Depuis quelques jours, un âdocumentaireâ provoque des Ă©mules sur les rĂ©seaux sociaux et hĂ©risse le poil des journalistes. En effet, âHoldUpâ, se prĂ©sente comme une sĂ©rie de rĂ©vĂ©lations au sujet de lâĂ©pidĂ©mie de COVID-19. TrĂšs attendue, la production avait rĂ©coltĂ© plusieurs centaines de milliers dâeuros en financement participatif.
Si on devait pitcher le film, on dirait quâen rĂ©alitĂ©, le COVID est un virus fabriquĂ© en laboratoire par les Ă©lites (Bill Gates et Rockfeller en tĂȘte) pour implanter des cryptomonnaies fonctionnant grĂące Ă la 5G dans nos corps par le biais des vaccins. Tout serait prĂ©vu pour crĂ©er âthe great resetâ, Ă savoir un nouveau gouvernement mondial dont nous serions tous esclaves (rien que ça).
De nombreuses rĂ©dactions ont commencĂ© Ă sortir des articles de fact-checking pour dĂ©monter les contre-vĂ©ritĂ©s prĂ©sentĂ©es dans le film (LibĂ©ration, Le Huffpost, France Info, Le Parisien, Le Monde). Au Poing, on sâinterroge surtout sur la construction du discours tenu par le film et ce quâil veut dire en creux. Qui sont les gens qui ont contribuĂ© Ă rĂ©aliser ce film ? Comment le propos est amenĂ©, et pourquoi on pourrait y croire ? Et surtout, quel propos politique sous-tend le film ? Le Poing vous propose un voyage au pays des conspiâ aux fort penchants de droite.
Le casting du film : gratin de la complosphÚre française
Avant de sâintĂ©resser au propos tenu par le film, il parait important de dresser le pedigree des rĂ©alisateurs et des intervenants :derriĂšre la production on retrouve Nicolas RĂ©outsky, producteur du film Thanatos, lâultime passage, qui raconte lâexpĂ©rience de gens qui auraient vu lâau-delĂ . Son collĂšgue Pierre BarnĂ©rias, le rĂ©alisateur est lui aussi portĂ© sur le mysticisme : il a rĂ©alisĂ© M et le troisiĂšme secret, une âenquĂȘteâ sur des apparitions de la Vierge Marie.
Les deux comparses savent bien sâentourer : dans âHold-upâ, on retrouve une grande partie de la complosphĂšre française : des cathos tradis dâextrĂȘme-droite tendance Civitas, crĂ©ationnistes anti-avortement (Alexandra Henrion-Caude et ValĂ©rie Bugault, intervenante du mĂ©dia dâextrĂȘme droite TV LibertĂ©s), Silvano Trotta , un Youtubeur pro-Trump qui explique que la lune est artificielleâŠ-ou lâavocat souverainiste RĂ©gis de Castelnau, accusĂ© de complicitĂ© de trafic dâinfluence. On trouve Ă©galement dans ce film la nĂ©buleuse qui gravite autour de France Soir (ancien journal devenu une plateforme alimentĂ©e par des bĂ©nĂ©voles) et qui sont membres de lâassociation BonSens, un « lobby citoyen », fondĂ©e par lâex-dĂ©putĂ©e LREM Martine Wooner, trĂšs critique de la crise sanitaire et qui a relayĂ© beaucoup de fake-news sur lâĂ©pidĂ©mie de COVID-19.
Le film rassemble aussi une flopĂ©e de pseudo-experts aux CV entachĂ©s ou aux diplĂŽmes falsifiĂ©s, avec Christian Perronne en tĂȘte de file. Ce chef du service maladies infectieuses Ă lâhĂŽpital Raymond-PoincarĂ© de Garches, partisan de Didier Raoult et de son protocole sâest fait connaĂźtre pour ses thĂšses controversĂ©es sur lâorigine de la maladie de Lyme (qui serait due Ă une prolifĂ©ration cachĂ©e de tiques modifiĂ©es par un chercheur nazi).
