Juin 11, 2020
Par Zones Subversives
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Les grandes rĂ©voltes de Mai 68 et des Gilets jaunes restent des moments importants. Mais elles ne parviennent pas Ă  renverser l’ordre capitaliste. Ces explosions s’accompagnent d’une pĂ©riode de contestation, mais sans dĂ©boucher vers des perspectives de rupture rĂ©volutionnaire. 

Les luttes sociales restent centrales, comme le montre la rĂ©volte des Gilets jaunes. Mais il semble Ă©galement important de revenir sur la pĂ©riode de la contestation des annĂ©es 1968 pour ouvrir des perspectives stratĂ©giques. Un changement dans la maniĂšre de penser et de dĂ©velopper la lutte des classes s’amorce. Les rĂ©voltes des annĂ©es 1968 se diffusent dans de nombreux pays. Elles apparaissent comme des formes d’auto-Ă©mancipation du prolĂ©tariat.

Durant le mouvement des Gilets jaunes, les syndicats et les partis de gauche ont paru inaudibles. La gauche n’a plus de programme, de stratĂ©gie et de perspective de lutte. Pourtant, les Gilets jaunes insistent sur les revendications sociales et dĂ©mocratiques. Pierre Cours-Salies propose de relier ces deux moments de rĂ©volte dans son livre A la prochaine
 De Mai 68 aux Gilets jaunes.

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Luttes des années 1968

 

La rĂ©volte mondiale des annĂ©es 1968 se propage au Japon, en Europe, en Egypte, au SĂ©nĂ©gal et en Afrique, en AmĂ©rique latine et au Mexique. Les Etats-Unis, Ă©picentre du capitalisme, symbolisent cette contestation. L’opposition Ă  la guerre du Vietnam et les luttes afro-amĂ©ricaines secouent la vieille puissance. En 1965 Ă©clatent les Ă©meutes de Watts. Les ghettos noirs s’organisent Ă  travers les Black Panthers. La jeunesse se tourne vers une Nouvelle Gauche qui tente de relier les diverses luttes avec des aspirations anti-autoritaires. En Europe, le Mai français et le « Mai rampant Â» italien menacent la sociĂ©tĂ© capitaliste. La rĂ©volution portugaise de 1974 s’inscrit dans ce cycle de lutte.

En France, la rĂ©volte de Mai 68 rĂ©vĂšle une potentialitĂ© rĂ©volutionnaire. L’Etat gaulliste a bien faillit s’effondrer. NĂ©anmoins, les militants trotskistes, comme le thĂ©oricien Daniel BensaĂŻd, relativisent l’importance de ce mouvement. Les militants rĂ©volutionnaires ne sont pas suffisamment implantĂ©s dans les usines pour permettre un basculement selon cette logique avant-gardiste. Au contraire, c’est une rĂ©volte spontanĂ©e qui Ă©clate. La nuit des barricades dĂ©bouche vers une importante vague de grĂšves. NĂ©anmoins, le Parti communiste refuse de prendre le pouvoir dans un contexte de rĂ©volte. Respectueux des rĂšgles institutionnelles, le PCF attend les Ă©lections pour accĂ©der au pouvoir. Pierre MendĂšs-France, soutenu par le PSU et la CFDT, refuse Ă©galement de prendre la tĂȘte d’un gouvernement provisoire.

Les partis politiques et les syndicats permettent un retour Ă  la vie politique institutionnelle. Les accords de Matignon proposent d’importantes avancĂ©es sociales et favorisent la reprise du travail. Le PS et le PCF Ă©laborent un programme commun Ă  partir de 1972. Les socialistes rĂ©cupĂšrent les thĂ©matiques autogestionnaires issues de Mai 68. En 1974, la CGT et la CFDT scellent un accord au nom de l’unitĂ© syndicale. Ce qui doit renforcer l’encadrement et le contrĂŽle des luttes ouvriĂšres. « Tous les mouvements sociaux qui reprĂ©sentent une dynamique non disciplinĂ©e au dĂ©part sont des dangers pour les appareils qui ont Ă©tĂ© dĂ©bordĂ©s en Mai Â», observe Pierre Cours-Salies.

