Le livre de Nicolas Tertulian est une forme de justification mais aussi le témoignage d’un esthéticien *. La manière même dont il présente et défend son “objet” (György Lukács) par le biais d’une pudique autobiographie, en est la preuve, ce qui est tout à son honneur.
Il nous est permis de comprendre (non sans difficultés) toutes les subtiles et souterraines “luttes” de la scolastique marxiste qui ne furent pas, par certains aspects sans importances idéologiques c’est à dire comme formes de résistances face au rouleau compresseur stalinien tant dans les pays du bloc de l’est que les pays dits “libres”.
Le cas de la Roumanie dont est originaire N.Tertulian est à ce niveau emblématique, même s’il garde ses spécificités.
Lukács fait donc parti de la trame de la compréhension de sa vie d’engagements, et des combats contre une doxa dominante et pour le pluralisme dans les idées. Cet ouvrage lui donne aussi une nouvelle possibilité de mise au point sur les mensonges et approximations, dont fut la cible G.Lukács “le maître” que N.Tertulian a toujours défendu.
Il nous fournit donc une explication de ce qu’impliquait les attaques contre un G.Lukács comme conception du monde dans cette “guerre froide” des idées.
Un Lukács que N.Tertulian n’épargne pas dans ces égarements ou points de vue, débats, sur la question Esthétique. Ce qui est moins le cas il nous semble dans le domaine du politique, et c’est peut-être d’une certaine manière le grand reproche que l’on pourrait faire à l’auteur.
Mais cette “indulgence” peut certainement être mise sur le compte de situations relativement comparables, d’une certaine empathie, c’est à dire sur celle de deux intellectuels dissidents en “pays socialistes” ? C’est ce que finalement suggère le parallélisme du livre.
Mais quand page 293, N.Tertulian indique que dans une lettre à Benseler:
“Lukács parle des “compromis” qu’il a été contraint de faire, en acceptant au moins à deux reprises (en 1930 et en 1950) de publier des autocritiques insincères, il justifie les deux gestes par la nécessité de se sauver dans des circonstances menaçantes. La première fois il voulait éviter de partager le sort de Karl Korsch et de se voir exclu du mouvement, à un moment où le danger fasciste montait en puissance et où il tenait à poursuivre son combat à l’intérieur du mouvement communiste; la deuxième il espérait ainsi conserver la possibilité de défendre sa ligne de pensée sans se voir rejeté et condamné au silence total, ou même tout simplement ne pas partager le sort de László Rajk et être menacé dans son existence. Il s’agissait dans les deux cas d “autocritiques tactiques”, qui doivent être placées dans “la série des compromis, qui étaient indispensables pour un penseur tel qu[‘il] étai[t] pour prévenir une catastrophe dans la période stalinienne” p.293 (1)
Il n’est reste pas moins que cette “stratégie” trouve sa justification dans un antifascisme d’un pur “frontisme” aussi démocrate que paradoxale, et qu’elle n’en fut pas moins un échec (voir les thèses Blum). Quant à sa peur d’être “exclu “on doit s’interroger de quoi au juste ? de son statut et position d’intellectuel ? En ce qui nous concerne, le propos vient surtout souligner que certains “intellectuels” de la même époque ont payé le prix de cette exclusion du “mouvement” et il fut fort. Il est ainsi tout à l’honneur d’un Karl Korsch et de bien d’autres de n’avoir pas cédé ni au “fascisme brun” ni au “fascisme rouge” (Voir Otto Ruhle) pas plus à l’antifascisme stalinien. Si cette position de Lukács à ce sujet n’en fait pas pour autant un stalinien ontologique, elle fait de lui un vrai “partitiste” c’est à dire un vrai léniniste (2) au sens de Que faire ?, avec ses exigences de discipline et de ligne à suivre. Quid alors de la “vérité ” mise au rencart de l’efficacité et de l’esprit de Parti ?
Mais peut être n’y a t-il rien de pire pour un “intellectuel” que l’absence de reconnaissance.
Voilà pourquoi au fil des pages le portrait du “dialecticien marxiste”, et critique de la “nécessité historique ” (du communisme ce messianisme ) a du mal à percer.
La “dialectique” se trouve ainsi mise au niveau d’un détestable “outils” intellectuel, mais surtout de ses propres justifications. (Au delà de sa survie personnelle bien sûr ce que l’on peut tout à fait comprendre)
Il nous semble impossible de sortir de la lecture de ce livre en restant sur des positions manichéennes et en quelque sorte voilà le propos du livre plutôt réussi. Car éviter la caricature nous semble la seule méthode d’investigation du réel qu’il nous faille indiscutablement développer sans trêves.
La piste qu’a toujours défendu N.Tertulian aura été la défense de la dialectique “marxiste” (3) et de la totalité.
Sans contestation possible N.Tertulian est resté fidèle à son idéal de jeunesse c’est à dire à dire à ce que l’auteur de Rhinocéros (4) exigeait; “la suppression à la racine”, du patrimoine idéologique de l’extrême droite (” la maladie nazie “, la spécificité ethnique”, la haine de l’universel “) .
L’époque du totalitarisme diffus impose pensons nous une autre approche de l’expression, c’est à dire notre capacité à dire simplement et collectivement des choses moins complexes qu’il n’y paraît. Ceci nous permettra peut-être d’en finir avec une certaine verticalité. Celle des “maîtres” à penser qui trouvent toujours aussi facilement toutes sortes d’adeptes prêts se donner aveuglément pour toutes les “causes”, fussent-elles “généreuses”.
* Voir par exemple Georges Lukacs, étapes de la pensée esthétique de Nicolas Tertulian, traduit du roumain par Fernand Bloch, Paris, Le Sycomore, Arguments Critiques, 1980.
(2) Si Histoire et conscience de classe reste un ouvrage majeur il n’en demeure pas moins l’ouvrage d’un défenseur du Parti “la conscience de classe prolétarienne, c’est le parti.” p.63 in Histoire et conscience de classe. On y reviendra dans nos matériaux pour une émission.
(3) On n’utilisera pas ici le mot “marxien”.
(4) Eugène Ionesco.
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