Mars 15, 2021
Par Le blog de anars 56
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Après l’obligation de l’école à partir de 3 ans, les drapeaux tricolores dans les classes et sa fameuse “école de la confiance” , l’évaluation des CP et des CE1 conduisant à un étiquetage précoce des élèves (1),  la hiérarchisation des matières dans le secondaire, privilégiant bien sûr l’étude des mathématiques (dénoncée entre autres par Saïd Benmouffok dans son ouvrage, Le fiasco Blanquer) et la volonté de transformer les directeurs d’école en véritable chefs d’entreprise afin de “développer les compétences managériales et les capacités de motivation des équipes” (sic), Jean-Michel Blanquer propose maintenant l’évaluation des élèves de petite section de maternelle, c’est à dire d’enfants âgés de 3 ans. (2).

Ce questionnaire sera proposé à 35 000 élèves dès la rentrée 2021/2022 et est expérimenté depuis le premier semestre 2021 (3). L’institutrice ou l’instituteur devra renseigner si l’enfant “coupe la parole” “souvent/parfois/très peu” ou encore s’il “réagit de façon excessive”, s’il “est agité”, s’il “range mal”, s’il “a des accès de colère”, etc… L’évaluation se fait donc sur des critères comportementaux, supposant ainsi qu’il y ait un “enfant modèle”. Il sera aussi demandé à l’enseignante ou à l’enseignant “d’évaluer” la situation familiale de l’enfant ainsi que l’implication de ses parents dans sa scolarité. Cette étude nominative suivra l’enfant durant tout son parcours scolaire. Les données de cette dernière seront traitées par la DEPP (4) (Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance), dirigée par Fabienne Rosenwald (5), précédemment cheffe du service statistique et prospectif du ministère de l’Agriculture. Des chiffres, du rendement, de la performance, de la productivité. Un pas de plus dans la réification de l’humain.

Le Ministère de l’Éducation nationale reste très flou sur la finalité et sur l’utilisation des résultats de l’évaluation. On retrouve bien dans cette démarche l’obsession de M. Blanquer pour les chiffres et les statistiques, lui qui en 2016 lorgnait déjà sur les systèmes canadiens de classification :

“(…) le Canada prête une attention particulière aux origines et au profil de chaque élève, avec un appareil statistique extrêmement développé qui permet par la suite d’apporter des réponses aux besoins spécifiques de chacun d’entre eux.” (6)

Cette forme d’étiquetage, de fichage n’est cependant pas inédite et a déjà été tentée en 2005 par un groupe d’experts de l’Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale). Ceux-ci avaient alors défini une nouvelle maladie, le “trouble des conduites” dont les symptômes étaient l’opposition, le mensonge ou même l’absence de timidité et en recommandaient un dépistage dès l’âge de trois ans “dans l’intérêt de l’enfant”, analysant ainsi des faits sociaux comme des symptômes maladifs. C’est dans ce contexte et à la même époque (2004), que le très décrié rapport Bénisti préconisait le dépistage d’enfants “déviants” dès 3 ans en précisant que la “déviance” pouvait se manifester dès les 1 an de l’enfant.

Une autre expérience de ce genre a été tentée en 1974 avec le système GAMIN (Gestion Automatisé de la Médecine Infantile) (7). Celui-ci visait, via l’informatique naissante, à créer un fichier médical informatisé pour chaque enfant, afin de repérer les populations “à risque”. Se basant sur des critères comportementaux avec des rubriques vagues telles que “troubles du comportement” ou “débilité mentale”, la fiche devait suivre l’individu sans limite de temps et être consultable par les services médicaux et sociaux. L’appréciation des différentes rubriques étant forcément subjective, puisque laissée au seul soin du médecin généraliste. Ce système a été vivement critiqué à l’époque par l’ordre des médecins et diverses organisations syndicales et a été finalement condamné en juin 1981 par la CNIL.

La tentation de l’étiquetage et du fichage de la population n’est donc pas nouvelle, mais M. Blanquer, sous d’autres atours, n’hésite pas à nous la remettre sur la table. Et dans ce contexte de destruction tout azimut des libertés du Peuple, cette mesure, ainsi que le fichage des individus pour leur orientation politique et religieuse et le SNU, est passée, “sous les radars” et a été noyée dans le maelström du champ de bataille de nos luttes. D’aucun y verrait une stratégie politique…

Alimentant un peu plus le “big data”, la récolte de ces informations serviront peut-être à élaborer des “politiques personnalisées”, à l’image des publicités ciblées via les informations recueillies en ligne, ou à nous mettre préventivement sous surveillance pour les moins dociles, les plus “déviants”. Ou peut-être nos Leaders cherchent-ils simplement à définir un “citoyen modèle”, comme en Chine ? Au fond, la moisson de nos informations personnelles ne servira qu’à mettre un peu plus en pratique la doctrine du prophète néolibérale, Walter Lippmann : sublimer les impulsions des masses et leur offrir, via un gouvernement d’experts, les “bons substituts” afin de “fondre l’opinion publique en une forme plus civilisée, plus achevée” (8).

Vous voyez, c’est pour notre bien.

Yann Lajoie

(6) BLANQUER, Jean-Michel, L’école de demain, p.19

(7) Voir VITALIS, André, Informatique, Pouvoir et Liberté. 1988, pp 100-105 et HOFFSAES, Colette, Esprit. Changer la Culture et la Politique. 1982, Num 5, pp 22-42 et NORVEZ, Alain, De la naissance à l’école, santé, mode de garde et préscolarité dans la France contemporaine, 1990,  pp. 256-263

(8) Walter Lippmann, A Preface to Politics. 1913, p98. Référence tirée du livre de Barbara Stiegler, Il Faut S’adapter, 2018, p. 33

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(Nous publions ce texte que beaucoup d’entre nous ont apprécié, même si tout le groupe ne se reconnaît pas intégralement dans le propos).
 




Source: Anars56.over-blog.org