Mai 16, 2022
Par Le Monde Libertaire
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UNE MAISON DE POUPÉE de Henrik IBSEN

Photo D.R.

Mise en scène Philippe PERSON
AVEC Florence LE CORRE (Nora)
Nathalie LUCAS (Madame Linde)
Philippe CALCARIO (Torvald Helmer)
Philippe PERSON ( Krogstad)
Lumières Alexandre DUJARDIN
Décor Vincent BLOT

Cette pièce écrite par IBSEN en 1879 aurait eu le même impact émotionnel que Le Cri de Munch sur les spectateurs. Qu‘est-ce qui peut faire basculer le destin d’un homme ou d’une femme hors des sentiers battus ? Quel est donc le grain de sable qui peut faire dérailler un scénario immuable, qui se répète de générations en générations dans la société bourgeoise que décrit Ibsen. Nous n’avons pas de boule de cristal . S’agiterait-elle sur le sapin de Noël qui trône dans le salon de Monsieur et Madame Helmer un jeune couple plutôt banal ? Nous apprenons que Torvald va devenir Directeur de Banque. Il est fêté comme il se doit par sa jeune épouse Nora tout excitée par cet événement. Très rapidement nous comprenons que Torvald la traite comme une femme enfant destinée à le distraire, à le flatter par sa beauté, son charme. Nora en effet à toute l’apparence d’une jeune femme frivole, insouciante et aussi vivace qu’une alouette.
Ce n’est qu’au second acte que nous découvrons qu’un terrible secret ronge la jeune femme victime d’un maître chanteur qui n’est autre que l’employé qu’entend limoger son mari. Voilà un synopsis qui nous rappelle les thrillers de Hitchcock. L’attention de l’auteur et ce faisant du metteur en scène se cristallise sur la personne de Nora confrontée à une solitude inouïe du fait de son secret qui la met en porte à faux avec son mari planqué dans ses valeurs conformistes et rigides.
C’est l’expérience de cette solitude terrible qui va révéler à Nora ce dont elle est capable. Tout le long de la pièce l’étau se resserre autour de Nora. L’angoisse qu’éprouve la jeune femme à l’idée d’être dénoncée à son mari par le maître chanteur, son créancier, le public la partage mais sans réaliser qu’elle pourrait être la réaction de Torvald.
Ce fameux secret qui de nos jours peut paraitre bénin est emblématique de la cagoule portée par Nora pendant ses huit ans de mariage. Dès lors que le voile aura été tiré, Nora pourra se regarder en face, voir l’horizon s’ouvrir devant elle, comprendre ce formidable appel d’air que représente la liberté.
A travers le portrait de Nora et de Torvald, c’est tout un édifice social à la fois rigide et hypocrite qu’Ibsen dénonce parce que cet édifice qui existe toujours étouffe dans l’œuf la créativité humaine, contraignant les individus à se résigner, à subir des lois sans imaginer pouvoir les discuter.
Au-delà du personnage de Nora, c’est l’individu qui est invité à se mesurer avec ses propres forces, donc ses faiblesses aussi et ses propres désirs, pour se connaître et donner un sens à cette vie qui le concerne en premier lieu, après tout. Nora choisit la solitude mais il ne s’agit pas d’un choix égoïste mais d’une véritable aventure humaine.
La rupture amoureuse entre les deux époux est violente et poignante. Nora s’arrache véritablement à son mari comme si elle venait de faire sa mue, ne laissant à l’homme devenu un étranger, que les souvenirs artificiels d’une poupée.
Quel gâchis ! Torvald et Nora ne joueront plus ensemble la comédie du couple heureux…Nora n’a plus le temps, elle doit vivre !

Nous avons été conquis par l’interprétation de Florence LE CORRE d’une délicatesse, une justesse, impressionnantes ! Cette jolie boule de cristal illumine ses partenaires, Philippe PERSON, excellent en maître chanteur mordant et vénéneux, Philippe CALVARIO à mi-chemin entre le mari m’as-tu-vu et le pauvre type et Nathalie LUCAS qui joue avec finesse, l’amie réfléchie et bienveillante.
Le déroulement en plans séquences des différentes situations, est fluide mais à vrai dire nous n’avons les yeux tournés que sur Nora. Son visage et celui de son amie, si émotifs, pourraient faire penser à d’autres visages féminins filmés par le grand Bergman.
Quelle grâce tout de même que cette pièce dans ce monde de brutes. Quel signe !

Article mis à jour le 17 Mai 2022
Evelyne Trân

A LA MANUFACTURE DES ABBESSES, 7 Rue Véron 75018 paris
Du 7 avril au 22 mai les jeudis, vendredis, samedis à 21h et les dimanches à 17h




Source: Monde-libertaire.fr