Parlons des effondrements, en cours ?
Il est difficile dâĂ©crire sur quelque chose qui est en train de se passer et quâil nâa pas Ă©tĂ© possible de voir venir. Lâirruption du Covid-19 dans la vie du monde modifie profondĂ©ment notre façon de voir la suite de notre histoire. Au fond, considĂ©rer la possibilitĂ© dâun effondrement du seul point de vue environnemental nous donnait le temps de voir venir. Il sâannonçait incontournable, sans aucun doute mais pour demain ! Le considĂ©rer comme seulement naturel illustrait notre myopie. Câest lĂ le reproche, la critique la plus importante que lâon peut faire au courant collapsologiste et Ă ses thurifĂ©raires.
Lâeffondrement, tout environnemental quâil soit, pose avant tout un problĂšme politique. Prenons un exemple tout simple, la rĂ©volution syrienne. Ces informations proviennent du ministĂšre de la DĂ©fense, dont on peut penser que parfois… mais confirmĂ©es par une publication scientifique [note] .
⹠Entre 2006 et 2010 la pire sécheresse jamais enregistrée dans la région frappe le Croissant fertile, vaste zone du Moyen-Orient qui englobe une bonne partie du nord de la Syrie.
âą Entre 2007 et 2008, les prix du blĂ© et du riz doublent en Syrie, tandis que le prix de la viande est propulsĂ© Ă des sommets. JusquâĂ 1,5 million de Syriens quittent la campagne pour trouver refuge dans les villes, oĂč ils sâentassent en pĂ©riphĂ©rie, dans des conditions difficiles
âą 2011 Le Printemps arabe, la RĂ©volution syrienne, la rĂ©pression qui en dĂ©coule avec la guerre contre Daech qui profite de cette situation. Le rĂ©sultat est connu. Deux pays en ruines, effondrĂ©s. On peut parler Ă leur propos dâune faillite dâĂtats.
Autour dâeux des pays qui cherchent par tous les moyens de ne pas sâeffondrer avec eux. Lâensemble israĂ©lo-palestinien, et le Liban qui y glissent. LâIran qui se dĂ©bat entre son maintien comme puissance dominante et son Ă©chec Ă©conomico-politique interne aggravĂ© par les effets du virus, sans parler de la Turquie en situation de guerre permanente, interne et externe. Cette partie du monde est la premiĂšre Ă sâeffondrer.
Dans nos pays, ce rĂ©chauffement climatique ne pousse pas encore Ă la rĂ©volution. Avant que le Covid-19 ne vienne bousculer notre petit monde, dĂ©jĂ , chez nous une reconsidĂ©ration radicale de toute lâĂ©conomie de montagne Ă©tait Ă lâĆuvre. Quâelle soit dâorigine touristique (fonte du permafrost = fragilitĂ© des rochers â stations de moyenne montagne sans neige) ou agricole, lâabsence de ces revenus va probablement entraĂźner une fuite vers les vallĂ©es.
Toute cette façon de voir les choses est passĂ©e de mode. Covid-19 a frappĂ©. Le roi est nu ! Quoique certains puissent dire sur la dangerositĂ© relative de ce virus, le monde entier, dâune façon ou dâune autre, court aux abris. La menace nâest plus atomique, les propriĂ©taires des bombes ont bien compris quâen utiliser une correspondrait Ă un suicide La menace est naturelle et digne de tous les romans de dystopie qui ont pu fleurir dans le domaine de la science-fiction.Les attaques sur la santĂ© humaine se succĂšdent avec une rĂ©gularitĂ© Ă©tonnante. 1968â1970 : la grippe de Hong-Kong. Le virus H3N2. 1969 : la fiĂšvre de Lassa. 20 mai 1983 : le virus VIH (sida). 16 novembre 2002: apparition du SRAS. 2009â2010 : Ă©pidĂ©mie H1N1. 2009â2010 : une Ă©pidĂ©mie de mĂ©ningite bactĂ©rienne. 2012 : le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). 2014 : lâĂ©pidĂ©mie dâEbola, et maintenant le Covid-19. Pour les spĂ©cialistes « il est certain que les dĂ©sĂ©quilibres Ă©cologiques actuels viennent modifier en profondeur les interactions entre la faune, les pathogĂšnes et lâhumanitĂ©. LâautorĂ©gulation des Ă©cosystĂšmes Ă©tant profondĂ©ment affectĂ©e, la survenue de tels virus est favorisĂ©e ».
