Dans un contexte dâeffondrement des services publics, de dĂ©mantĂšlement du ministĂšre du travail et dâĂ©puisement de lâinspection du travail en particulier, la DGT nâa rien trouvĂ© de mieux que dâajouter une nouvelle couche de rĂ©pression et stigmatisation des agents.
Tout pour le GOSPLAN1
Certes la direction du ministĂšre nâen est pas Ă son coup dâessai et semble coutumiĂšre du fait. Matraquer les agents avec la politique du chiffre et les rendre responsables des suppressions de postes et donc de la dĂ©gradation de leurs conditions de travail nâest pas nouveau. Le courrier honteux de 12 pages du DGT envoyĂ© en mars dernier constitue un modĂšle du genre et venait acter une rupture totale entre une vision dâun service public au service des salariĂ©s dĂ©fendue tant bien que mal, et au dĂ©triment de leur santĂ©, par les agents de terrain ; et une administration obnubilĂ©e par une politique du chiffre qui nâa dâautre objectif in fine que de justifier leur existence, leur poste et lâinflation plĂ©thorique dâĂ©chelons hiĂ©rarchiques et de pilotes en tout genre qui sont apparus ces derniĂšres annĂ©es. Tout peut bien disparaĂźtre tant quâil y a des chiffres Ă faire remonter et des plans dâactions Ă valoriser. Peu importe le travail rĂ©el, peu importe lâĂ©tat des agents du moment que les objectifs du GOSPLAN sont atteints.
NĂ©anmoins devant le tollĂ© suscitĂ© par ce dernier courrier nous aurions pu penser que la DGT allait avoir la dĂ©cence de calmer le jeu pendant quelques temps. Mais non ! Toute honte bue notre administration va toujours plus loin, toujours plus fort. DĂ©sormais elle passe Ă la vitesse supĂ©rieure en ordonnant le fichage des agents. Dans un mail du 12 septembre 2019, Laurent Vilboeuf, DGT adjoint, a ainsi demandĂ© Ă lâensemble des DIRECCTE de « faire remonter la liste des agents qui ne saisissent pas leur activitĂ© dans Wikiât pour le 31 octobre 2019 au plus tard », ceci afin de « dĂ©terminer les mesures les plus appropriĂ©es ».
Câest donc bien dâun fichier nominatif des agents manquant dâenthousiasme dans le renseignement de WIKIâT dont il sâagit ; charge Ă lâencadrement intermĂ©diaire dâeffectuer le sale boulot. Nous allons voir que dans certains endroits câest avec zĂšle quâils sây sont appliquĂ©s.
Cachez cet avis que je ne saurais voir
Pour atteindre ses objectifs la direction du ministĂšre ne sâembarrasse mĂȘme plus de lĂ©galitĂ©. Depuis le dĂ©but de la mise en place de ce merveilleux outil, la DGT nâa eu de cesse de rĂ©pĂ©ter que WIKIâT ne devait pas servir Ă un fichage individuel Ă des fins dâĂ©valuations. Dans cette lignĂ©e la CNIL rappelait dans, sa dĂ©libĂ©ration du 6 octobre 2015, que WIKIâT ne pouvait, conformĂ©ment aux objectifs officiels affichĂ©s : « que le suivi de lâactivitĂ© sera fait sous formes de statistiques agrĂ©gĂ©es ne permettant pas dâidentifier les personnes et prend acte du fait que le prĂ©sent traitement nâa pas pour finalitĂ© le contrĂŽle individuel des agents ».
Nous nâavons jamais Ă©tĂ© dupes et les dĂ©rapages rĂ©currents de RUCS et RUDS sur le sujet tendaient dĂ©jĂ Ă se multiplier. DĂ©sormais le masque tombe et la DGT assume de sâasseoir sur les engagements pris devant les agents et surtout devant la CNIL.
Mais quâattendre dâune administration qui, encore rĂ©cemment, nâa pas Ă©tĂ© gĂȘnĂ©e de passer Ă son encadrement intermĂ©diaire des instructions afin de gonfler artificiellement les chiffres sur les PSI et faire plaisir Ă la ministre PENICAUD. A tel point que le CNIT a fini par recadrer de cette mascarade en avril dernier. La direction du ministĂšre ne respecte pas notre travail, ne respecte pas les agents, câest entendu. Devant de tels procĂ©dĂ©s, on se demande si elle se respecte elle-mĂȘme.
And the winner is�
Dans cette fuite en avant, il faut toujours quelques collaborateurs zélés pour se distinguer. RhÎne-Alpes a la palme.
