AprĂšs une longue et pĂ©nible semaine de travail, Vidal Guzman reçoit un chĂšque de 3,50 dollars. Avec cette somme, il nâa pu acheter que quatre articles : du dentifrice, deux boĂźtes de soupe et un timbre-poste. Il avait dâabord protestĂ© contre le fait dâĂȘtre affectĂ© Ă la cantine, mais on lui a posĂ© un ultimatum : câĂ©tait ça ou il pouvait retourner en cellule dâisolement. Quiconque a passĂ© un temps considĂ©rable en isolement complet pendant 23 heures par jour peut vous dire que câest une pure torture. Les gens ont souvent des hallucinations et, dans les cas extrĂȘmes, subissent des dommages mentaux irrĂ©versibles. Pour Guzman, qui a passĂ© deux ans et demi en tout et pour tout en isolement, le retour en arriĂšre nâĂ©tait pas une option. Il sâest soumis au travail forcĂ© Ă la cantine et Ă ses salaires de misĂšre, lâun des nombreux facteurs de dĂ©shumanisation dâun systĂšme carcĂ©ral conçu pour enrichir les entreprises aux dĂ©pens des personnes incarcĂ©rĂ©es.
Alors que les discussions sur lâaugmentation du salaire minimum fĂ©dĂ©ral Ă 15 dollars occupent le devant de la scĂšne, les militants font Ă©galement pression pour que le salaire minimum du travail en prison soit portĂ© Ă 3 dollars de lâheure. Dans le monde ordinaire, ce nâest pas grand-chose. Mais comparĂ©s aux quelques centimes que la plupart des dĂ©tenus reçoivent actuellement dans de nombreux Ătats, ce serait une Ă©norme amĂ©lioration. La Prison Policy Initiative rapporte que la grande majoritĂ© des personnes incarcĂ©rĂ©es « passent leurs journĂ©es Ă travailler dans des emplois dâentretien, de jardinage ou de restauration pour les institutions qui les enferment. » Le salaire moyen des emplois pĂ©nitentiaires hors industrie est de 86 cents de lâheure, soit sept cents de moins quâen 2021. Et pour la plupart, les emplois rĂ©guliers en prison ne sont pas rĂ©munĂ©rĂ©s dans des Ătats comme lâAlabama, lâArkansas, la Floride, la GĂ©orgie et le Texas.
« Câest un Ă©norme problĂšme depuis la ratification du 13e amendement », note Guzman. AprĂšs avoir Ă©tĂ© jugĂ© comme un adulte Ă 16 ans et avoir passĂ© plusieurs annĂ©es derriĂšre les barreaux pour appartenance Ă un gang, il est devenu un organisateur communautaire, travaillant actuellement avec le groupe de rĂ©flexion politique The Next 100. « Câest toujours un Ă©norme problĂšme aujourdâhui, parce que nous avons un esclavage lĂ©gal, et Ă cause de cela, vous pouvez forcer les gens Ă faire du travail forcĂ©, et vous pouvez avoir des gens soient payĂ©s 16 cents. Dans certains endroits, au Texas, certaines personnes [incarcĂ©rĂ©es] ne sont mĂȘme pas payĂ©es pour leur travail. »
Les rĂ©centes avancĂ©es dans le domaine des droits civils des personnes emprisonnĂ©es ont amenĂ© plusieurs Ătats Ă supprimer la clause dâesclavage autorisĂ© par le 13e amendement. Lâarticle II, section 26 de la Constitution amĂ©ricaine stipule : « Esclavage interdit. Il nây aura jamais dans cet Ătat ni esclavage, ni servitude involontaire, sauf en tant que punition pour un crime dont la partie aura Ă©tĂ© dĂ»ment condamnĂ©e. » Dans le Colorado, les lĂ©gislateurs ont votĂ© en faveur dâune modification de la loi pour quâelle dise : « Il nây aura jamais dans cet Ătat ni esclavage ni servitude involontaire. » Dâautres Ătats suivent le mouvement, avec des projets de loi similaires adoptĂ©s ou proposĂ©s en Californie, en Floride, au Tennessee, en Utah, au Nebraska et au New Jersey.
Guzman souhaite mener une campagne contre le 13e amendement dans la ville de New York, oĂč il a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©. Le lancement dâune campagne rĂ©ussie avec un soutien public massif augmentera les chances quâun sĂ©nateur parraine le projet de loi, ce qui permettrait quâil soit votĂ© par le SĂ©nat et transmis au gouverneur. LâidĂ©e dâaugmenter les salaires et de multiplier les opportunitĂ©s pour les travailleurs incarcĂ©rĂ©s est tout aussi importante que la suppression de la clause dâesclavage.
