Août 31, 2021
Par Mondialisme.org
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Comme pour le mouvement des Gilets jaunes le choix du samedi n’est pas anodin ; il est en rupture avec la tradition syndicale et ouvriĂšre des manifestations sur le temps de travail. Mais ce qui est en jeu cette fois ce n’est pas la « question sociale Â», mais pas non plus une question sociĂ©tale. On est bien obligĂ© de reconnaĂźtre dans cette protestation une sorte d’objet non identifiĂ©. Partons de cela.

Relevons d’abord la forte diversitĂ© gĂ©ographique et sociologique des manifestants. Des urbains en provenance des grandes villes, des « rurbains Â» des pĂ©riphĂ©ries et aussi des habitants de petites villes et alentours, comme le montrent les dizaines et dizaines de manifestations dans toute la France. DiversitĂ© d’ñge, de sexe et de milieu social malgrĂ© la tendance des mĂ©dias Ă  prouver que les manifestations se recrutent plutĂŽt dans les milieux les moins Ă©duquĂ©s si ce n’est les plus dĂ©favorisĂ©s. Cette diversitĂ© s’exprime concrĂštement dans le fait que, parmi les manifestants on ne trouve pas seulement et principalement des non-vaccinĂ©s hostiles au vaccin contre le Covid et a fortiori contre les vaccins en gĂ©nĂ©ral, mais des personnes vaccinĂ©es hostiles au passe sanitaire y compris quand, pour des raisons pragmatiques, elles en sont pourvues.

Cette diversitĂ© de composantes et de motivations fait que l’opposition frontale au passe sanitaire constitue la seule dimension unitaire de ces manifestants, dont une bonne partie a rĂ©agi individuellement vis-Ă -vis des mesures gouvernementales de gestion de la crise sanitaire et n’a pas de tradition de lutte sociale. À ce propos, on pourrait parler de l’agrĂ©gation d’une colĂšre individuelle sans potentialitĂ© politique Ă©vidente ou immĂ©diate mĂȘme si l’opposition Ă  Macron la cristallise.

Tandis que la majoritĂ© de la population semble avoir renoncĂ© Ă  l’idĂ©e de comprendre quelque chose face au cours chaotique de la gestion Ă©tatique de la crise sanitaire et ses nombreuses injonctions contradictoires, Ă©mergent contre cet abandon des attitudes de refus qui sont passĂ©es progressivement d’un mĂ©contentement en privĂ© Ă  l’expression publique d’un refus. Mais les oppositions pas plus que les syndicats ou les associations n’ayant de plan de remplacement, ces manifestations de colĂšre restent trĂšs minoritaires. Et ce mĂȘme Ă  l’aune d’une comparaison avec le nombre de manifestants pendant le mouvement des Gilets jaunes alors que les mesures prises aujourd’hui concernent beaucoup plus de monde et Ă  des niveaux divers. La diffĂ©rence n’est pas ici quantitative. Les Gilets jaunes avaient bien le sentiment de former le « peuple Â», mĂȘme si c’était une illusion, quand ils entonnaient le « Tous Gilets jaunes Â» parce qu’ils se sentaient victimes de la politique des puissants et cette position victimaire originelle, ils l’ont dĂ©passĂ©e partiellement dans le mouvement et la communautĂ© de lutte. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure avec aujourd’hui des manifestants qui se savent trĂšs minoritaires, mais nullement « victimes Â» si ce n’est d’une politique ressentie comme incohĂ©rente et autoritaire. À tort ou Ă  raison, la plupart en dĂ©duisent que cette premiĂšre caractĂ©ristique rend illĂ©gitime l’application de la seconde.

En effet, le gouvernement s’était fait remarquer par sa premiĂšre prescription la plus simple en direction des personnes ĂągĂ©es : « N’allez pas chez le mĂ©decin, restez chez vous et prenez un doliprane ; si vos symptĂŽmes s’aggravent, consultez votre mĂ©decin ou appelez le SAMU Â». RĂ©sultats, peu de monde chez les mĂ©decins dans un premier temps et des hospitalisations et soins intensifs Ă  suivre qui auraient, peut ĂȘtre, pu ĂȘtre Ă©vitĂ©s. À ce niveau d’incohĂ©rence, on peut comprendre que certains aient pu faire entendre que, peut-ĂȘtre
 la chloroquine
 Par la suite, ce qui importera pour le pouvoir c’est d’imposer le seul protocole de la vaccination, celui en provenance d’un conseil scientifique et non pas un choix de soins large Ă©ventuellement compatibles avec la vaccination qui aurait tenu compte de l’action de soins au quotidien des mĂ©decins traitants. L’ARS et la SĂ©curitĂ© sociale les ont en effet rappelĂ©s Ă  l’ordre afin qu’ils participent Ă  l’effort d’une vaccination1 pourtant toujours pas obligatoire.