LĂ oĂč la DGT ne demande, officiellement du moins, quâun fichage de ceux qui ne remplissent pas WIKIâT, certains hiĂ©rarques ont dĂ©cidĂ© de faire plus fort en appliquant des seuils de productivitĂ© obligatoires. Câest ainsi quâen Direccte RhĂŽne-Alpes, certains agents ne remplissant « pas assez » ne sont Ă©galement trouvĂ©s convoquĂ©s par leur hiĂ©rarchie locale. Sur la base de quels critĂšres ? Le pĂŽle T a phosphorĂ© et Ă©tabli une mĂ©diane de la moyenne (ou lâinverse), tous ceux qui se trouvent en dessous du seuil dĂ©crĂ©tĂ© ont Ă©tĂ© fichĂ©s. DĂšs lors que lâon Ă©tablit un seuil dâactivitĂ© basĂ© sur une productivitĂ© attendue, on peut ĂȘtre sĂ»r que celui-ci a vocation Ă augmenter les annĂ©es suivantes.
On le voit le dĂ©lire de la politique du chiffre est sans fin et nâa pas vocation Ă sâarrĂȘter de lui-mĂȘme si lâon nây rĂ©siste pas.
Nous appelons les agents à refuser collectivement ces convocations pré-disciplinaires.
Nous appelons tous les agents à sauvegarder le sens de leur travail en ne cédant pas à la pression de la politique du chiffre.
Nous appelons tous les agents victimes Ă saisir la CNIL.
Nous appelons lâencadrement intermĂ©diaire, sâils ont encore une peu de conscience professionnelle et de respect pour le service public, Ă refuser dâĂȘtre utilisĂ©s Ă une entreprise de dĂ©lation.
LâidĂ©ologie managĂ©riale comme seule boussole de la DGT
DerriĂšre cette fuite en avant politique qui peut paraĂźtre, Ă juste titre, complĂštement folle et destructrice pour les agents et au final de lâensemble des services, il y a bien une orientation qui est tout sauf originale. Vincent de Gaulejac, sociologue du travail, appelle cela la « nouvelle gouvernance managĂ©riale», soit un ensemble dâĂ©lĂ©ments interdĂ©pendants associĂ©s :
1) lâintensification et la flexibilitĂ© du travail â « faire plus, mieux et plus vite avec moins » ;
2) lâĂ©valuation â « la folie Ă©valuatrice » â fondĂ©e sur des dimensions quantitatives, sur des indicateurs chiffrĂ©s,
4) lâindividualisation,
5) lâinstrumentalisation des salariĂ©s/agents Ă des fins managĂ©riales⊠(et non Ă des fins de services rendus aux usagers dans le cas dâun service public)
Les consĂ©quences lors de leur mise en Ćuvre sont chaque fois les mĂȘmes : coĂ»ts sociaux, perte de sens, dĂ©gradation de lâamour du mĂ©tier, injonctions paradoxales, travail empĂȘchĂ©, culte de lâurgence, dĂ©ni de reconnaissance, statuts et identitĂ©s bousculĂ©s, etc. La plupart de ces causes agissent de maniĂšre interdĂ©pendante et coordonnĂ©e par des techniques de gestion, aussi bien dans le privĂ© que dans le public. Les effets sont donc cumulatifs et vĂ©cus le plus souvent sur le mode individuel, les collectifs Ă©tant progressivement dĂ©litĂ©s.
Plus particuliĂšrement les pratiques managĂ©riales se sont dĂ©veloppĂ©es autour de la politique du chiffre, de la « lean production », de la culture de la « haute performance » exclusivement centrĂ©e sur lâamĂ©lioration des rĂ©sultats financiers et qui ont envahi progressivement le service public.
Ainsi sitĂŽt que lâon Ă©largit le regard, non seulement la politique suivie par la DGT est tout sauf originale, mais elle ne fait que singer lâidĂ©ologie managĂ©riale qui sâest dâabord dĂ©veloppĂ© dans le secteur privĂ© pour lâappliquer au secteur public et le dĂ©truire de lâintĂ©rieur.
La politique du chiffre nâest donc pas un moyen de sauver nos services en justifiant de notre utilitĂ© auprĂšs dâune autoritĂ© politique qui se soucierait de nous en fonction du taux de remplissage de WIKIâT. Les suppressions de postes sont dĂ©jĂ actĂ©es jusquâen 2022 et seule la lutte peut les empĂȘcher.
En revanche la politique du chiffre est bien le cheval de Troie de lâidĂ©ologie managĂ©riale qui va dĂ©truire jusquâau sens mĂȘme de notre travail et tout idĂ©e de service public, au profit dâune valorisation permanente Ă la main dâun encadrement toujours plus dĂ©connectĂ© du travail du rĂ©el et centrĂ© sur lui-mĂȘme.
Pour notre part, nous continuons Ă penser, et Ă revendiquer, que nous nâavons pas besoin de plus de pilotes, de chefs, de sous-chefs pour effectuer des mĂ©dianes de la moyenne Ă destination des Ă©chelons du dessus, mais dâagents de terrain pour un rendre un service public de qualitĂ© au service des salariĂ©s.
Source: Cnt-tas.org