« Je sais ce que câest que dâĂȘtre contraint au travail forcĂ© », dit-il, « et je sais aussi ce que cela signifie de nâĂȘtre payĂ© Ă rien du tout, et dâĂȘtre toujours endettĂ©, de rentrer Ă la maison et de ne toujours pas avoir Ă de rĂ©elles opportunitĂ©s. Parce que mon expĂ©rience personnelle de ce que ces installations me forçaient Ă faire nâĂ©tait pas du tout des emplois. »
Les personnes emprisonnĂ©es sont confrontĂ©es Ă une culture du travail oĂč la formation fait dĂ©faut et oĂč la rĂ©munĂ©ration est insuffisante. Un certain nombre de ces personnes sont issues de communautĂ©s Ă faible revenu et sont dĂ©jĂ moins susceptibles dâavoir un bon niveau dâĂ©ducation ou une expĂ©rience professionnelle significative. Un systĂšme pĂ©nitentiaire qui exacerbe la non distribution de ressources nĂ©cessaires pour vivre est un systĂšme qui ne prĂ©pare pas les gens Ă ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ©s dans la sociĂ©tĂ©, mais Ă retourner directement en prison. Sur les plus de 600 000 individus libĂ©rĂ©s chaque annĂ©e des prisons dâĂtat et fĂ©dĂ©rales, plus des deux tiers sont Ă nouveau arrĂȘtĂ©s aprĂšs leur libĂ©ration et la moitiĂ© sont rĂ©incarcĂ©rĂ©s. Pour rĂ©duire les taux de rĂ©cidive, il faut adopter une approche plus axĂ©e sur la rĂ©adaptation, plutĂŽt quâune approche fortement punitive.
Tout simplement, nous devons traiter les prisonniers comme des ĂȘtres humains, et cela commence par leur verser un salaire dĂ©cent. Une personne ne devrait pas avoir Ă se limiter Ă deux boites de soupe pendant une semaine, comme lâa fait Guzman, ou Ă Ă©conomiser deux semaines de salaire pour acheter des timbres-poste. Elle devrait recevoir un salaire suffisant pour rĂ©pondre Ă ses besoins immĂ©diats, ainsi que pour constituer un fonds dâĂ©pargne ou soutenir sa propre famille. De nombreuses personnes incarcĂ©rĂ©es ont des enfants dont elles sont sĂ©parĂ©es. Des salaires Ă©quitables pourraient leur permettre de subvenir Ă leurs besoins et Ă ceux de leurs proches et leur permettre de faire des Ă©conomies et avoir moins de dettes pour vivre aprĂšs la prison. Des programmes mettant lâaccent sur lâĂ©ducation financiĂšre et enseignant des compĂ©tences telles que la gestion de leur budget leur permettraient Ă©galement de mieux gĂ©rer leur argent et dâĂȘtre mieux prĂ©parĂ©s au monde extĂ©rieur. Des emplois et des formations plus pertinents en prison seraient Ă©galement incroyablement bĂ©nĂ©fiques, mais pour lâinstant, lâaugmentation des salaires est lâacquis le plus facile Ă gagner.
Selon le ministĂšre amĂ©ricain de la santĂ© et des services sociaux, « lorsque la rĂ©insertion Ă©choue, les coĂ»ts sont Ă©levĂ©s – plus de criminalitĂ©, plus de victimes et plus de pression sur les budgets des Ătats et des municipalitĂ©s dĂ©jĂ limitĂ©s. » Des personnes comme Guzman sont la preuve vivante que les personnes incarcĂ©rĂ©es peuvent rĂ©ussir leur rĂ©insertion dans la sociĂ©tĂ©, mais nous devons ĂȘtre prĂȘts Ă investir dans leur bien-ĂȘtre pendant quâelles sont en prison. Ce qui souligne que câest le meilleur moyen de rĂ©duire les taux de rĂ©cidive et de parvenir Ă une sociĂ©tĂ© plus sĂ»re et plus juste, tout en veillant Ă ce que les droits des travailleurs soient Ă©tendus Ă tous.
Guzman conclut :
Nous avons des gens qui pensent que les personnes incarcĂ©rĂ©es devraient ĂȘtre traitĂ©es comme moins quâun ĂȘtre humain. Lorsque nous parlons de salaires, lorsque nous regardons ce qui est dit, lâune des choses les plus importantes est que nous voulons que les gens retournent dans la sociĂ©tĂ© en Ă©tant prĂ©parĂ©s, et en Ă©tant les meilleurs membres de la communautĂ© quâils puissent ĂȘtre. La seule façon dây parvenir est de commencer par faire en sorte que les gens reçoivent un salaire suffisant pour quâils puissent non seulement acheter les choses dont ils ont besoin, mais aussi avoir des fonds pour prendre soin de leur famille, et pour les prĂ©parer Ă revenir dans la sociĂ©tĂ©. Car nous savons que lorsque les gens comprennent leurs capacitĂ©s Ă gĂ©rer leur argent, ce quâils doivent en faire, cela leur est bĂ©nĂ©fique lorsquâils rentrent chez eux.
Source: Laboursolidarity.org