Jusque-lĂ , il y avait comme un doute d’une partie non nĂ©gligeable de la population si on en croit les sondages. La dĂ©fiance vis-Ă -vis du vaccin ou l’opposition au passe sanitaire ne se manifestait que dans la sphĂšre privĂ©e. À l’intĂ©rieur des familles d’abord oĂč elle crĂ©ait des clivages que le premier confinement n’avait pas rĂ©vĂ©lĂ©s ; sur les rĂ©seaux sociaux ensuite oĂč se dĂ©veloppaient les critiques les plus diverses, puisque c’est aussi l’endroit oĂč les gens « se lĂąchent Â», jusqu’aux dĂ©rives complotistes. Le contrĂŽle de ces rĂ©seaux par les États s’avĂšre ici un enjeu d’importance dans la mesure oĂč leurs contenus n’émergent pas vĂ©ritablement Ă  la sphĂšre publique, mais alimentent une scĂšne underground d’un nouveau type. Ce qui s’y dit Ă©chappe souvent Ă  toute procĂ©dure de modĂ©ration et Ă  une censure difficile Ă  mettre en place en dehors des rĂ©gimes « illibĂ©raux Â» pour parler dans la novlangue politico-mĂ©diatique. Un problĂšme qui couvait depuis bientĂŽt 20 ans, mais laissĂ© dans l’ombre par le caractĂšre apparemment inoffensif, car marginal, des discours qui s’y dĂ©veloppaient. Si le mouvement des Gilets jaunes avait dĂ©jĂ  montrĂ© que les rĂ©seaux sociaux pouvaient ĂȘtre Ă  la base d’autre chose que des insultes et des fake news — parce que ce mouvement a peu Ă  peu supplantĂ© le refoulĂ© des discours en se manifestant au grand jour —, la pandĂ©mie et son mystĂšre ont gelĂ©s, pendant presque deux ans, tout mouvement ou pratique quelle qu’elle soit et ce sont les discours qui se sont donnĂ©s libre cours jusqu’à constituer, sur ce sujet, une sorte de contre discours anti-systĂšme plus que critique.

Pourtant le pouvoir en place avait enregistrĂ© un niveau satisfaisant d’acceptation des mesures de confinement de la part d’une population qui faisait sienne l’idĂ©e d’une efficacitĂ© des mesures de confinement et les gestes barriĂšres imposĂ©s, doublĂ©s des mesures sociales de chĂŽmage partiel indemnisĂ© Ă  un haut niveau. L’arrivĂ©e sur le marchĂ© de vaccins censĂ©s tout rĂ©soudre aurait dĂ» renforcer ce degrĂ© de satisfaction. Or, pour ce mĂȘme pouvoir, la surprise est grande de voir apparaĂźtre, certes Ă  la marge mais renforcĂ©e par le fait que la pandĂ©mie perdure, une opposition, une irritation ou mĂȘme une rĂ©volte contre des mesures contraignantes qui ont perdu de leur pouvoir de convaincre au grĂ© d’une pandĂ©mie maintenant jugĂ©e interminable.

Ce que le pouvoir a, semble-t-il, mal perçu c’est la diffĂ©rence entre des mesures de confinement inĂ©dites et Ă  ce titre exceptionnelles — d’autant plus acceptĂ©es qu’elles Ă©taient analogues dans les autres pays europĂ©ens — et des mesures comme l’obligation du passe sanitaire qui elles, sont rĂ©fĂ©rĂ©es Ă  des dispositifs qui impactent la vie de tous les jours sans que le rapport Ă  la pandĂ©mie soit pour tous Ă©vident2. De ce constat-lĂ , il est alors facile de passer Ă  l’idĂ©e que ces mesures sont liberticides. Comme pour la tempĂ©rature, c’est ici le poids du « ressenti Â» qui importe plus qu’une conscience rĂ©flexive de la chose et tout Ă  coup ce poids pĂšse et il faut que ça sorte. DĂ©filer dans la rue devient alors une façon de rompre avec cette invisibilitĂ© cultivĂ©e sur les rĂ©seaux parce qu’elle est autant dĂ©sirĂ©e que subie. DĂ©sirĂ©e parce qu’elle donne l’illusion de remĂ©dier Ă  l’atomisation/particularisation des individus dans le capital ; subie parce que les politiciens et les mĂ©dias mĂ©prisent tout ce qui n’est pas les rĂ©seaux de pouvoir en dĂ©niant toute qualitĂ© d’intervention Ă  des « rĂ©seaux sociaux Â» qui seraient dans l’infra-politique. Mais cette nouvelle visibilitĂ© acquise dans la manifestation n’a qu’une force relative, car les nouvelles mesures ne visent plus Ă  ce que les gens se terrent chez eux comme dans le premier confinement ou prĂ©cĂ©demment quand les violences policiĂšres visaient Ă  dissuader les Gilets jaunes de manifester. Le contrĂŽle de l’espace public et professionnel qui se met en place au cours de cette gestion de la crise sanitaire ne vise pas un ennemi concret, incarnĂ© et Ă  combattre puisque c’est le virus qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© tel, mais l’ensemble d’une population. Il n’empĂȘche qu’il n’y a pas ici de volontĂ© premiĂšre de la part de l’État d’un traçage des individus comme il peut y avoir en Chine. Ce n’est pas une fin mais un moyen pour obliger Ă  la vaccination dans le cadre de la crise sanitaire.

