21 Décembre 2020
Vendredi 18 dĂ©cembre, ce grotesque organisme officiel supranational du nom de Cour Internationale de Justice, a Ă©mis une sentence par laquelle il sâattribue la compĂ©tence pour intervenir, Ă©valuer et rĂ©soudre tout ce qui concerne la dispute sur les territoires aujourdâhui sous contrĂŽle de lâĂtat guyanien, et que lâĂtat vĂ©nĂ©zuĂ©lien rĂ©clame, allĂ©guant quâil en a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©. Cette dĂ©cision de la CIJ – dont lâintervention avait Ă©tĂ© demandĂ©e par cette autre horreur supranationale quâest lâONU avec son SecrĂ©tariat GĂ©nĂ©ral- remet sur le devant de la scĂšne le sujet, trĂšs prisĂ© par les pouvoirs Ă©tatiques car il leur sert de rideau de fumĂ©e, gĂ©nĂ©ralement trĂšs efficace, pour occulter les problĂšmes dont souffre les sociĂ©tĂ©s quâils oppriment (et dans la conjoncture actuelle, ils sont nombreux et gravissimes !). La sentence tombe donc Ă point nommĂ© pour rĂ©veiller des dĂ©lires patriotiques et nationalistes, toujours Ă la mesure des intĂ©rĂȘts du pouvoir oppresseur de lâĂtat et du Capital.
Dans ces circonstances, il faudrait sâinterroger sur la possibilitĂ© pour lâanarchisme de se positionner prĂ©cisĂ©ment, dans cette affaire en particulier, au-delĂ des annonces gĂ©nĂ©rales antiĂ©tatiques dĂ©coulant des principes de lâidĂ©al anarchiste. Nous rĂ©pondons par lâaffirmative et, comme tout le cirque sur la spoliation du territoire dâEsequipo revient rĂ©guliĂšrement sur le devant de la scĂšne politique vĂ©nĂ©zuĂ©lienne, il y a longtemps que nous avons fermement rendu publique notre position Ă ce sujet dans les pages de El Libertario. Maintenant que le sujet est remis sur le tapis, nous reprenons notre dĂ©claration [divulguĂ©e dans El Libertario n° 76, Caracas, septembre-octobre 2015] Ă laquelle nous nâavons apportĂ© aucune modification car, Ă notre sens, elle garde toute sa force et exprime clairement ce que nous voulons dire aujourdâhui.
En ce qui concerne notre position sur la rĂ©clamation posĂ©e Ă nouveau par lâĂtat vĂ©nĂ©zuĂ©lien sur des territoires actuellement sous le contrĂŽle de lâĂtat guyanien, nous exposerons les points suivants :
1.- Nous, les anarchistes, pour de nombreuses raisons et de par lâexpĂ©rience de lâHistoire, avons toujours Ă©tĂ© soupçonneux et profondĂ©ment critiques face Ă toute initiative par laquelle un Ătat se pose en porte-parole unique, reprĂ©sentant indiscutable et acteur exclusif au nom de la sociĂ©tĂ© sur laquelle il sâest imposĂ© sous des prĂ©textes tels que “la souverainetĂ© nationale”, “les intĂ©rĂȘts sacrĂ©s de la patrie”, “la sauvegarde du territoire”, “la dĂ©fense de lâagression extĂ©rieure” ou autre du mĂȘme genre ; Ă savoir, suffisamment abstraits pour servir de joker pour ce qui lâintĂ©rĂȘt suprĂȘme de lâĂtat : imposer et consolider sa domination sur la collectivitĂ©. Ce genre de manĆuvres avec les critiques cohĂ©rentes en rĂ©ponse de la part des anarchistes, se retrouve dans de nombreuses situations et encore aujourdâhui, de façon analogue sur divers plans, entre les gouvernements du Guyana et du Venezuela.