On peut Ă©galement Ă©voquer Luc Montagnier, professeur et directeur du Centre de biologie molĂ©culaire et cellulaire au Queens College de lâuniversitĂ© de la ville New York, avant de prendre la direction dâun institut de recherche Ă lâuniversitĂ© Jiao-tong de Shanghai. Depuis la fin des annĂ©es 2000, il multiplie les prises de positions sans rapport avec les connaissances en biologie et en mĂ©decine et dĂ©pourvues de tout fondement scientifique. Il dĂ©fend notamment les thĂ©ories de la « mĂ©moire de lâeau » de Jacques Benveniste, de la tĂ©lĂ©portation de lâADN et prend position contre les vaccins.
En plus de ces mĂ©decins trĂšs contestĂ©s, plusieurs âexpertsâ de pseudo-sciences, tous septiques au sujet des vaccins : les naturopathes Miguel BarthĂ©lĂ©ry et Astrid Stuckelberger, lâhomĂ©opathe Edouard BroussalianâŠMention spĂ©ciale Ă Jean Dominique Michel, âanthropologueâ sans diplĂŽme, et Ă Nadine Touzeau, âprofilerâ qui pratique la Physiognomonie. Pour rappel, la physiognomonie connut son essor au XIXe siĂšcle, en particulier avec les thĂšses du criminologue Cesare Lombroso, portĂ©es dans son ouvrage LâHomme criminel (ce qui vaut encore Ă cette thĂ©orie dâĂȘtre parfois appelĂ©e le lombrosianisme). Cette thĂ©orie permit notamment lâavĂšnement dâune Ă©cole positiviste italienne, qui visait à « mettre la science au service de lâordre social ».Cette thĂ©orie a Ă©tĂ© profondĂ©ment critiquĂ©e par le corps mĂ©dical, des philosophes, ainsi que par des juristes. DĂ©nuĂ©e de mĂ©thodologie scientifique, cette pseudo-science est, dâaprĂšs ces critiques, un Ă©lĂ©ment du mouvement de racisme scientifique qui sâest dĂ©veloppĂ© au cours du XIXe siĂšcle, et du nazisme.
Seule âerreur de castingâ, Monique-Pinçon-Charlot, sociologue nettement marquĂ©e Ă gauche, qui sâest depuis dĂ©solidarisĂ©e des propos du film. (elle y tient quand mĂȘme un propos trĂšs problĂ©matique, nous y reviendrons).
Donc si on rĂ©sume, ce documentaire est un melting pot de cathos-tradi dâextrĂȘme droite anti-science, de pseudo-experts anti-vaccins et de complotistes aux idĂ©es elles aussi trĂšs Ă droite. On ne peut Ă ce stade que douter de la lĂ©gitimitĂ© du discours tenu par cette joyeuse clique, et pourtantâŠ
« Y a des choses fausses, mais y a aussi du vrai, non ? »
Cette phrase rĂ©currente sur les rĂ©seaux sociaux, sans le savoir, synthĂ©tise parfaitement la mĂ©canique du complotisme. Utiliser des choses vraies, ou vaguement vraies, des statistiques souvent sorties de leur contexte ou extrapolĂ©es, des figures plus ou moins reconnues (ministre, prix Nobel de telle ou telle discipline, ce qui nâa jamais empĂȘchĂ© quiconque de dire des Ăąneries), etc.
En effet, une partie des constats prĂ©sentĂ©s dans « Hold-Up » sont justes. Les dĂ©cisions des gouvernements sont parfois arbitraires, souvent incohĂ©rentes, et dĂ©coulent de la logique propre Ă ces dirigeants : celle dâadministrer le capitalisme, câest-Ă -dire de valoriser les propriĂ©taires et dâexploiter les travailleurs. DâoĂč lâautoritarisme et lâapparente incohĂ©rence qui, si on se donne la peine de lâanalyser de plus prĂšs, nâest pas si incohĂ©rente que ça. Il sâagit de la prĂ©servation illusoire de « lâĂ©conomie », perçue par nos dirigeants comme une abstraction sĂ©parĂ©e de la sociĂ©tĂ©.
On dirait parfois que les auteurs du documentaire, et les personnes quâils interrogent, redĂ©couvrent lâeau tiĂšde. Oui, les gouvernements mentent et dissimulent. Il suffit de regarder le passĂ© rĂ©cent pour sâen rendre compte : Lubrizol, la pollution de la Seine au plomb aprĂšs lâincendie de Notre-Dame, ou, un peu moins rĂ©cemment, les prĂ©tendues armes de destruction massive en Irak ou encore le nuage de Tchernobyl. A la fois pour maintenir lâordre, comme ils disent, se dĂ©fausser de leurs responsabilitĂ©s et Ă©chapper au discrĂ©dit, les dirigeants mentent, et mentent grossiĂšrement, dâautant plus Ă lâĂšre dâInternet et des rĂ©seaux sociaux oĂč tout est vĂ©rifiable. Dommage que certains dĂ©busquent ces mensonges pour aussitĂŽt nous resservir un discours trompeur, comme câest le cas ici.