La question environnementale repoussĂ©e aux calendes grecques fait son retour en force. Pourtant la crise Ă©conomique dans laquelle nous sommes entrĂ©s va empĂȘcher toute avancĂ©e dans ce sens tant que les investisseurs en regarderont la rentabilitĂ© immĂ©diate. Le coĂ»t du pĂ©trole ayant magistralement chutĂ©, tout investissement dans la transition environnementale devient hors de prix. Cela va aussi toucher lâindustrie automobile qui ne pourra plus tabler pendant un certain temps sur les Ă©conomies que pourraient faire les voitures Ă©lectriques. LâarrĂȘt brutal des transports aĂ©riens a des consĂ©quences qui dĂ©passent de loin juste les vols et les aĂ©roports. Il devient facile de dire que le virus a rĂ©ussi Ă faire ce quâaucune grĂšve gĂ©nĂ©rale nâa jamais fait : arrĂȘter le monde ! Il est tout aussi facile de dire que le redĂ©marrage ne sera pas facile. Comment qualifier le monde qui vient ?
Pour ne pas sâeffondrer la planĂšte financiĂšre a jetĂ© dans la mĂȘlĂ©e des montants dâargent qui relevaient auparavant dâune folie irrĂ©aliste, celle dâun mathĂ©maticien fou qui aurait Ă©crit des suites de 0. Ces bouĂ©es jetĂ©es Ă la mer illustrent Ă quel point lâeffondrement est proche. La peur du virus est secondaire. Celle Ă©prouvĂ©e par un systĂšme moribond est rĂ©elle. Ces milliers de milliards dâeuros ou de dollars donnent le tournis. Personne ne peut chiffrer le montant exact dĂ©versĂ© tant cela change de jour en jour. Le monde du capital a fait sienne la devise du prĂ©sident français, « coĂ»te que coĂ»te ! »
Il ne faut pas ĂȘtre devin pour sâapercevoir de deux choses. Dâabord le retour de lâĂtat-providence, celui Ă qui lâon demande tout. Dans une interview Pablo Servigne, semblant jeter son anarchisme aux buissons dĂ©clare « Ce quâil y a dâintĂ©ressant, câest le grand retour des Ătats souverains. LâidĂ©ologie dominante nĂ©olibĂ©rale a passĂ© 50 ans Ă dĂ©manteler tout ce qui Ă©tait de lâordre de lâĂtat et en particulier lâĂtat-providence, lâĂtat qui prend soin. Elle a pillĂ© le public et le commun pour donner au privĂ© et aux marchĂ©s. Dans une situation dâurgence, on se rend compte quâon a besoin de coordination, dâun Ătat qui prenne soin, et Ă qui on peut faire confiance. Câest une leçon, car une “transition”, câest-Ă -dire un changement radical et rapide de sociĂ©tĂ©, ne peut ĂȘtre que coordonnĂ©e. Il faut un Ătat stable pour le faire, et il y a ici une opportunitĂ© de retrouver des manettes, des leviers. »
Ensuite la mĂ©tamorphose dâun certain nombre de dirigeants de dĂ©mocraties parlementaires tentĂ©s par un certain autoritarisme, si ce nâest une individualisation forcenĂ©e de leur pouvoir. Ils sont nombreux ceux qui lorgnent du cĂŽtĂ© des dirigeants chinois capables de tenir leur population en laisse. Ils sont nombreux Ă vouloir jouer un rĂŽle Ă la maniĂšre de Trump qui nâa que faire de ces palinodies citoyennes. Hormis celui-lĂ , il y a Bolsonaro au BrĂ©sil, Modi en Inde, Dutertre aux Philippines, Orban en Hongrie, Johnson en Grande Bretagne et Macron en France, sans oublier le Russe Poutine et le Chinois Xi Jinping et enfin le CorĂ©en Kim Jong Un qui serait risible sâil ne possĂ©dait pas un armement nuclĂ©aire.