 

Si le PCF et François Mitterrand attendent les Ă©lections de 1972 pour accĂ©der au pourvoir, le PSU et les gauchistes entendent surfer sur la vague contestataire. Mai 68 ouvre de nouvelles possibilitĂ©s. « En Mai, ceux qui se rĂ©clamant d’options rĂ©volutionnaires et autogestionnaires se sentent au cƓur de l’évĂ©nement et la plupart des militant.e.s n’avaient mĂȘme jamais imaginĂ© une telle situation. Cela oriente une lecture critique Â», rappelle Pierre Cours-Salies.

Le mouvement du 22 mars ouvre une dynamique de lutte Ă  Nanterre avant de participer Ă  la nuit des barricades. La libĂ©ration des prisonniers et la rĂ©ouverture de la Sorbonne restent les revendications immĂ©diates. Le mouvement du 22 mars entend dĂ©passer les querelles entre groupuscules Ă  travers des pratiques de lutte. « Seule l’action permet de dĂ©passer les oppositions de chapelle. Elle est elle-mĂȘme un moyen de mobilisation et engendre l’action Â», souligne Daniel Cohn-Bendit. Les Ă©tudiants et les travailleurs se rejoignent dans la lutte. La grĂšve se gĂ©nĂ©ralise.

Le 13 mai, la CGT appelle Ă  une grande manifestation. La CFDT et le PSU insistent sur l’autogestion des luttes et les comitĂ©s de grĂšve. Ils organisent le meeting de CharlĂ©ty pour lancer la possibilitĂ© de Pierre MendĂšs-France Ă  la tĂȘte d’un gouvernement transitoire. Mais le politicien ne veut pas retourner Ă  la tĂȘte de l’Etat. Le PSU refuse de se joindre Ă  la manifestation du 29 mai lancĂ©e par la CGT. Le PSU ne veut pas s’associer aux staliniens. Surtout, les partis et les syndicats sont perçus comme des rĂ©cupĂ©rateurs d’un mouvement spontanĂ© dont ils ne sont pas Ă  l’origine.

 

Les luttes ouvriĂšres se multiplient dans le sillage de Mai 68. Des grĂšves Ă©clatent dans l’industrie automobile. Les travailleurs immigrĂ©s deviennent une importante force sociale. L’autoritĂ© des contremaĂźtres et l’usure du travail sont remises en cause. « On produit, on vend, on se paie Â», devient le slogan de la lutte de Lip. Les ouvriers occupent l’usine pour protester contre sa fermeture. Surtout, ils vendent le stock de marchandises. Cette lutte devient emblĂ©matique. La CFDT impulse des comitĂ©s de grĂšve autonome et favorise l’auto-organisation dans de nombreux conflits sociaux.

De nouveaux mouvements de lutte se dĂ©veloppent dans les annĂ©es 1968. Le MLF et le MLAC incarnent le renouveau du fĂ©minisme. La lutte pour l’avortement insiste sur la libertĂ© des corps. Des pratiques illĂ©gales se multiplient pour dĂ©boucher vers une lĂ©galisation de l’avortement. Les luttes de l’immigration se dĂ©veloppent Ă©galement durant les annĂ©es 1968. Des grĂšves de loyer Ă©clatent dans les foyers Sonacotra. Ensuite, des luttes s’organisent dans les usines, notamment contre les cadences. La CGT dĂ©laisse cette fraction du prolĂ©tariat. En revanche, les maoĂŻstes dĂ©cident de se tourner vers cette population. Mais les luttes de l’immigration s’attachent Ă  se construire de maniĂšre autonome.

Mais c’est une logique d’institutionnalisation qui s’impose. Une partie de la CFDT rallie le PS au cours des « Assises du socialisme Â» de 1974. C’est ce qui dĂ©bouche vers la « deuxiĂšme gauche Â» proche de Michel Rocard. Les groupuscules gauchistes sont traversĂ©s par des scissions. Ils ne parviennent pas Ă  s’organiser pour impulser une force issue des luttes sociales. Ce sont alors uniquement les Ă©lections qui doivent permettre de « changer la vie Â».