Ce qui frappe immĂ©diatement au visionnage de ce documentaire prĂ©tendument iconoclaste, câest le manque de « fraĂźcheur », de nouveautĂ©, de la plupart des thĂ©ories quâil avance. Le mythe de lâefficacitĂ© de lâhydroxychloroquine, le faux scandale du Rivotril ou des tests PCR⊠Tous ces sujets mis sur le tapis depuis lâhiver dernier ont maintes fois Ă©tĂ© rigoureusement traitĂ©s par des spĂ©cialistes de ces questions. Mais dans le monde merveilleux des « faits alternatifs », si chers Ă Donald Trump, les voilĂ qui renaissent et prospĂšrent.
Le Poing nâayant pas vocation Ă faire du « dĂ©bunkage » mais de lâanalyse politique, nous nous contenterons de renvoyer le lecteur vers quelques sources, notamment des threads de Samuel Alexander, docteur en biologie bien connu (et jusque-lĂ apprĂ©ciĂ©) des Gilets jaunes pour ses recherches sur la dangerositĂ© des gaz lacrymogĂšnes.
Incohérences et révélations farfelues
MĂȘme sans grandes connaissances scientifiques, il est facile de comprendre Ă quel point les « rĂ©vĂ©lations » de ce documentaire sont au mieux farfelues, souvent dangereuses. Par exemple, lâune des preuves avancĂ©es pour expliquer que la pandĂ©mie actuelle a Ă©tĂ© fabriquĂ©e de toutes piĂšces, câest que plusieurs scientifiques et politiques avaient annoncĂ© par avance lâactuelle deuxiĂšme vague. « Hold-Up » sous-entend quâil sâagit donc dâune construction machiavĂ©lique, organisĂ©e depuis des annĂ©es, en sâappuyant notamment sur des simulations bĂąties pour lâOMS dans les annĂ©es 2000 pour se prĂ©parer Ă de futures Ă©pidĂ©mies (le gouvernement Français en avait en outre fait de mĂȘme, avant de liquider, pour des raisons budgĂ©taires, tous les Ă©lĂ©ments de son « plan pandĂ©mie »). Il suffisait pourtant de se repencher sur lâhistoire de la mal-nommĂ©e « grippe espagnole » du siĂšcle dernier pour comprendre quâune deuxiĂšme vague, et mĂȘme une troisiĂšme et une quatriĂšme, Ă©taient, sinon inĂ©luctables, au moins fort probables.
De maniĂšre surprenante, le documentaire aligne, contre le port du masque, une sĂ©rie dâarguments que ne renierait pas Sibeth Ndiaye, notamment sur leur mauvaise utilisation qui engendrerait de nouvelles contaminations, dâautant que beaucoup rĂ©utilisent des masques quâils auraient dĂ» jeter Ă la poubelle. Certes, mais au lieu dâen tirer la conclusion quâil ne faut donc pas porter le masque, les auteurs de « Hold-Up » pourraient plaider pour leur gratuitĂ©, afin de garantir quâils ne soient pas rĂ©utilisĂ©s, et pour une meilleure pĂ©dagogie sur la façon de les porter. Il est clair que les masques nâempĂȘchent pas la transmission du virus, mais, ajoutĂ©s Ă dâautres gestes-barriĂšres, ils permettent dâenrayer la diffusion de lâĂ©pidĂ©mie. Une utilisation raisonnĂ©e de cet outil est donc possible, en le cantonnant aux personnes symptomatiques et aux lieux publics fermĂ©s par exemple.