La collapsologie a bien identifiĂ© et formalisĂ© les possibilitĂ©s dâeffondrement. Nous les voyons Ă lâĆuvre dâune façon qui, si elle nâĂ©tait pas rĂ©ellement annoncĂ©e nâen est que plus rĂ©elle. Inutile de revenir lĂ -dessus. Tous les tenants du climato-scepticisme sont renvoyĂ©s Ă leurs chĂšres Ă©tudes. Par contre, le problĂšme de lâaprĂšs se pose en des termes que les collapsologues nâont pas abordĂ©s sur le fond, Ă la fois parce que cela est tellement Ă©norme et parce quâils nâont probablement pas saisi lâamplitude du problĂšme. Sâil est vrai et incontournable que lâentraide est la seule option pour surnager dans un ocĂ©an de dĂ©bris tant intellectuels que matĂ©riels, cela ne suffit pas pour envisager la suite. Sauf Ă penser que lâeffondrement ressemblera Ă une fin du monde, apocalyptique !
Si on se réfÚre aux différents numéros de la revue Yggdrasill, la société qui est prÎnée à travers les différents articles relÚve plus de quelque chose qui ressemble à la saga du Seigneur des Anneaux
quâĂ la rĂ©organisation des grandes mĂ©tropoles, Ă moins de ne rĂȘver dâun scĂ©nario Ă la Pol Pot. Le dĂ©confinement annoncĂ© va ramener au premier plan cette problĂ©matique par le biais de la circulation des personnes dans les transports en commun. Croire quâil sera possible dây faire respecter, masques, distanciation sociale et autre mesures propres Ă Ă©viter la contamination relĂšve du rĂȘve pieux. Par contre, et en cela les collapsologues ont raison, ce dĂ©confinement hasardeux rĂ©vĂšle la folie de lâexistence de ces mĂ©tropoles gigantesques qui ne servent quâĂ magnifier les pouvoirs en place, citadelles aux pieds dâargile. Ne pas prendre en compte au moins thĂ©oriquement, les habitants de toutes ces citĂ©s, folies urbanistiques des annĂ©es 60, câest bien considĂ©rer lâeffondrement comme une remise Ă zĂ©ro, un reset comme on dit en informatique.
Dâautre part il est Ă remarquer que lâexistence, la circulation des idĂ©es et lâorganisation du courant collapso sont facilitĂ©es par lâutilisation dâInternet. Or lâexistence du rĂ©seau des rĂ©seaux nâest pas questionnĂ©e, pas plus lĂ quâailleurs dans tous les courants contestataires. Ce silence sur ce filet qui enserre notre monde de façon de plus en plus Ă©troite reste pour moi un mystĂšre. Non pas que jâaie le dĂ©but dâune solution, mais parce que jâentrevois une machinerie si complexe quâelle Ă©chappe mĂȘme Ă ses crĂ©ateurs et continuateurs. Cette crise du Covid-19 a vu lâexpansion exponentielle du capitalisme numĂ©rique sous toutes ses formes, tant mĂ©dicales, Ă©conomiques que culturelle.
Aujourdâhui toute la sphĂšre politique tant Ă©colo que gauchiste est prise de vitesse par ce qui se passe. Le monde dâaprĂšs tant espĂ©rĂ© par nombre de chroniqueurs, Ă©crivains, intellectuels, ne peut avoir lieu sâil nâa pas Ă©tĂ© prĂ©parĂ© en amont. Les proclamations comme les pĂ©titions ne suffisent pas. EngluĂ©es dans le consumĂ©risme, les forces qui pourraient ĂȘtre rĂ©volutionnaires sont assommĂ©es par les combats prĂ©cĂ©dents, perdus.
Pierre Sommermeyer
Ps : Cet article précédé de 1 : Collapsologie et catastrophisme, 2 : Du catastrophisme à la collapsologie, 3 : Critiques de la collapsologie ou collapsophobie.
1) https://www.pnas.org/content/112/11/3241
Source: Monde-libertaire.fr