 

Pendant l’acte XVIII des « gilets jaunes Â», Ă  Paris, le 16 mars.

 

Irruption des Gilets jaunes

 

La contestation des annĂ©es 1968 attaque l’autoritĂ© et le travail. Le combat politique remet en cause l’exploitation, l’oppression et l’ensemble des rapports de domination dans la sociĂ©tĂ©. Mais cet hĂ©ritage doit Ă©galement nourrir les luttes Ă  venir. Le mouvement des Gilets jaunes ouvre une nouvelle brĂšche. Mais il semble important de discuter de perspectives stratĂ©giques, Ă  travers des objectifs et des pratiques en commun. Une « rĂ©volution dĂ©mocratique Â» doit passer par une propriĂ©tĂ© sociale des biens communs et par l’autogestion.

Tout comme la grĂšve de masse de 1968, le mouvement des Gilets jaunes apparaĂźt comme un surgissement spontanĂ© et imprĂ©visible. Les partis de gauche sont Ă©galement surpris et pris de court. « Si l’évĂ©nement a Ă©branlĂ© les institutions, il a aussi mis Ă  dĂ©couvert la situation des forces “de la gauche”, les syndicats et peut-ĂȘtre surtout les organisations politiques Â», admet Pierre Cours-Salies. Le mouvement semble porter des thĂ©matiques de droite sur les rĂ©seaux sociaux, comme la critique de la limitation de vitesse sur la route ou des taxes sur le carburant. Mais, dĂšs novembre 2018, ce sont des exploitĂ©s qui s’organisent.

Des salariĂ©es de l’aide Ă  domicile, des caissiĂšres, des intĂ©rimaires, des chĂŽmeurs, des retraitĂ©s, des « auto-entrepreneurs Â», des employĂ©s de petites entreprises se retrouvent sur les pĂ©ages et les  ronds-points. Ce sont des personnes peu politisĂ©es qui se mobilisent trĂšs rarement et se mĂ©fient des syndicats. Mais la vieille gauche continue de mĂ©priser un mouvement jugĂ© « interclassiste Â», voire poujadiste et facilement rĂ©cupĂ©rable par l’extrĂȘme-droite. Des dĂ©bats vifs traversent le petit milieu intellectuel. MĂȘme si des tribunes et les interventions de figures de la gauche comme l’historien GĂ©rard Noiriel ou le journaliste Edwy Plenel assument un soutien aux Gilets jaunes.

La composition sociale du mouvement diffĂšre de celle de la gauche traditionnelle. Les cadres sont particuliĂšrement peu prĂ©sents. Un enquĂȘte montre que les classes d’ñge les plus mobilisĂ©es sont les 35-49 ans et les 50-64 ans. Le BEP et le CAP sont les diplĂŽmes les plus reprĂ©sentĂ©s (35%). Les diplĂŽmĂ©s du supĂ©rieur (20%) sont moins prĂ©sents que dans le reste de la population. Le revenu moyen du foyer reprĂ©sente 1700 euros par mois. Les femmes (45%) semblent un peu moins nombreuses que les hommes mais restent particuliĂšrement actives. Elles gĂšrent les caisses de solidaritĂ© et mĂšnent des actions. Les classes populaires, employĂ©s et ouvriers, sont les plus prĂ©sentes sur les barrages. Les salariĂ©s qui se mobilisent n’ont pas les moyens de se mettre en grĂšve. Leurs revenus sont trop faibles ou ils ont dĂ©jĂ  participĂ© Ă  une lutte qui a Ă©chouĂ©. L’action collective ne s’organise plus sur les lieux de travail. Ensuite, ce sont des salariĂ©s de petites entreprises dans lesquelles la sĂ©curitĂ© de l’emploi est plus faible.

 

La gauche rĂ©vĂšle son incomprĂ©hension Ă  l’égard du mouvement des Gilets jaunes. Les partis et les syndicats soutiennent tardivement le mouvement. Mais c’est pour tenter de le rĂ©cupĂ©rer. Ils insistent avant tout sur les revendications qui se rapprochent de celles de leurs programmes pĂ©rimĂ©s. Mais ils refusent de se plonger dans cette nouvelle dynamique de lutte. « On peut penser qu’il y a lĂ  une distorsion culturelle et voir combien l’habitude d’appeler Ă  voter dans les institutions rend impermĂ©able Ă  une nouvelle demande de discussion Â», observe Pierre Cours-Salies.

