Le Collectif CRBMU 35 (contre les RĂ©formes Blanquer de la Maternelle Ă lâUniversitĂ© dâIlle et Vilaine) qui a maintenant deux ans et demi dâexistence et rassemble toujours plus de 300 personnes, principalement enseignants en Ă©coles, collĂšges et lycĂ©e, mais aussi des parents dâĂ©lĂšves, a participĂ© Ă un rassemblement informel place de la Mairie Ă 15h, le mercredi 10.02.21 pour dĂ©noncer la restriction drastique de moyens allouĂ©s Ă nos Ă©tablissements scolaires pour lâannĂ©e scolaire prochaine, dans le cadre du budget de lâĂducation Nationale votĂ© Ă lâAssemblĂ©e Nationale.
Lâintervention immĂ©diate de la police pour disperser ce rassemblement pacifique est une illustration significative de la façon dont sont dĂ©tournĂ©es les contraventions pour “participation Ă une manifestation interdite” et pour “non-respect des rĂšgles de distanciation sociale”, portant ainsi atteinte aux principes de lâĂtat de droit.
Une erreur dans le budget
de lâĂducation Nationale ?
Quand – dans un contexte de rĂ©formes brutales imposĂ©es par Blanquer (parcoursup, rĂ©formes des lycĂ©es, du bac, “Ă©cole de la confiance”, etc, etc…) crĂ©ant toujours plus de concurrence, dâinĂ©galitĂ©s, de stress, de musĂšlement des enseignants, auquel se rajoute la situation de crise sanitaire aggravant encore les conditions des Ă©lĂšves – les enseignants du dĂ©partement ont pris connaissance des moyens allouĂ©s Ă leur Ă©tablissement lâannĂ©e scolaire prochaine, ils se sont demandĂ©s si il nây avait pas une erreur dans le budget de lâĂducation Nationale :
- 1883 suppressions de postes Ă lâĂ©chelle du pays, dont 105 Ă lâĂ©chelle de la Bretagne et jusquâĂ 15 dans un seul lycĂ©e rennais (!), alors que lâannĂ©e prochaine il y aura 43 500 Ă©lĂšves supplĂ©mentaire dans le systĂšme scolaire,
- recours contraint pour chaque Ă©tablissement Ă un volet croissant dâheures supplĂ©mentaires imposĂ©es aux enseignants,
- non-renouvellement subi de nombreux temps partiels,
- non-remplacement dans les Ă©coles des collĂšgues absents, etc, etc…
Le tout sachant que pour la deuxiĂšme annĂ©e consĂ©cutive, Blanquer a fait en sorte de ne pas dĂ©penser 200 millions dâeuros sur le budget prĂ©vu de lâĂducation nationale (soit lâĂ©quivalent de 4200 postes dâenseignants). Ces 200 millions dâeuros ayant Ă©tĂ© rendus Ă Bercy au lieu de maintenir et crĂ©er des postes !
Mais non, pas dâerreur : la destruction mĂ©thodique dâun service public est bien Ă lâĆuvre, les rĂ©formes ont Ă©tĂ© faites pour ça et elles sâappliquent.
ĂcĆurĂ©s par de telles mesures, des enseignants de plusieurs Ă©tablissements ont choisi de sâadresser Ă la population pour dĂ©noncer cette politique : ils ont confectionnĂ© des “silhouettes” symbolisant les postes supprimĂ©s dans leur Ă©tablissement, ont imprimĂ© des affiches dĂ©crivant la politique menĂ©e et se sont donnĂ© rendez-vous place de la Mairie de Rennes, le mercredi 10.02.21 Ă 15h, sous le soleil et sur fond de neige, en respect des distanciations sociales Ă©videmment…
Menace de 135⏠dâamende
sans fondement légal
Mais voilĂ , Ă peine arrivĂ©s sur place, dans une ambiance joyeuse et dĂ©terminĂ©e, la soixantaine dâenseignants a reçu la visite dâune quinzaine de policiers qui ont immĂ©diatement donnĂ© lâordre de se disperser sous peine dâune amende de 135⏠pour “participation Ă une manifestation non-dĂ©clarĂ©e” ou pour “non-respect des rĂšgles de distanciation sociale”. Câest lĂ que la loi nâest plus respectĂ©e : la confusion entre ces deux motifs de contravention est la base de ce quâon nomme en droit administratif dâune “voie de fait” (lorsque lâĂtat porte, de fait, une atteinte grave Ă une libertĂ© fondamentale du citoyen).