Le cas Raoult
TrĂšs prĂ©sent dans le documentaire, le cas du Professeur Raoult mĂ©rite quâon sây arrĂȘte. Ce dernier serait un homme dĂ©vouĂ© et hĂ©roĂŻque qui se battrait, quasiment seul, contre lâhorrible « Big Pharma ». Quand bien-mĂȘme il a fait sa carriĂšre entiĂšre grĂące Ă Big Pharma (notamment Sanofi) et a Ă©tĂ© et est toujours soutenu par une grande partie du monde politique, surtout de droite (Douste-Blazy, Muselier, EstrosiâŠ). Il a mĂȘme reçu la visite de Macron et lâapprobation, plus mesurĂ©e, de MĂ©lenchon. LâantisystĂšme logĂ©, nourri, choyĂ© au cĆur de celui-ci aurait donc un remĂšde miracle Ă sa portĂ©e. Etrangement, ce mĂ©dicament, utilisĂ© selon Raoult et ses aficionados par plus de la moitiĂ© de la planĂšte pour traiter le Covid-19, nâa aucune Ă©tude rigoureuse Ă prĂ©senter pour faire la preuve de son efficacitĂ©. Les seules qui sây risquent se trouvent dans des revues prĂ©datrices, oĂč il suffit dâaligner les biftons pour ĂȘtre publiĂ©.
Mais sans revenir sur la controverse mĂ©dicale en elle-mĂȘme, un Ă©lĂ©ment du discours de Raoult et de ses groupies interroge lâesprit. Dâun cĂŽtĂ©, le druide marseillais affirme que le Covid est une « grippette » sans grand danger, quâil ne sert Ă rien dâen faire tout un foin. Elle passera dâelle-mĂȘme. En un sens, on pourrait lui donner raison : hormis dans ses formes graves, le Covid-19 se traite avec du doliprane et quelques jours de repos (bien que les sĂ©quelles quâil laisse soient encore en partie inconnues). Mais, dâun autre cĂŽtĂ©, Raoult explique que sâil nâa pas conduit de protocole en double-aveugle rigoureux pour dĂ©montrer lâefficacitĂ© de sa potion, câest quâen pĂ©riode dâĂ©pidĂ©mie, on nâa pas le temps dâattendre. Des gens meurent, il faut agir ! Curieux, non ? La grippette nâest pas assez grave pour sâinquiĂ©ter, mais trop grave pour respecter les formes et les traditions de lâĂ©pidĂ©miologie. Le documentaire sâenfonce lui aussi dans ce mĂȘme double-discours : lâĂ©pidĂ©mie est Ă la fois bĂ©nigne, voire imaginaire, et en mĂȘme temps un nouvel holocauste, rien que ça !
Avec la chloroquine, « Hold-Up » ouvre une porte dangereuse, en partant dâun Ă©lĂ©ment bien rĂ©el : les Ă©tudes mĂ©dicales, mĂȘme dans les revues reconnues, sont de plus en plus sujettes Ă caution, et depuis longtemps critiquĂ©es par des consciences de la profession, comme en atteste lâĂ©pisode rocambolesque de lâĂ©tude du Lancet, Ă©voquĂ©e avec gourmandise dans le film. Mais la rĂ©ponse apportĂ©e par le documentaire, fidĂšle Ă celle de Raoult, consiste Ă sâaffranchir de toute rigueur et de nier lâintĂ©rĂȘt des protocoles en double-aveugle ou des relectures par des pairs pour sâen remettre Ă lâautoritĂ© de tel ou tel, aux sentiments et aux sondages (dont Raoult raffole).
LâĂ©mergence de personnages comme Raoult, dans une pĂ©riode dâincertitude et de chaos, est de nature Ă dĂ©stabiliser durablement nos sociĂ©tĂ©s, et le documentaire « Hold-Up » en est une consĂ©quence directe. Celui-ci a offert une histoire alternative de lâĂ©pidĂ©mie, et de nombreuses personnes sây sont engouffrĂ©es, car le rĂ©cit officiel Ă©tait trop incertain et trop dĂ©primant. Mieux vaut un bon complot machiavĂ©lique quâun enchevĂȘtrement de dĂ©cisions plus ou moins autoritaires doublĂ©es souvent dâune incompĂ©tence crasse.