De nouvelles formes de lutte se dĂ©veloppent, comme les mouvements Occupy ou encore Nuit debout. Ces nouvelles luttes insistent sur la critique de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative et des Ă©lites politiques. La revendication du RIC entend rĂ©pondre Ă  cette dĂ©fiance Ă  l’égard de la classe politique pour introduire davantage de participation Ă  la prise de dĂ©cision. Mais le dispositif du « Grand dĂ©bat Â» permet au contraire une confiscation de la parole par la classe dirigeante. « Cette exigence de rupture avec les discussions trop pressĂ©es contre l’élitisme ne peut se contenter d’un bricolage ; une volontĂ© de changer les rapports de pouvoir passe par le souci de crĂ©er des formes de discussion oĂč la parole puisse circuler Â», estime Pierre Cours-Salies.

 

De nouvelles formes de luttes se multiplient. Le dĂ©sastre Ă©cologique mais aussi les questions liĂ©es Ă  l’intersectionnalitĂ© deviennent plus importantes. Mais la lutte des classes reste une grille d’analyse centrale, sans se rĂ©duire Ă  la dimension Ă©conomique. « RĂ©affirmer la perspective d’une classe en lutte pour l’émancipation collective n’est en rien s’enfermer dans un concept dĂ©sincarnĂ©. Toutes les luttes (sociales, Ă©cologiques, antiracistes, dĂ©mocratiques, culturelles, fĂ©ministes, etc.), d’une façon ou d’une autre, mettent en mouvement les contradictions de la classe dominante Â», souligne Pierre Cours-Salies.

Les mouvements sociaux qui se contentent d’une posture dĂ©fensive face aux attaques du gouvernement qui menacent « les acquis sociaux Â» rĂ©vĂšlent leur limite. Cette dĂ©marche dĂ©bouche vers des discussions autour d’amĂ©nagements morcelĂ©s. Les Ă©checs de ces luttes dĂ©bouchent vers le dĂ©couragement pour conduire vers des solutions plus modĂ©rĂ©es. Mais il semble Ă©galement important d’éviter le piĂšge du localisme, dĂ©fendu par Laurent Jeanpierre, qui s’enthousiasme pour des expĂ©riences alternatives mais laisse la gestion du capital aux mains de la bourgeoisie. Un projet global peut s’articuler autour de l’autogestion qui permet une appropriation collective et dĂ©mocratique des moyens de production. L’autogestion permet la discussion autour d’un autre projet de sociĂ©tĂ©. « Elle l’était avec ses dimensions insĂ©parables : la propriĂ©tĂ©, le temps libĂ©rĂ©, le droit Ă  l’inventivitĂ© Â», prĂ©cise Pierre Cours-Salies.

 

Un «gilet jaune» condamné à plus de trois ans de prison ferme pour violences à Caen

 

Limites de la gauche autogestionnaire

 

Pierre Cours-Salies propose une solide rĂ©flexion politique. PlutĂŽt que de vĂ©gĂ©ter dans l’abstraction thĂ©orique, il s’appuie sur deux grands mouvements de lutte. Il relie Mai 68 et les Gilets jaunes. Ces deux moments incarnent la rĂ©volte spontanĂ©e du prolĂ©tariat. Les partis et les syndicats sont alors dĂ©bordĂ©s. Mais ces mouvements ne parviennent pas Ă  ouvrir de nouvelles perspectives politiques.