2.- En tant quâanarchistes, nous estimons que câest lâoccupation, lâusage et la rĂ©sidence sur un territoire par un collectif donnĂ© qui fonde sans aucun doute son droit, trĂšs supĂ©rieur Ă celui que voudraient lui imposer les lois, les pactes et les arrangements dont se valent les Ătats et le Capital pour sâattribuer des pouvoirs incontestables sur ces espaces.
3.- Au vu de tout cela, nous considĂ©rons que, par-dessus les arguments juridico-formels et juridico-historiques brandis par lâĂtat vĂ©nĂ©zuĂ©lien dans son argumentaire et par-dessus la rĂ©plique en des termes similaires de lâĂtat guyanien, la dĂ©cision sur la condition politique de lâespace qui va de la rive ouest du fleuve Esequibo Ă la frontiĂšre actuelle, revient Ă qui y habite. Rappelons que jusquâau milieu du XIX siĂšcle, il Ă©tait faiblement peuplĂ©, par des groupes indigĂšnes hors de la portĂ©e et du contrĂŽle du pouvoir Ă©tatique – que ce soit lâancienne Couronne espagnole ou la toute nouvelle RĂ©publique vĂ©nĂ©zuĂ©lienne ou le tout nouveau venu Empire britannique-. Puis la population sâest accrue sous lâeffet du modĂšle colonial imposĂ© par les Anglais, avec importation de la main dâĆuvre africaine et hindoue, pour arriver Ă une collectivitĂ© estimĂ©e aujourdâhui Ă 160 ou 170 000 personnes Ă©tablies de façon permanente, de langue anglaise, mĂȘme si le centre et le sud ne sont encore guĂšre occupĂ©s que par des foyers indigĂšnes.
4.- MĂȘme si cela dĂ©range ou si on le tait de ce cĂŽtĂ©-ci de la frontiĂšre, ni lâĂtat ni la sociĂ©tĂ© vĂ©nĂ©zuĂ©lienne nâont jamais eu de prĂ©sence dans la “zone qui fait lâobjet de la rĂ©clamation”, câest pourquoi lâargument de la spoliation nâa quâune valeur juridico-formelle. Si on remonte Ă la pĂ©riode coloniale et au XIX siĂšcle, rien nâindique une colonisation, ensuite favorisĂ©e par lâexpansion anglaise, câest pourquoi il nây a pas dans la toponymie, et encore moins dans la tradition culturelle, de traces significatives de “caractĂšre vĂ©nĂ©zuĂ©lien”. Par ailleurs, cet Ătat qui, depuis les annĂ©es 60, remet la question sur le tapis quand il a intĂ©rĂȘt Ă rĂ©veiller le patriotisme, nâa jamais favorisĂ© une stratĂ©gie de rapprochement avec le territoire dâEsequibo et sa population. Historiquement, cette distance sâest manifestĂ©e lors de lâinsurrection [indĂ©pendantiste] du Rupununi, en janvier 1969 ; tandis quâune autre preuve, sans doute plus Ă©clatante de lâinconstance des actions politiques et diplomatiques de lâĂtat vĂ©nĂ©zuĂ©lien a Ă©tĂ© quand la dĂ©cision du premier gouvernement de Rafael Caldera de geler pendant 12 ans la rĂ©clamation territoriale par la signature du Protocole Puerto España (1970).
5.- Au Venezuela il ne fait aucun doute que cette clameur patriotique rĂ©pond autant Ă lâurgence pour le gouvernement de trouver de lâoxygĂšne avant de futurs rendez-vous Ă©lectoraux (lĂ©gislatives de dĂ©cembre et possible rĂ©fĂ©rendum de rĂ©vocation du PrĂ©sident en 2016), quâĂ la nĂ©cessitĂ© de fuite en avant, Ă©tant donnĂ©e la terrible incapacitĂ© de faire face Ă la crise socio-Ă©conomique dans laquelle notre pays esr plongĂ© aprĂšs 16 ans de chavisme-madurisme. Celui qui lĂšve aujourdâhui le drapeau nationaliste est le mĂȘme [NicolĂĄs Maduro] qui occupait de 2006 Ă 2013 le MinistĂšre des Affaires ĂtrangĂšres. A lâĂ©poque, la belligĂ©rance dont il fait preuve Ă prĂ©sent sur ce sujet, a brillĂ© par son absence. De fait, la Chancellerie bolivarienne devait ensuite continuer de nĂ©gliger lâaffaire, elle ne sâest donc pas empressĂ©e de solliciter Ă lâONU la dĂ©signation dâun nouveau Monsieur Bons Offices, ou MĂ©diateur, dans la controverse, au moment le titulaire de ce poste est dĂ©cĂ©dĂ©, en avril 2014, la demande nâa finalement Ă©tĂ© faite quâen juillet 2015.