Le pouvoir essaie de faire sortir de leur retrait passif ou actif les rĂ©calcitrants aux mesures actuelles en les « marquant Â» dĂšs qu’ils se livrent Ă  des activitĂ©s quotidiennes ou non Ă  l’extĂ©rieur de chez eux. Dans le cas de la France — pays dans lequel les manifestations n’ont pas Ă©tĂ© les plus prĂ©coces, mais semblent parmi les plus fournies et les plus frĂ©quentes —, une batterie de mesures Ă  la fois plus contraignantes et plus attentatoires Ă  la lĂ©gislation en vigueur que dans la plupart des autres pays dĂ©mocratiques « libĂ©raux Â» est Ă  l’origine de la contestation. Alors que le pouvoir se sent majoritaire, il s’agit que tout le monde marche du mĂȘme pas, d’oĂč la stigmatisation de ceux qui « ont un niveau d’étude plutĂŽt infĂ©rieur Ă  la moyenne Â» comme le disent par euphĂ©misme sondeurs et sociologues vis-Ă -vis de ce qui ne serait mĂȘme plus la plĂšbe et encore moins une classe ouvriĂšre. Il ne serait pourtant venu Ă  l’idĂ©e de personne (politiciens ou journalistes) au moins depuis la TroisiĂšme rĂ©publique, de lui reprocher Ă  cette derniĂšre son manque d’instruction quand elle faisait grĂšve ou Ă©tait prise d’une montĂ©e de fiĂšvre ou manifestait son insubordination comme en 1968. On est revenu au temps du mĂ©pris de classe
 en l’absence de classes au sens historique et marxien du terme.

Les manifestations actuelles n’ont pas pour base des conditions objectives dĂ©gradĂ©es engendrant des difficultĂ©s Ă  vivre et sur lesquelles une mesure gouvernementale vient se greffer qui fait sauter le bouchon de la cocotte-minute, comme pour les Gilets jaunes. Certes, comme ont essayĂ© de le faire remarquer certains journalistes ou spĂ©cialistes de sciences sociales si le virus peut toucher riches et pauvres et maintenant jeunes et vieux, urbains comme ruraux, les conditions de sa rĂ©ceptivitĂ© et de l’accĂšs aux soins ne sont pas les mĂȘmes pour tous3 ; mais ce n’est pas ce qui ressort de ces manifestations et pour nous ce n’est pas cela qui est remarquable. Ce qui l’est, c’est finalement l’apprĂ©ciation subjective qui est faite de l’épidĂ©mie. Hormis les « extrĂ©mistes Â», d’un cĂŽtĂ© scientistes4 Ă  tout crin et certains matĂ©rialistes marxistes qui sont tout d’un coup (avec la pandĂ©mie) passĂ©s de la haine contre les grands laboratoires pharmaceutiques et leurs profits dus Ă  l’exploitation capitaliste de notre « capital-santĂ© Â», Ă  la rĂ©vĂ©rence devant les progrĂšs de la science (elle serait du mĂȘme coup devenue neutre) qui ont permis en un temps record une vaccination miracle ; et de l’autre ceux qui ont Ă©tĂ© dans le dĂ©ni plus ou moins total, des individus « moyens Â» qui se sont surtout posĂ© des questions devant les atermoiements et revirements, Ă©ventuellement mensonges des politiques et sommitĂ©s acadĂ©miques (le masque pas le masque, Ă  l’intĂ©rieur pas Ă  l’extĂ©rieur puis Ă  l’extĂ©rieur, le vaccin c’est la libertĂ© non le vaccin protĂšge mais il faut garder les gestes barriĂšres, le vaccin empĂȘche de
 non il n’empĂȘche pas, etc.). Qui n’est pas allĂ© Ă©couter Raoult ou FouchĂ© quand ils ont soutenu, dĂšs l’origine, qu’il fallait avant tout soigner les malades avant de se lasser de leurs affirmations aussi pĂ©remptoires que celles des comitĂ©s scientifiques officiels ? Les journalistes faisaient contre-feu en nous parlant d’une « communautĂ© scientifique Â» qui pourtant n’existe pas. Il n’y avait donc rien Ă  voir, juste Ă  acquiescer. Mais mĂȘme les soignants — qui ont eu un « comportement appropriĂ© Â» (comme disent ceux qui ont le pouvoir) pendant le premier confinement et la phase la plus intense de lutte contre le virus —, se trouvent aujourd’hui montrĂ©s du doigt s’ils Ă©mettent le moindre doute sur la nĂ©cessitĂ© de leur propre vaccination et menacĂ©s de suspension en cas de refus.

Face Ă  la multiplication des mesures sanitaires et leurs incohĂ©rences apparentes5, il ne faut donc pas s’étonner que les protestations varient parfois au grĂ© des desiderata de chacun selon le contexte (travail, vie quotidienne, loisirs) ou le moment. Elles traduisent surtout une disparitĂ© d’apprĂ©hension qui va d’une approche complotiste des mesures gouvernementales au rejet de la vaccination jusqu’au refus d’un traçage des personnes par l’État. Toutes ces rĂ©actions ne sont pas Ă©quivalentes, mais leur point commun, c’est d’ĂȘtre des positions marquĂ©es par un isolement par rapport Ă  des Français qui se font vacciner en masse, mĂȘme si ce n’est pas pour les mĂȘmes raisons6.