La responsabilitĂ© des âĂ©litesâ
Il nous faut ajouter que les mal-nommĂ©es « Ă©lites », en pleine « crĂ©tinisation » collective selon le mot dâEmmanuel Todd, nâaident pas beaucoup Ă diffuser des positions claires et nuancĂ©es. On lâa dit, la classe dominante est lĂ au titre dâun projet de sociĂ©tĂ© particulier, fondĂ© sur la propriĂ©tĂ© privĂ©e des moyens de production et lâexploitation de lâhomme et de la nature par une poignĂ©e de profiteurs. Ces « Ă©tablis » (plus que des Ă©lites, les gouvernants forment un « Ă©tablissement », câest-Ă -dire quâils ont acquis des positions dans lâappareil dâEtat, productif et mĂ©diatique et exercent leur pouvoir depuis elles) ont en outre la sale manie dâĂȘtre eux-mĂȘmes complotistes. Il nâest pas rare de voir, par exemple, un fondĂ© de pouvoir affirmer dans la presse que, derriĂšre telle ou telle mobilisation sociale (comme les Gilets jaunes), câest la main du gouvernement russe, ou dâun obscur groupe dâinfluence, qui agit.
Mais au-delĂ de ces dĂ©lires frĂ©quemment diffusĂ©s Ă des heures de grande Ă©coute, le pouvoir le plus important aux mains de ces Ă©tablis, notamment journalistiques, rĂ©side dans leur capacitĂ© Ă invisibiliser des sujets (les violences policiĂšres, notamment dans les quartiers, les souffrances des personnels soignants et enseignants, etc.) pour ne servir que la soupe gouvernementale, en boucle et sans distance critique. La propagande gouvernementale est relayĂ©e sans ciller, mĂȘme quand les mensonges crĂšvent les yeux.
Quant aux journalistes dâinvestigation, qui travaillent par exemple sur les liens entre les pouvoirs et lâindustrie pharmaceutique, ils sont peu audibles. De fait, les grands mĂ©dias laissent un vide dans le dĂ©bat et crĂ©ent le malaise. Quelque chose nâest pas dit, de toute Ă©vidence. La nature ayant horreur du vide, câest lĂ que surgissent les opportunistes.
Les mĂ©dias mainstream sont dâailleurs largement responsables de lâĂ©mergence de personnages comme Didier Raoult, Ă qui ils accordent Ă©normĂ©ment de temps dâantenne en les plaçant gĂ©nĂ©ralement face Ă des « contradicteurs » hors de leur spĂ©cialitĂ©, incapables de leur donner la rĂ©plique. Dans une seule logique : faire de lâaudience, quitte Ă contribuer Ă diffuser des discours dangereux et mensongers.
Il est enfin important de rappeler que le dĂ©bat mĂ©dical et scientifique ne peut pas ĂȘtre menĂ© Ă la schlague, et il est normal que des citoyens fassent entendre leurs prĂ©occupations sur tel ou tel sujet. Il ne sert Ă rien dây rĂ©pondre de maniĂšre dogmatique. Un des principaux problĂšmes du moment rĂ©side dans la difficultĂ© Ă mener un dĂ©bat audible, nuancĂ©, qui accepte des opinions discordantes.
Crédit photo : Complots faciles pour briller en société (Facebook)
âA qui profite le crime ?â Un discours qui penche bien Ă droite
DerriĂšre le propos critique envers les multinationales vĂ©reuses et les Etats autoritaires qui ne pensent quâĂ sâenrichir dans une mondialisation effrĂ©nĂ©e, on pourrait presque y trouver une analyse anticapitaliste. Mais celle ci est plus romantique que matĂ©rialiste, et se base sur des abstractions mĂ©taphysiques niant toute la complexitĂ© des systĂšmes de dominations (câest : Ă©lites contre les pauvres gens, le peuple Ă©clairĂ© contre une oligarchie corrompue). Et si on pousse lâanalyse du discours plus loin, on y retrouve tous les Ă©lĂ©ments centraux des thĂ©ories conspirationnistes dâextrĂȘme droite. Le raisonnement purement manichĂ©en se poursuit dans une opposition claire entre science et nature : selon le film, le virus a Ă©tĂ© crĂ©e par lâhomme -donc par la science-. Câest la nature qui nous a sauvĂ© du virus car il serait lui-mĂȘme devenu moins dangereux en mutant, se dĂ©barrassant des souches de malaria que lâinstitut pasteur lui aurait inoculĂ© (ouioui, tout Ă fait, on a plus quâĂ remercier le bon dieu de nous avoir sauvĂ© la mise).