6.- On ne doit en aucune façon comprendre ce que nous venons de dĂ©clarer, comme une reconnaissance des “droits” de lâĂtat guyanien sur ce territoire. Nous sommes anarchistes et, en tant que tel.le.s, nous remettons en question et contestons le “droit” de tout Ătat sur un territoire, que ce soit le Guyana, le Venezuela, le Vatican ou la CorĂ©e du Nord. Ce que nous revendiquons, dans le cas prĂ©sent comme dans les autres, câest ce que nous avons exposĂ© en point 2 ; et prĂ©cisons que le chemin que nous proposons nâest pas la voie Ă©lectorale, avec des rĂšgles de rĂ©fĂ©rendum imposĂ©es par des gouvernements ou des organismes internationaux, juste pour choisir le maĂźtre Ă©tatique qui commandera. Pour cette rĂ©gion comme pour les autres sous contrĂŽle des Ătats dans cette dispute, nous proposons lâorganisation autogestionnaire et fĂ©dĂ©rĂ©e, fondĂ©e sur le libre-accord et lâentraide, hors tout assujettissement Ă toute sorte de pouvoir hiĂ©rarchique autoritaire. Nous estimons que ce nâest quâavec une telle organisation âau Guyana, au Venezuela et partout- quâil y aura une chance que les conflits territoriaux internationaux disparaissent.
7.- Comme dans des cas similaires oĂč la “cause nationale” est invoquĂ©e, les seuls qui ont Ă gagner Ă ces querelles sont les Ătats et leurs associĂ©s capitalistes, tandis que les peuples sont toujours perdants. Les remous des deux cĂŽtĂ©s tendent Ă cautionner les bĂ©nĂ©fices quâune petite minoritĂ© obtiendrait de lâextraction des ressources naturelles de la “zone objet de rĂ©clamation” ainsi que des zones maritimes correspondantes, et sert en outre Ă obtenir, en interne, des bĂ©nĂ©fices politiques et Ă©lectoraux, en agitant lâĂ©tendard dâune xĂ©nophobie opportuniste qui hurle contre lâadversaire Ă©tranger occasionnel, tout en acceptant dans le mĂȘme temps que dâautres intĂ©rĂȘts extĂ©rieurs du mĂȘme acabit, soient mis Ă profit Ă loisir par lâun et/ou lâautre pays. Un exemple parmi tant dâautres serait le caquetage depuis Miraflores [le palais prĂ©sidentiel de Caracas] contre Exxon-Mobil tandis que la lune de miel avec Chevron se poursuit ; pour ne pas parler des gouvernements de Cuba et de la Chine qui tirent Ă eux tout ce quâils peuvent sans faire de diffĂ©rence entre Caracas et Georgetown.
8.- Cela a beau paraĂźtre Ă©vident, il faut le dire avec force : nous refusons sans ambages la stratĂ©gie des gouvernements des deux cĂŽtĂ©s de la frontiĂšre (et des intĂ©rĂȘts qui pourraient les pousser), consistant Ă provoquer une escalade qui dĂ©gĂ©nĂšrera en achats massifs dâarmement, Ă la militarisation et, pire encore, depuis des escarmouches Ă la frontiĂšre jusquâĂ une guerre ouverte.
Source: Monde-libertaire.fr