Comme pendant le mouvement des Gilets jaunes, la lutte pour la visibilitĂ© semble l’emporter jusqu’à se dĂ©tacher d’un contenu prĂ©cis. Ici par exemple mĂȘme le refus du passe sanitaire (de la part de personnes qui l’ont) manifeste une opposition en soi Ă  Macron et Ă  ce qu’il reprĂ©sente. Le risque c’est que le but ne soit plus que d’élargir cette visibilitĂ© et donc de ne pas pouvoir se confronter Ă  la diversitĂ© voire Ă  l’incompatibilitĂ© des contenus exprimĂ©s par les manifestants. En ce sens, ceux-ci s’illusionnent sur leur consensus oppositionnel, en grande partie fictif. Plus fictif, en tout cas pour le moment, que celui des Gilets jaunes dont le mouvement a suivi un processus de transcroissance7 relative des motivations de dĂ©part vers une prise de distance par rapport aux impĂ©ratifs et normes de la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e, pour le moment absente ici.

C’est bien cette possibilitĂ© que scrute actuellement le gouvernement, mĂȘme s’il a une bonne marge de manƓuvre en s’appuyant sur la rĂ©elle division qui oppose les « pro Â» aux « anti Â». Mais que cette division existe n’est pas une raison pour prendre pour argent comptant l’argumentaire du pouvoir comme quoi les vaccinĂ©s seraient les altruistes et les non-vaccinĂ©s les Ă©goĂŻstes. Stigmatiser, culpabiliser, diviser, est une mĂ©thode qui a fait ses preuves en politique et mĂȘme les nĂ©ophytes macroniens peuvent se l’approprier. Ainsi, les « soignants Â» (infirmiĂšres, ASH et aides-soignantes principalement) qui sont sans aucun doute les plus reprĂ©sentĂ©s comme profession dans les manifestations et qui ont fait preuve de leur « altruisme Â» pendant le premier confinement peuvent-ils contribuer Ă  donner sens commun Ă  ce qui semble partir dans tous les sens. Les syndicats CGT et SUD-SantĂ© quant Ă  eux donnent l’impression de tirer dans la mĂȘme direction quand ils essaient de faire le lien entre lutte contre vaccination obligatoire et passe sanitaire d’un cĂŽtĂ©, casse de l’hĂŽpital public de l’autre. Certes quand on connaĂźt la division syndicale et les corporatismes de la profession on n’est pas absolument certain qu’il n’y a pas lĂ -dessous un coup fourrĂ© du mĂȘme type que celui de la prĂ©tendue convergence Hospitaliers-Gilets jaunes il y a deux ans. Mais quand mĂȘme ; alors qu’aucune nouvelle mesure depuis deux ans n’est venue inverser cette tendance Ă  la dĂ©sagrĂ©gation de l’hĂŽpital public en France et de l’hĂŽpital en gĂ©nĂ©ral dans des pays comme l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, les pouvoirs publics en sont Ă  accuser ceux qui ne rĂ©pondent pas aux injonctions d’ĂȘtre Ă  l’origine des futurs reports d’opĂ©rations graves Ă  l’hĂŽpital. On comprend que des soignants et pas que leurs syndicats, l’aient mauvaises.

LĂ  encore les mĂ©dias ont tendance Ă  mettre en avant que l’ordre d’acceptation des mesures sanitaires chez le personnel soignant est corrĂ©lĂ© au niveau de diplĂŽme. Le pouvoir macronien a quand mĂȘme une spĂ©cificitĂ© de ce point de vue lĂ  par rapport Ă  ces prĂ©dĂ©cesseurs gaullistes ou mitterrandiens. Ce n’est pas un gouvernement politique ou mĂȘme politicien auquel on a affaire ici, mais Ă  une exposition de supposĂ©es « tĂȘtes Â» nĂ©es quasiment toutes hors sol8. Il ne faut donc pas s’étonner que la spontanĂ©itĂ© des nouvelles « masses Â» soit essentiellement dĂ©gagiste si ce n’est coupeuse de tĂȘtes.

Les mĂ©dias tirent quand mĂȘme parfois la sonnette d’alarme. La voix de son maĂźtre, le journal Le Monde, s’inquiĂšte dans un rĂ©cent Ă©ditorial de la mĂ©thode du gouvernement, car pour les mĂ©dias mainstream tout est toujours une question de communication. Celle du gouvernement ne serait pas assez pĂ©dagogique et il vaudrait mieux faire de la prĂ©vention que de la rĂ©pression, car les dĂ©cisions autoritaires en matiĂšre de santĂ© ne sauraient rencontrer d’obstacles si leur nĂ©cessitĂ© s’impose Ă  une trĂšs grande majoritĂ©, parce qu’est reconnue une vĂ©ritable situation d’urgence. C’est ce qui a fonctionnĂ© pendant la gestion pourtant improvisĂ©e du premier confinement, mais qui ne peut perdurer car ce qui se prolonge ne peut plus se rĂ©fugier derriĂšre l’argumentation autour d’une urgence qui devient toute relative comme nous le montre la une de la presse des 10 et 11 aoĂ»t oĂč il est davantage question d’une « urgence climatique absolue Â».