En effet, il nâexiste pas dâamende pour “participation Ă une manifestation non-dĂ©clarĂ©e”, mais pour “participation Ă une manifestation interdite”, or pour quâune manifestation soit interdite il faut quâil y ait un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral dâinterdiction, et que cet arrĂȘtĂ© se base lui-mĂȘme sur une dĂ©claration prĂ©alable en prĂ©fecture de la volontĂ© de faire le rassemblement qui aurait Ă©tĂ© refusĂ©e. Or ce rassemblement nâayant Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© par personne (il Ă©tait purement informel), il nâa pu ĂȘtre interdit, et mĂȘme si un arrĂȘtĂ© lâavait interdit, cet arrĂȘtĂ© aurait Ă©tĂ© entachĂ© dâirrĂ©gularitĂ©s et donc contester les amendes qui en auraient dĂ©coulĂ©es eĂ»t Ă©tĂ© chose facile…
En rĂ©alitĂ©, et contrairement au discours des policiers, lâamende qui aurait Ă©tĂ© infligĂ©e aurait portĂ©e non-pas sur la “participation Ă une manifestation interdite”, mais sur le “non-respect des rĂšgles de distanciation sociale”, prĂ©vue par le dĂ©cret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures de lâĂ©tat dâurgence sanitaire qui prĂ©voit que les rassemblements de plus de 6 personnes sur la voie publique sont interdits (en dehors des cas autorisĂ©s par la prĂ©fecture).
Mais dans la pratique, sur le moment du rassemblement, si les flics entrent dans un discours de type “vous ne respectez pas les rĂšgles de distanciation sociales”, ils nâont pas vraiment de prise sur la situation et sâexposent Ă ce que les manifestants se distancent, discutent individuellement de “Ă combien de mĂštres ils sont les uns des autres”, etc… et du coup ils nâarrivent pas Ă “disperser”. Tout repose sur “ce quâest un rassemblement” et quand il nây a pas de dĂ©claration officielle câest Ă lâadministration de prouver quâil y en a un…
Or, en disant dâemblĂ©e “ce rassemblement nâest pas dĂ©clarĂ©, dispersez-vous sinon amende” ils apparaissent comme ayant un discours beaucoup moins discutable et plus facilement menaçant, bien que nâayant pas de fondement lĂ©gal en soi : câest seulement quand ils recevront le courrier dans leur boite aux lettres que les manifestants verront le vrai motif “non-respect des rĂšgles de distanciation sociale” qui est un motif lĂ©gal (bien quâĂ©galement discutable et contestable selon les cas). Mais ce sera trop tard : le rassemblement aura Ă©tĂ© dispersĂ© sur la base de menaces nâayant pas de fondement lĂ©gal et les quelques-uns qui auront donnĂ© leur identitĂ© auraient une amende Ă contester.
VoilĂ comment sont dĂ©tournĂ©s ces deux dispositifs juridiques (rĂ©crimination de “participation Ă une manif interdite” et “non-respect des distanciations sociales”) pour permettre dans la pratique (alors quâen thĂ©orie rien ne lâautorise) le genre de situation Ă laquelle on a assistĂ© : lâapplication Ă des individus de consĂ©quences pĂ©nales dĂ©coulant de leur participation Ă un rassemblement collectif que seule la police estime, alors que dans les faits il est beaucoup plus difficile de dire qui participe Ă un rassemblement ou pas, et donc si ce rassemblement existe bel et bien, ou non.
La police dénit
notre droit Ă manifester
Bien sĂ»r, tout est plus simple si on a lâaccord de la prĂ©fecture, mais en passant systĂ©matiquement par la demande dâautorisation, on avalise le fait que, dans la pratique, manifester nâest plus un droit en France, câest seulement quelque chose qui peut ĂȘtre autorisĂ© par la prĂ©fecture. Alors quâen thĂ©orie, les lois et les conventions internationales disposent que manifester est un droit en France, quâon ne peut ĂȘtre poursuivi pour sâĂȘtre seulement rassemblĂ© Ă un endroit Ă un moment…
Certes le dĂ©cret sur lâĂ©tat dâurgence sanitaire donne la possibilitĂ© de disperser ou rĂ©primer les rassemblements non-autorisĂ©s de plus de six personnes, mais Ă©tablir lâexistence de ce rassemblement et le fait que des individus y participent ne peut ĂȘtre une dĂ©cision arbitraire de la police.
Ainsi, si on met bout Ă bout les mesures liberticides de “lâĂ©tat dâurgence sanitaire” et la pratique quâen a la police on aboutit au dĂ©ni des droits dont nos dirigeants se prĂ©valent si fiĂšrement mais quâils dĂ©truisent dans la pratique. On peut ainsi ĂȘtre dans une dĂ©mocratie thĂ©orique, mais une dictature pratique.
Menaces de la police : un fait
quâil faut taire chez Ouest-France ?
Il est Ă©galement intĂ©ressant de lire lâarticle Ouest France de la journaliste qui a couvert ce rassemblement (Rennes. Une cinquantaine de profs alertent sur les suppressions de postes). Il reprend les principaux reproches que les enseignants font aux mesures budgĂ©taires et relate lâambiance “bon enfant”, ce qui nâest dĂ©jĂ pas si mal pour ce mĂ©dia. Mais, alors que la journaliste a assistĂ© aux pressions trĂšs menaçantes et incessantes de la police directement intervenue, jusquâĂ dispersion effective, aucune trace ne mentionne ce fait dans lâarticle… Est-ce un fait quâil faut taire ?
Source: Expansive.info