MĂȘme chose pour la critique de la 5G ou du transhumanisme : ce nâest ni lâimpact environnemental que ces technologies pourraient avoir ou la question de qui possĂšde les moyens de productions qui gĂȘnent les intervenants du film (questions quâil faudrait pourtant se poser). La critique porte essentiellement sur une utilisation fantasmĂ©e de ces technologies qui seraient en rupture avec une Ă©thique religieuse. Ce discours anti-science rĂ©current dans lâextrĂȘme droite se double dâun autre aspect bien connu des conspi de la fachosphĂšre : le complot juif. En effet, Rockfeller et la CIA -citĂ©s comme acteurs du âgreat resetâ dans le film- sont des cibles qui reviennent souvent dans les thĂ©ories du complot dont la thĂšse est que les juifs sont une Ă©lite qui dominent le monde en secret. (On retrouve Ă©galement cette rhĂ©torique chez Soral, DieudonnĂ©, ou plus rĂ©cemment chez le rappeur Freeze Corleone que nous citions en introduction).
LĂ oĂč le bat blesse, câest quand des gens quâon pense ĂȘtre des alliĂ©s viennent donner du crĂ©dit Ă ces thĂšses en comparant le COVID Ă lâholocauste (Oui Monique, on ne sâen remet pas). Ce discours produit un double effet : une minimisation du gĂ©nocide juif au profit dâun autre, qui serait actuellement orchestrĂ© par nos Ă©lites (juives, du coup). Cet inversement des faits et des valeurs est au centre de la doctrine nĂ©gationniste et nĂ©o-nazie. Attention, nous ne disons pas ici que Monique Pinçot-Charlot est une nĂ©o-nazie, mais cette assertion dans un film complotiste produit un discours quâon peut clairement assimiler Ă de lâantisĂ©mitisme voilĂ©.
Ne manquait à ça que des affabulations sur la pĂ©dophilie pour que le film rĂ©ussisse Ă caser toute les fantasmes qui nourrissent les thĂ©ories complotistes dâextrĂȘme-droite (les rĂ©seaux pĂ©do-satanistes, câest bien ça dont on parle ici).Quand une intervenante parle des effets nĂ©fastes du confinement elle Ă©voque des chiffres surestimĂ©s sur les viols dâenfants en en Ă©voquant â12 000 par joursâ, soit prĂšs de 4 millions par ans. Or, les dĂ©comptes rĂ©alisĂ©s par des associations de protection de lâenfance parlent de 160 000 viols par an, bien que ces chiffres soient difficiles Ă Ă©tablir.
Cette lubie de lâextrĂȘme droite pour la pĂ©do-criminalitĂ© se retrouve rĂ©cemment dans les thĂ©ories et le mouvement Qanon. NĂ© aux USA et importĂ© en Europe pendant la crise du coronavirus, la thĂšse de cette thĂ©orie du complot serait que Donald Trump serait actuellement le dernier rempart contre un immense rĂ©seau pĂ©do-sataniste contrĂŽlĂ© par la CIA et dâautres magnats de la finance et des nouvelles technologies (avec un fort relent de racisme et dâantisĂ©mitisme). Et Justement, Donald Trump est Ă©voquĂ© dans le film comme le seul qui nâadhĂ©rerait pas Ă la grande machination duâGreat resetâ. Bingo, ou plutĂŽt⊠kamoulox.
En clair, ce film regorge de tous les Ă©lĂ©ments constituant la matrice de toutes les thĂ©ories du complot dâextrĂȘme droite, Mais lĂ oĂč il fait fort, câest que ces Ă©lĂ©ments sont savamment distillĂ©s au milieu de constats que partage tout un chacunPas Ă©tonnant, quand on se rappelle le pedigree des intervenants. Encore moins Ă©tonnant de voir lâAction française (groupuscule dâextrĂȘme droite royaliste et antisĂ©mite) partager la promo du film sur son site internet.
Site internet du groupuscule royaliste Action française, qui relaie la tribune de promo du film, parue dans France soir.
Un anticapitalisme qui sâignore
Et pourtant, parfois, sous le complotisme (qui trouve plus de confort Ă sâimaginer un monde aux prises avec une Ă©lite dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e pĂ©dosataniste que de concevoir lâexistence dâune bourgeoisie hors-sol qui pille et dĂ©truit la planĂšte pour son propre compte et sabre le champagne en guettant lâapocalypse), affleure un discours anticapitaliste qui sâignore. « Hold-Up » nâĂ©chappe pas Ă la rĂšgle, et sâil rĂ©invente rĂ©guliĂšrement lâeau tiĂšde, il pourrait offrir Ă ses spectateurs quelques pistes plus fertiles que ses nombreux sous-entendus antisĂ©mites et la glorification de personnages loufoques.