DerriĂšre cette rhĂ©torique qui essaie de trouver la bonne alternance entre pĂ©dagogie et autoritĂ©, perce la peur d’un nouveau mouvement des Gilets jaunes puisque ceux-ci semblent dĂ©sormais remplacer Mai-68 comme aune d’évaluation des menaces pour la continuitĂ© de l’État. Pourtant, il n’y a pas de nouveau mouvement Gilets jaunes parce que, pour le moment, il ne semble y avoir qu’une protestation immĂ©diate qui peine Ă  faire mouvement. Pour la plupart pas de signe distinctif, quelques pancartes individuelles plus que des banderoles collectives, pas de Gilets jaunes en grand nombre, mĂȘme si on a parfois l’impression que ces derniers (mais sans leurs gilets) structurent les manifestations contre le pouvoir en gĂ©nĂ©ral et Macron en particulier. Si ce dernier point Ă©tait souvent plus implicite qu’explicite, le peuple en fusion qu’ils reprĂ©sentaient est loin de se retrouver dans les manifestations contre le passe sanitaire. En effet, l’idĂ©e du « tous Gilets jaunes Â» est, aujourd’hui en tout cas, encore impensable pour des individus dont la dĂ©marche de protestation est fondamentalement individuelle. Elle n’a pas trouvĂ© un relais tel que les ronds-points, Ă  la fois en phase avec le lieu (pĂ©riphĂ©rie) et la revendication d’origine (le prix du carburant, les transports) et la nĂ©cessitĂ© pour un mouvement de trouver une base de socialisation de la lutte qui soit lieu d’échange, de convivialitĂ© et de camaraderie et puisse Ă©ventuellement aussi servir de base arriĂšre de rĂ©sistance et fixation pendant un moment.

Devant ce manque ou ce vide que reprĂ©sente l’absence de collectif (alors qu’il y avait des groupes de Gilets jaunes), les anciens Gilets jaunes deviennent une sorte de socle militant et de mĂ©moire constituant une passerelle pour de nouveaux manifestants qui soutiennent ou disent soutenir Ă  retardement des Gilets jaunes, dont beaucoup Ă©taient eux-mĂȘmes des nouveaux manifestants Ă  l’époque, regrettant parfois de ne pas avoir manifestĂ© contre le projet de loi-travail. L’enchaĂźnement oppositionnel de ces derniĂšres annĂ©es depuis le mouvements des places et malgrĂ© les critiques qui ont pu lui ĂȘtre adressĂ©es pour son formalisme, la lutte contre le projet de loi-travail, le mouvement des Gilets jaunes, certaines actions ou initiatives au moment du conflit des retraites, montrent Ă  quel point la manifestation ouvriĂšre et syndicale « de gauche Â» est devenue un archaĂŻsme ritualisĂ©, Ă  peine secouĂ© par le cĂŽtĂ© postmoderne d’un cortĂšge de tĂȘte lui-mĂȘme vite ritualisĂ© en deux ou trois ans. Si les manifestations d’aujourd’hui ne font pas mouvement, en elles rĂ©sonnent un peu de la puissance des luttes de ces derniĂšres annĂ©es, ne serait-ce que par la reprise de certains slogans ou par le fait d’imposer des manifestations, dĂ©clarĂ©es ou non dans un contexte d’état d’urgence.

La maniĂšre de vivre l’opposition au passe sanitaire est de l’ordre d’un rapport entre soumission et colĂšre, sans continuitĂ© autre que celle de la rĂ©currence de la colĂšre, puisque la prĂ©dominance actuelle de la forme rĂ©seau de l’État tend Ă  supprimer toute mĂ©diation et donc toute perspective de nĂ©gociation qui permettait, dans la phase prĂ©cĂ©dente, de ne pas procĂ©der par Ă  coups, mais par un processus de lutte duquel se dĂ©gageait un rapport de forces. Ici, cette colĂšre s’accumule certes, mais elle n’a pas les caractĂšres de « l’expĂ©rience prolĂ©tarienne Â» qui objectivait la lutte des classes et l’inscrivait dans des cycles de lutte et donc des continuitĂ©s et des discontinuitĂ©s avec des pĂ©riodes de haute ou basse intensitĂ© qui se succĂ©daient dans le temps. Elle n’a pas non plus le caractĂšre de processus du mouvement des Gilets jaunes qui, une fois atteinte puis passĂ©e l’incandescence de novembre-dĂ©cembre 2018, a maintenu un temps les Ă©changes et les liens nĂ©s sur les ronds-points et a dĂ©veloppĂ© d’autres actions, par exemple de blocage ou de sensibilisation en dehors des samedis de manifestation ; d’autres formes telles les assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, bref des pratiques qu’on pourrait dire militantes. Tout un ensemble qui dĂ©gageait une conscience d’avoir participĂ© plus encore qu’à une lutte collective, Ă  une aventure commune. C’est d’ailleurs, en plus d’un large soutien de la population, ce qui a fait tenir si longtemps les Gilets jaunes contre toutes les attaques (mĂ©diatiques et politiques) qu’ils subissaient semaine aprĂšs semaine.