Pierre Cours-Salies s’inscrit dans la tradition respectable du socialisme autogestionnaire. Ce courant est portĂ© par la CFDT des annĂ©es 1968. Il parvient Ă  relier le PSU et la LCR et semble perdurer dans le groupuscule Ensemble !, proche de la France insoumise. Mais Pierre Cours-Salies tient Ă  se dĂ©marquer des travers du populisme de gauche qui reste focalisĂ© sur les Ă©lections et les institutions. Il insiste sur l’importance des mouvements sociaux pour transformer la sociĂ©tĂ©. Il se dĂ©marque Ă©galement des travers de la gauche postmoderne. Il critique l’alternativisme et tient Ă  rĂ©affirmer la dimension centrale de la luttes des classes sans pour autant faire passer au second plan les diverses formes d’oppression.

Mais le socialisme autogestionnaire de Pierre Cours-Salies repose Ă©galement sur une certaine confusion thĂ©orique. Il se rĂ©fĂšre souvent Ă  des auteurs qui incarnent une tradition plutĂŽt libertaire du marxisme comme Pierre Naville, Henri Lefebvre, AndrĂ© Gorz ou encore Rosa Luxemburg. Mais il se rĂ©fĂšre Ă©galement Ă  des crapules politiciennes comme Salvador Allende ou mĂȘme Bernie Sanders. Surtout, ce socialisme autogestionnaire incarnĂ© par le PSU et la CFDT des annĂ©es 1968 s’apparente Ă  un rĂ©formisme radical. Un programme de rĂ©formes sociales et dĂ©mocratiques est mis en avant, davantage qu’un objectif de rupture rĂ©volutionnaire. Ce rĂ©formisme radical valorise une autogestion du capital sans insister sur l’abolition des rapports sociaux capitalistes, du travail, de la marchandise et de l’Etat. Ce socialisme autogestionnaire maintient l’illusion d’une meilleure gestion de la sociĂ©tĂ© capitaliste.

Pierre Cours-Salies Ă©voque d’ailleurs les limites de cette mouvance au cƓur de l’action en Mai 68. Le PSU et la CFDT n’ont rien d’autre Ă  proposer qu’un gouvernement de transition pilotĂ© par Pierre-MendĂšs-France. On est loin d’une perspective de rupture rĂ©volutionnaire. Les luttes sociales doivent se contenter de peser sur les institutions. Mais la transformation de la sociĂ©tĂ© reste orchestrĂ©e depuis le sommet de l’Etat. Pierre Cours-Salies reste dans l’illusion assez aberrante qu’un gouvernement dirigĂ© par Pierre MendĂšs-France aurait permis un changement social et politique. On ne refait pas le passĂ©, mais ça reste difficile d’y croire. Cette perspective de “double pouvoir” semble peu ragoutante. 

Pierre Cours-Salies alterne entre rĂ©formisme et rĂ©volution dans ces analyses. Il peut se contenter d’une banale critique des 1% et de l’oligarchie. Il propose une dĂ©mocratie participative avec le RIC et autres blagues citoyennistes. D’un autre cĂŽtĂ©, il insiste sur les limites des luttes dĂ©fensives et Ă©voque l’appropriation des moyens de production. Cette confusion semble liĂ©e Ă  la tradition trotskiste, aussi minoritaire qu’incomprĂ©hensible. Ce courant se prĂ©tend rĂ©volutionnaire mais ne cesse d’avancer un programme de transition avec des rĂ©formes plus ou moins radicales. Cette posture oscille entre la proposition d’un amĂ©nagement de l’exploitation capitaliste et une surenchĂšre verbale censĂ©e pousser Ă  la rĂ©volution. Bref, personne n’y a jamais rien compris. Cette approche manque trop de cohĂ©rence et de clartĂ© pour s’élargir au-delĂ  de quelques cercles intellectuels.

Pierre Cours-Salies adresse de bonnes critiques Ă  la gauche, comme son nationalisme ou sa focalisation sur les Ă©lections. Mais il reste attachĂ© au mythe de l’union de la gauche autour d’un programme commun. Cette approche vieillotte semble dĂ©connectĂ©e des luttes actuelles. L’évocation des Gilets jaunes par Pierre Cours-Salies rĂ©vĂšle ce dĂ©calage. Certes, il a le mĂ©rite de valoriser l’originalitĂ© d’un mouvement longtemps boudĂ© par la vieille gauche. Mais il insiste davantage sur le discours des Gilets jaunes plutĂŽt que sur leurs pratiques de lutte. Les programmes et cahiers de dolĂ©ances des Gilets jaunes sont pourtant aussi creux et inintĂ©ressants que ce que peut pondre la gauche depuis 30 ans. Ils ne font d’ailleurs que reprendre les vieilles recettes de la gauche du capital qui veut amĂ©nager l’exploitation capitaliste.