Il pourrait par exemple signaler que le dĂ©sastre que nous traversons actuellement est le fruit de dizaines dâannĂ©es dâaustĂ©ritĂ©. Que si la France nâavait pas bradĂ© ses services publics, ses hĂŽpitaux pourraient mieux faire face aux vagues de malades. Que nous avons besoin de personnels, dans les CHU, les Ă©coles, les EHPAD, ainsi que de locaux et de moyens techniques pour affronter les Ă©preuves diverses. Que la logique du flux tendu, de la tarification Ă lâacte, du moins-disant social est mortifĂšre et proprement criminelle dans un pays aussi riche que le nĂŽtre.
« Big Pharma », si souvent citĂ©e, nâest pourtant traitĂ©e que sous un angle quasi-mystique. On nous parle dâun monstre sans nom et sans visage aux multiples tentacules, qui gouverne dĂ©jĂ le monde en sous-main⊠Non ! Les actionnaires de lâindustrie pharmaceutique ont des noms, des visages, des relais politiques. « Hold-Up » pourrait nous proposer de confisquer les brevets et les titres de propriĂ©tĂ© de ces grandes entreprises qui font de la maladie un business pour les mettre en gestion collective, plutĂŽt que dâouvrir des pistes absconses menant Ă des impasses. Rappelons quâun Trump, Ă©rigĂ© subtilement en hĂ©ros par le documentaire, a largement accru le pouvoir et les bĂ©nĂ©fices des grandes sociĂ©tĂ©s aux Etats-Unis en liquidant le peu dâimpĂŽts dont elles devaient sâacquitter et en supprimant toutes sortes de normes, notamment environnementales.
« Hold-Up » se vautre dâailleurs allĂ©grement dans le mythe du gouvernement mondial. Il serait absurde de nier quâil existe, dans certains secteurs de la bourgeoisie, le fantasme de transcender toutes les frontiĂšres (commerciales) et de soumettre lâensemble des travailleurs du monde Ă un joug unique, forme parfaitement aboutie de la division du travail. LâUnion EuropĂ©enne telle quâelle est bĂątie est une tentative allant dans cette direction. Or, il est clair que câest un mirage. Les identitĂ©s nationales et mĂȘme rĂ©gionales, les rĂ©sistances Ă©tatiques (parfois Ă©goĂŻstes) Ă lâuniformisation et les multiples rivalitĂ©s entre les pays y font nettement barrage. On ne gomme pas lâhistoire dâun trait de plume, et celle du capitalisme est aussi traversĂ©e de luttes intestines pour la domination. Malheureusement, la rĂ©ponse Ă ce genre de projets mortifĂšres est bien souvent nationaliste et autoritaire, quand elle devrait ĂȘtre internationaliste et crĂ©atrice de possibles.
VoilĂ une rĂ©ponse rationnelle aux dĂ©rives de nos dirigeants ! La dĂ©mocratie rĂ©elle, active et directe, et lâautogestion populaire de tous les aspects de nos vies.
Pour conclure, quâapporte un tel documentaire ? Que cherche-t-il Ă accomplir ? La rĂ©ponse est Ă©vidente : faire du fric, avant toute chose. Il y a un business de la fausse dissidence, ouvert par des Soral et des DieudonnĂ©. Ces flux de donnĂ©es, dâintervenants, de « on dit », nourrissent la confusion et, au fond, lâimpuissance.
Câest un film qui dĂ©sarme les gens, donc qui sert lâordre social en place dans une sorte de fatalisme oĂč tout est dĂ©jĂ jouĂ© dâavance.. Lâennemi Ă abattre est trop opaque, trop puissant, trop ancrĂ©. Pourtant, Ă partir de certains constats justes apportĂ©s par « Hold-Up », il serait tout Ă fait possible, par une approche matĂ©rialiste, dâouvrir une critique opĂ©rante. Cela nĂ©cessiterait Ă©videmment une analyse concrĂšte de la situation concrĂšte, qui passe par la recherche des causes, aussi bien fortuites que structurelles (surtout structurelles), de la crise actuelle.
Source: Iaata.info