LĂ , on a plutĂŽt l’impression d’une disparition de la temporalitĂ© dans l’absence d’amorce d’un processus. Les manifestations contre le passe sanitaire, mĂȘme si elles sont immĂ©diatement contre des mesures prises par l’État et la gestion alĂ©atoire de l’épidĂ©mie, ne s’affrontent pas Ă  l’État. Cela explique la diffĂ©rence de traitement des manifestants par les forces de l’ordre. À la tension violente qui rĂ©gnait dans les manifestations d’hier succĂšde aujourd’hui la confrontation Ă  fleuret mouchetĂ©. La situation est paradoxale parce que l’État est encore plus dans l’état d’exception qu’hier, mais ses opposants ne sont pas des ennemis de l’État ; ils ne sont simplement pas sur la mĂȘme longueur d’onde. Dans cette mesure, la rĂ©pĂ©tition des manifestations sans gain notable d’une semaine sur l’autre est pour le moment parfaitement maĂźtrisĂ©e par l’État qui y trouve son compte : les protestataires s’expriment, mais on les donne en contre exemple de « l’attitude appropriĂ©e Â» qui dans la novlangue de la sociĂ©tĂ© a dĂ©jĂ  replacĂ© l’ancienne « attitude citoyenne Â». Dans cette mesure et nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, si nous sommes bien dans une situation d’exception depuis la lutte contre le terrorisme, la mise en place controversĂ©e de la loi de « sĂ©curitĂ© globale Â» et enfin l’état d’urgence sanitaire, nous ne sommes pas dans un État d’exception au sens de Carl Schmitt ou de Giorgio Agamben.

Les premiĂšres manifestations contre le masque ont Ă©tĂ© spontanĂ©es ou sur la base de contacts sur les rĂ©seaux sociaux, mais celles contre le passe sanitaire ont Ă©tĂ© plus organisĂ©es au sens oĂč elles ont Ă©tĂ© appelĂ©es, si ce n’est diligentĂ©es, par des fractions politiques comme « Les Patriotes Â» qui ont compris ne pas avoir affaire Ă  un ou des collectifs coordonnĂ©s9 et il cherche donc Ă  en tirer le bĂ©nĂ©fice politique rapidement avant les Ă©lections prĂ©sidentielles en proposant des parcours de manifestation qu’il est Ă  mĂȘme de dĂ©poser officiellement. Par delĂ  la tentative d’infiltration politique d’un groupe politique10, ce qui a triomphĂ© ici c’est le pragmatisme avec la dĂ©claration des manifestations et l’assurance qu’elles puissent se dĂ©rouler sans trop de heurts au nom de la libertĂ© mais dans le respect de l’ordre. La stratĂ©gie de manifestation est donc diffĂ©rente de celle des Gilets jaunes qui tenaient Ă  une unitĂ© de la lutte autour de l’idĂ©e que la manifestation n’est pas un droit acquis comme le pensent les syndicats et les divers tenants de la libertĂ©, mais une sorte de droit naturel Ă  l’insubordination en droite ligne de la constitution de 1793. Il ne se nĂ©gocie pas. Ce prĂ©cepte/principe n’empĂȘchait pas qu’au fur et Ă  mesure du dĂ©roulĂ© de la lutte des Gilets jaunes, faire preuve de pragmatisme soit exclu, comme dans les manifestations parisiennes oĂč trĂšs rapidement dĂšs le printemps 2019 il n’était plus possible de constituer une manifestation « sauvage Â». C’est ainsi qu’à l’intĂ©rieur du mouvement des Gilets jaunes, si l’on met de cĂŽtĂ© Paris, les discussions sur le fait de dĂ©poser ou non faisaient l’objet d’ñpres discussions et la tactique sur ce point s’évaluait de semaine en semaine. LĂ  il n’en est rien. Il n’y a pas de lieux occupĂ©s, peu de temps de rĂ©union et ce n’est qu’à la marge que des actions ont lieu durant la semaine. Des greffes d’AG sont tentĂ©es par des militants de gauche mais dĂ©jĂ  au moment des Gilets jaunes on pouvait noter la caducitĂ© de la forme-assemblĂ©e ; lĂ  elles semblent encore plus dĂ©couplĂ©es des manifestations.

Il s’ensuit que plusieurs manifestations peuvent coexister les samedis puisque les Gilets jaunes ayant marquĂ© les esprits, l’habitude de manifester sans dĂ©clarer est prise et ouvre une possibilitĂ© pour diverses initiatives cherchant Ă  essaimer plutĂŽt qu’à concentrer les forces. C’est la coexistence de tous les mĂ©contentements et rĂ©voltes. Ainsi, Ă  Paris, le samedi 21 aoĂ»t on ne dĂ©nombrait pas moins de quatre appels Ă  manifestation dans Paris, dont certaines appelĂ©es par des Gilets jaunes. Cette combinaison d’individus plus hĂ©tĂ©roclites qu’associĂ©s s’en trouve incapable de dĂ©gager une ligne directrice, le mĂ©lange des positions les plus improbables engendrant une unitĂ© Ă  minima. C’est cette absence de ligne directrice qui permet aux manifestations de perdurer au-delĂ  des clivages politiques et des positions de chacun.