Mais Pierre Cours-Salies Ă©voque peu les pratiques de lutte des Gilets jaunes et leur dĂ©marche politique originelle. Ce mouvement ne se regroupe pas autour d’un programme ou d’une idĂ©ologie. C’est une rĂ©volte spontanĂ©e avec des prolĂ©taires qui se retrouvent avant tout dans l’action directe. Ce sont les occupations des pĂ©ages et des ronds-points qui fondent ce mouvement, et non pas les catalogues revendicatifs et autres manipulations grossiĂšres de l’extrĂȘme-gauche. Ce n’est pas un programme qui peut construire un mouvement rĂ©volutionnaire. C’est l’action directe et l’auto-organisation des exploitĂ©s qui peut ouvrir des perspectives de rĂ©organisation de la sociĂ©tĂ©. Les syndicats et partis de gauche sont Ă  jeter et ne servent Ă  rien. Ce sont des luttes autonomes qui doivent permettre aux prolĂ©taires de s’organiser, d’agir, de rĂ©flĂ©chir et de dĂ©cider collectivement pour penser un vĂ©ritable projet de rupture rĂ©volutionnaire.

 

Source : Pierre Cours-Salies, A la prochaine
 De Mai 68 aux Gilets jaunes, Syllepse, 2019

Extrait publié sur le site Entre les lignes, entre les mots

 

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Pour aller plus loin :

VidĂ©o : A la prochaine ! de mai 68 aux gilets jaunes, la soirĂ©e en vidĂ©o, dĂ©bat diffusĂ© sur le site de l’Institut tribune socialiste et enregistrĂ© le 16 janvier 2020

VidĂ©o : Pierre Cours-Salies, Le pouvoir Ă©tait il Ă  prendre en Mai 68 ?, dĂ©bat mis en ligne sur le site du Maltais rouge le 9 mai 2018

Alain Bihr, Livre-dĂ©bat: « A la prochaine: De Mai 68 aux Gilets jaunes », publiĂ© sur le site A l’encontre le 24 dĂ©cembre 2019

BĂ©nedicte Goussault, A La Prochaine
, publiĂ© sur le site Cerises, la coopĂ©rative le 7 fĂ©vrier 2020 

Pierre Cours-Salies, Esprit de suite et ouverture au prĂ©sent
, publiĂ© sur le site Cerises, la coopĂ©rative le 13 mars 2020  

Pierre Cours-Salies, Parmi les Gilets jaunes. Justice et respect, un beau livre, publiĂ© sur le site de la revue Contretemps le 13 fĂ©vrier 2020

Pierre Cours-Salies, France-dĂ©bat. Une mobilisation, la comprendre et l’aider Ă  gagner, publiĂ© sur le site A l’encontre le 6 fĂ©vrier 2020 

Pierre Cours-Salies, CFDT : les années 68, publié sur le site Syndicollectif le 17 février 2014

Pierre Cours-Salies, Autant dĂ©battre avec prĂ©cision !, publiĂ© sur le site Ensemble ! Montreuil le 15 mars 2016

Pierre Cours-Salies, Aguirre : l’Ă©mancipation pour se dĂ©barrasser du capitalisme, publiĂ© sur le site de l’Association autogestion le 9 octobre 2011

Pierre Cours-Salies, Au PCF, le dĂ©bat stratĂ©gique se poursuit…, publiĂ© sur le site Presse toi Ă  gauche ! le 17 mai 2016

Articles de Pierre Cours-Salies publiĂ©s sur le site des Communistes unitaires

Articles de Pierre Cours-Salies publiĂ©s sur le site de la revue Multitudes

Le blog de Pierre Cours-Salies sur Mediapart

Le blog de Pierre CS Montreuil sur le site d’Ensemble !




Source: Zones-subversives.com