des anti-passe en gĂ©nĂ©ral, du point de vue de leur propre position politique, le font en se drapant dans leur intĂ©gritĂ© politique pour masquer le fait quâils tiennent le discours du pouvoir en place et de lâĂtat. PathĂ©tique de ce point de vue lĂ apparaĂźt la prise de position de Lorenzo Battisti de la CGT Banque-Assurance dont il vaut la peine de signaler les arguties de fin de texte : « Ces manifestations devraient ĂȘtre axĂ©es sur la lutte contre la libertĂ© de licenciement en lâabsence dâun passe sanitaire, et non contre le passe sanitaire en soi » avant lâappel habituel Ă la lutte de classes : « Je demande Ă chacun de faire attention Ă sa participation Ă ces manifestations, car cela pourrait nuire aux futurs mouvements de classe auxquels la CGT doit participer (disponible entre autres sur le site Entre les lignes entre les mots).
7 â Par transcroissance nous entendons le fait quâun Ă©vĂ©nement puisse dĂ©passer son caractĂšre spĂ©cifique et limitĂ© dâorigine. Nous pensons lâavoir explicitĂ© pour le mouvement des Gilets jaunes. Câest une perspective qui manque aux manifestations dâaujourdâhui. En effet, la lutte contre le passe sanitaire en elle-mĂȘme ne peut dĂ©boucher sur rien (surtout quâil y a et aura de plus en plus de vaccinĂ©s par rapport Ă la premiĂšre manifestation du 14 juillet) si elle ne rencontre pas une lutte contre la loi de sĂ©curitĂ© globale initiĂ©e il y a quelques mois, mais qui elle-mĂȘme avait eu du mal Ă faire mouvement en ne regroupant que les organisations militantes et les restes du mouvement des Gilets jaunes.
8 â Instituts de sondage et mĂ©dias le reconnaissent Ă leur façon en signalant comme explication des Ă©checs des reprĂ©sentants LREM dans les Ă©lections municipales ou rĂ©gionales, leur manque dâancrage.
9 â Il existe bien quelques collectifs, par exemple en rĂ©gion parisienne : le collectif « Laissons les mĂ©decins prescrire » ou « Paris pour la libertĂ© » créé par Sophie Tissier, coordinatrice de Force jaune un groupe parisien se caractĂ©risant, entre autres Ă lâĂ©poque, par sa volontĂ© minoritaire au sein des Gilets jaunes de dĂ©clarer les manifestations ; « RĂ©action 19 » des avocats Carlo Brusa, Di Vizio ou Virginie Araujo qui ont dĂ©bouchĂ© dâune part sur une action contre les procĂšs verbaux (non-respect des masques et du couvre-feu) et dâautre part une opposition au port du masque dans les Ă©coles, mais ils restent disparates. Notons quand mĂȘme que Brusa est un ancien de Forza Italia.
10 â Cet entrisme de Philippot eut dâailleurs Ă©tĂ© impossible Ă lâintĂ©rieur du mouvement des Gilets jaunes dans lequel, certes, des Ă©lĂ©ments dâextrĂȘme droite intervinrent, surtout Ă Paris et Ă Lyon, mais en tant que fascistes anticapitalistes et non en tant que politicards de droite pratiquant le clientĂ©lisme.
Source: Mondialisme.org