Cette rĂ©pĂ©tition de la manifestation en soi sur le modĂšle des samedis des Gilets jaunes semble parachever la fin de toute rĂ©fĂ©rence Ă  la lutte des classes que l’on pouvait dĂ©jĂ  noter lors du mouvement des Gilets jaunes. Ce fil rouge est bien coupĂ©, mĂȘme si ce ne sont pas les manifestants qui le coupent. En consĂ©quence, les rĂ©fĂ©rences aux mouvements prolĂ©tariens ne sont pas rejetĂ©es, comme cela a pu l’ĂȘtre Ă  l’origine du mouvement des Gilets jaunes, elles sont mĂ©connues pour ne pas dire inconnues, en dehors des quelques militants politiques ou syndicaux qui participent Ă  ces manifestations. L’imaginaire convoquĂ© est moins prĂ©sent puisque c’est l’immĂ©diatisme du refus qui l’emporte. La rĂ©fĂ©rence Ă  la RĂ©volution française affleure encore, mais ce serait plus Ă  celle de 1792 que de 1793 dont il s’agit. Le premier couplet de La Marseillaise est entonnĂ© ou le plus souvent un simple drapeau tricolore est agitĂ©, mais il ne s’agit plus « d’aller les chercher Â».

Si le mouvement des Gilets jaunes, nous l’avons dĂ©jĂ  dit, a tentĂ© une transcroissance de ses motivations d’origine, nous sommes aujourd’hui dans une tout autre situation, bien significative de ce qu’est la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e. Les manifestations ne manifestent aucun aprĂšs et pire que cela ce sont les pouvoirs en place et surtout les mĂ©dias qui ont osĂ© poser la question du « monde d’aprĂšs Â» parce qu’effectivement l’arrĂȘt du premier confinement strict ouvrait la possibilitĂ© de poser autre chose ce qui est mĂȘme venu Ă  l’esprit de ceux qui gouvernent. Dans les manifestations d’aujourd’hui, qu’on y soit favorable ou pas, il ne s’agit pas de ça, mais seulement, Ă©ventuellement, de rĂ©sister Ă  ce qui pourrait advenir de pire.

Ce que l’on trouve Ă  la place et platement, c’est l’accĂ©lĂ©ration de la virtualisation du monde avec le rĂŽle accru des Gafam via le tĂ©lĂ©travail, les contrĂŽles par QR code, etc. De la mĂȘme façon que « le mort saisit le vif Â» (Marx) dans le monde du travail, avec la prĂ©dominance de la technoscience dans le procĂšs du capital les technologies de l’information ont dans un premier temps suppléé les relations sociales empĂȘchĂ©es par les confinements pour ensuite les accompagner comme on peut le constater avec le passe sanitaire actuel.

Temps critiques, le 26 août 2021

1 – Ils servent encore aujourd’hui à liquider les doses d’AstraZeneca dont, pour de bonnes ou mauvaises raisons, personne ne veut.

2 – Il ne faut pas oublier que tout cela se situe dans un contexte d’état d’urgence initiĂ© contre le terrorisme et toujours maintenu ou actualisĂ© et Ă©largi avec le projet de loi sur la « sĂ©curitĂ© globale Â».

3 – Dans Le Monde du 24-25 juillet, une enquĂȘte du gĂ©ographe de la santĂ© E. Vigneron constate une fracture vaccinale (indĂ©pendante du facteur Ăąge) entre d’un cĂŽtĂ© Ouest et Nord, territoires les moins touchĂ©s par la pandĂ©mie mais les plus vaccinĂ©s, et de l’autre, Sud-Est et Est, plus touchĂ©s, mais pourtant les moins vaccinĂ©s (constat paradoxal mais sujet Ă  de multiples interprĂ©tations) ; mais surtout fracture vaccinale suivant grosso modo la « fracture sociale Â» : communes les plus aisĂ©es et les centres-villes oĂč on trouve le plus de vaccinĂ©s et communes les moins aisĂ©es des pĂ©riphĂ©ries et banlieues oĂč on en trouve le moins.

4 – Contrairement Ă  ce que prĂ©tend le scientisme qui n’est qu’idĂ©ologie, la science ne recherche pas une VĂ©ritĂ© absolue, laquelle n’existe pas, tout au plus des vĂ©ritĂ©s partielles et souvent provisoires, qui ne sont qu’autant d’«  erreurs rectifiĂ©es Â» (cf. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 1983, p. 10 et 239). Ce qui est incontestable, ce n’est pas telle ou telle vĂ©ritĂ© actuelle, fruit d’une dĂ©marche scientifique, mais cette dĂ©marche elle-mĂȘme, prĂ©cisĂ©ment en mesure de remettre sans cesse en cause ses propres rĂ©sultats antĂ©rieurs. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les diffĂ©rents conseils scientifiques ou conseils de dĂ©fense n’ont pas fait preuve d’une telle dĂ©marche en n’exposant finalement que leur propre « expertise Â» bien limitĂ©e d’ailleurs par le cloisonnement des spĂ©cialitĂ©s. NĂ©anmoins, aujourd’hui, dans la sociĂ©tĂ© capitalisĂ©e, le « scientisme Â» est loin d’avoir l’influence qu’il avait, bien sĂ»r dans la sociĂ©tĂ© bourgeoise, mais aussi pendant les Trente glorieuses. Il est dĂ©sormais concurrencĂ© par les critiques de la science venant de l’écologisme gĂ©nĂ©ralisĂ©, des courants religieux, des courants Ă©sotĂ©riques, du naturalisme, etc. D’oĂč la faveur que recueillent des scientifiques dissidents ou des biologistes dĂ©viants ou des mĂ©decins antivax.

