Lâexpulsion du foyer “Sövkipeu” a Ă©tĂ© menĂ©e tambour battant avec un maximum de forces de police et un minimum dâhumanitĂ©.
Jeudi 11 juillet dĂšs 5 heures du matin un impressionnant dispositif policier se met en place autour du foyer rĂ©quisitionnĂ© depuis avril par le collectif Sövkipeu . Le quartier est bouclĂ© par des barriĂšres mĂ©talliques et des bandes tricolores, des policiers en armes “sĂ©curisent” le pĂ©rimĂštre. Un passant ignorant se demande sâil sâagit dâun opĂ©ration antiterroriste, une autre voudrait rejoindre la rue David, “il faut contourner” lui rĂ©pond calmement un policier. Mine navrĂ©, un troisiĂšme trouvera tout de mĂȘme que “câest dĂ©gueulasse”.
Lâintrusion policiĂšre a eu lieu au petit matin avant lâheure lĂ©gale, le bĂ©lier a dĂ©foncĂ© la porte dâentrĂ©e, les chambres ont Ă©tĂ© brusquement vidĂ©es de leurs occupants, toutes ces familles de rĂ©fugiĂ©s et de demandeurs dâasile doivent descendre rapidement, rassembler leurs affaires personnelles et embarquer dans des voitures pour ĂȘtre dĂ©placĂ©es vers lâarmĂ©e du salut avant dâĂȘtre transfĂ©rĂ©es Ă Charleville, Ă ChĂąlons, Ă Epernay, Ă Troyes. Ils ne peuvent garder que le strict minimum, le reste sera embarquĂ© dans un camion de dĂ©mĂ©nagement. On aperçoit quelques visages connus aux traits marquĂ©s par la fatigue, la peur ou le tristesse. Le responsable de cette opĂ©ration sâefforce dâapaiser les rĂ©fugiĂ©s, il va mĂȘme jusquâĂ mettre la main Ă la pĂąte en portant quelques sacs. Le camion de dĂ©mĂ©nagement sâengage dans la rue de Cernay qui nâa jamais aussi bien portĂ© son nom. Un fonctionnaire de police, dĂ©gage la barriĂšre pour la manĆuvre du camion. Il est un peu gĂȘnĂ© par son flashball en bandouliĂšre, le camion passe enfin, la barriĂšre est remise en place et le policier municipal reprend fiĂšrement la pose.
Aux alentours de 8 heures lâexpulsion sâachĂšve. Les bĂ©nĂ©voles demandent encore un entretien avec un responsable, lâofficier de policier qui dirige lâopĂ©ration contacte le jeune cadre prĂ©fectoral. Nous pouvons enfin glaner quelques informations et intercĂ©der pour quâun rĂ©fugiĂ© puisse accĂ©der Ă lâimmeuble afin de rĂ©cupĂ©rer ses papiers. Mais tout a Ă©tĂ© vidĂ©, il faut suivre le camion.
A lâarmĂ©e du salut les expulsĂ©s doivent trier leurs affaires. Les hĂŽtels imposent une rĂšgle : une seule valise ou un sac de voyage pas plus par personne. On est maintenu Ă lâextĂ©rieur de ce lieu dâaccueil et priĂ© instamment de repasser derriĂšre les grilles “parce quâil y a dĂ©jĂ assez de monde comme ça” dĂ©clare un. MĂȘme la journaliste de lâUnion sera assez offusquĂ©e de ces pratiques. On restera sur place jusquâĂ 14 heures avant les derniers dĂ©parts en voiture vers les villes voisines et la gare de Reims. Moments difficiles, accolades, embrassades, larmes, adieux et promesses de se revoir, de ne pas se lĂącher. Plusieurs mois dâentraide et des liens profonds qui sâachĂšvent ainsi , une fois encore, sur un trottoir. Lieu finalement symbolique puisque nombre de ces personnes hĂ©bergĂ©es avaient Ă©tĂ© rencontrĂ©es dans les rues, les parcs, les halls de gare et tous ces lieux oĂč lâon est censĂ©s ne pas “exister” rĂ©ellement.
On a achetĂ© en vitesse du pain et quelques viennoiseries. D. et M. font des aller-retours pour offrir aux bĂ©nĂ©voles un cafĂ©. Eux, au moins, ont compris la valeur “dâaccueil” inscrite sur la façade de lâarmĂ©e du salut. La direction de cet Ă©tablissement devrait faire le trottoir un peu plus souvent afin de lire et mĂ©diter ce message.:Nous devons encore attendre le retour dâune famille embarquĂ©e au poste de police pour un contrĂŽle de situation, contacter les rĂ©fugiĂ©s qui nâĂ©taient pas au foyer et qui ont par consĂ©quent tout perdu, papiers dâidentitĂ© compris, organiser un garde-meuble pour les bagages “superflus”. Par ailleurs de nouveaux arrivants demandent oĂč dormir, il faudra installer une nouvelle tente sur le terrain de foot voisin.
Bilan de lâopĂ©ration : lâhĂ©bergement des demandeurs dâasile est enfin appliquĂ©. Avec plusieurs mois de retard lâEtat applique la loi, rien de plus . On peut se demander pourquoi sont-ils tous transfĂ©rĂ©s dans dâautres villes ? Les familles, les enfants ou adolescents scolarisĂ©s devront recommencer Ă zĂ©ro, tisser dâautres liens… ;stratĂ©gie dâusure ou saturation du dispositif dâaccueil ? Ce foyer vacant auquel le collectif avait restituĂ© sa fonction premiĂšre sera donc rendu Ă ses propriĂ©taires et remis sur le marchĂ© de la spĂ©culation immobiliĂšre. Il avait sans doute Ă©galement le dĂ©faut dâĂȘtre trop implantĂ© dans le cĆur de la ville, trop de visibilitĂ© “couvrez cette misĂšre que je ne saurais voir” Les tartufes de la mairie et du foyer rĂ©mois vont pouvoir reprendre leurs petites affaires, poursuivre lâobsessionnel ouvrage de technicien de surface en recouvrant tout ce qui peut heurter le regard des nantis et des bien-pensants. Grilles mĂ©talliques et dalles de bĂ©ton cirĂ©, terrasses chics de bar Ă vins fins dĂ©licatement ombragĂ©es par des bambous jaunĂątres emprisonnĂ©s dans des bacs dâun gris sale. ApprĂ©cier la vie qui se dĂ©roule, simple et tranquille, cultiver lâĂ©lĂ©gance et jouir de la tranquillitĂ© des gens de biens en contemplant le ciel sans nuages, les squares sans enfants et les volets clos des immeubles vides.
Source: Reimsmediaslibres.info