5 – Pas seulement qu’apparentes puisque le projet de passe sanitaire adoptĂ© le 1er juillet par les pays de l’Union europĂ©enne, n’est accordĂ© qu’aux citoyens qui ont reçu les quelques vaccins approuvĂ©s par l’Agence europĂ©enne des mĂ©dicaments, AstraZeneca, Janssen, Moderna et Pfizer. Et encore, pour le premier, seuls ceux sortis d’usines europĂ©ennes sont reconnus. Or, huit vaccins sont dĂ©jĂ  autorisĂ©s par l’OMS et largement diffusĂ©s sur la planĂšte. Ces produits demeurent pourtant exclus du passeport. Ainsi, des centaines de millions de personnes qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’autres vaccins antiCovid demeurent interdites d’Europe. Alors qu’on oppose aux manifestants anti-passe d’Europe la dĂ©tresse des Tunisiens sans vaccins et victimes de l’épidĂ©mie, aucune mesure sĂ©rieuse et d’urgence n’est prise pour une libĂ©ration des brevets. L’Afrique n’a pour le moment droit qu’au mĂ©canisme Covax qui s’appuie sur la distribution de onze vaccins dont huit ne sont pas reconnus internationalement. Or selon une Ă©tude de l’Imperial College London le coĂ»t de production d’une dose du vaccin Pfizer serait de 0,60 $ (0,51 €) ; les coĂ»ts additionnels de conditionnement, packaging et contrĂŽle qualitĂ© en porteraient le prix Ă  0,88 $ (0,75 €). Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/06/09/covid-19-de-la-recherche-au-flacon-comprendre-le-prix-d-un-vaccin_6083481_4355770.html. Or Pfizer a vendu sa dose de vaccin Ă  l’Union europĂ©enne au prix unitaire de 15,5 € avant de dĂ©cider rĂ©cemment de son augmentation Ă  19,5 €. À ce tarif, les Tunisiens ne seraient pas prĂšs d’ĂȘtre vaccinĂ©s.

6 – Cet isolement semble d’ailleurs bien partagĂ© puisque souvent ceux qui parlent d’isolement des manifestants, ou des anti-passe en gĂ©nĂ©ral, du point de vue de leur propre position politique, le font en se drapant dans leur intĂ©gritĂ© politique pour masquer le fait qu’ils tiennent le discours du pouvoir en place et de l’État. PathĂ©tique de ce point de vue lĂ  apparaĂźt la prise de position de Lorenzo Battisti de la CGT Banque-Assurance dont il vaut la peine de signaler les arguties de fin de texte : « Ces manifestations devraient ĂȘtre axĂ©es sur la lutte contre la libertĂ© de licenciement en l’absence d’un passe sanitaire, et non contre le passe sanitaire en soi Â» avant l’appel habituel Ă  la lutte de classes : « Je demande Ă  chacun de faire attention Ă  sa participation Ă  ces manifestations, car cela pourrait nuire aux futurs mouvements de classe auxquels la CGT doit participer (disponible entre autres sur le site Entre les lignes entre les mots).

7 – Par transcroissance nous entendons le fait qu’un Ă©vĂ©nement puisse dĂ©passer son caractĂšre spĂ©cifique et limitĂ© d’origine. Nous pensons l’avoir explicitĂ© pour le mouvement des Gilets jaunes. C’est une perspective qui manque aux manifestations d’aujourd’hui. En effet, la lutte contre le passe sanitaire en elle-mĂȘme ne peut dĂ©boucher sur rien (surtout qu’il y a et aura de plus en plus de vaccinĂ©s par rapport Ă  la premiĂšre manifestation du 14 juillet) si elle ne rencontre pas une lutte contre la loi de sĂ©curitĂ© globale initiĂ©e il y a quelques mois, mais qui elle-mĂȘme avait eu du mal Ă  faire mouvement en ne regroupant que les organisations militantes et les restes du mouvement des Gilets jaunes.

8 – Instituts de sondage et mĂ©dias le reconnaissent Ă  leur façon en signalant comme explication des Ă©checs des reprĂ©sentants LREM dans les Ă©lections municipales ou rĂ©gionales, leur manque d’ancrage.

9 – Il existe bien quelques collectifs, par exemple en rĂ©gion parisienne : le collectif « Laissons les mĂ©decins prescrire Â» ou « Paris pour la libertĂ© Â» créé par Sophie Tissier, coordinatrice de Force jaune un groupe parisien se caractĂ©risant, entre autres Ă  l’époque, par sa volontĂ© minoritaire au sein des Gilets jaunes de dĂ©clarer les manifestations ; « RĂ©action 19 Â» des avocats Carlo Brusa, Di Vizio ou Virginie Araujo qui ont dĂ©bouchĂ© d’une part sur une action contre les procĂšs verbaux (non-respect des masques et du couvre-feu) et d’autre part une opposition au port du masque dans les Ă©coles, mais ils restent disparates. Notons quand mĂȘme que Brusa est un ancien de Forza Italia.

10 – Cet entrisme de Philippot eut d’ailleurs Ă©tĂ© impossible Ă  l’intĂ©rieur du mouvement des Gilets jaunes dans lequel, certes, des Ă©lĂ©ments d’extrĂȘme droite intervinrent, surtout Ă  Paris et Ă  Lyon, mais en tant que fascistes anticapitalistes et non en tant que politicards de droite pratiquant le clientĂ©lisme.




Source: Mondialisme.org