« Câest chaud ! », quâon nous dit⊠Les castors sâagitent de partout pour faire barrage. Castors mĂ©diatiques attitrĂ©s, castors du showbiz, castors de lâantifascisme, castors des banlieues, castors de Mediapart, castors de la gauche associative, castors de la gauche institutionnelle â la mĂȘme qui a plombĂ© le seul rempart dĂ©gagiste du premier tour â, castors de partout et de nulle part occupĂ©s Ă apporter leur brindille Ă la cause commune : tout sauf la Blondasse et ses chats sauvages ! Et « tout », donc, câest Macron, puisquâil ne reste plus que lui. Oui, « câest chaud » ! Si chaud que le rouge devrait finir par leur monter au front !
Alors, tu te vois vraiment, Castor, mettre un bulletin dans lâurne pour lâĂborgneur en chef ! Tu te vois au lever matin du 24 avril te laver ta conscience dâopposant dĂ©mocrate, te shooter Ă lâoubli des coups et des insultes pour faire ton devoir de barragiste. Tu te vois, au soir de ce jour de renoncement, constater que le tour Ă©tait jouĂ© dâavance et quâil aurait sĂ»rement pu lâĂȘtre sans toi, sans ta complicitĂ© active. Tu te vois pleurer, trop tard, de rage contre toi-mĂȘme en constatant in petto que Macron tâa dĂ©jĂ annexĂ© Ă sa cause et quâil va tâen mettre plein la gueule pendant cinq ans de plus. Tu te vois twitter quand mĂȘme Ă tes potes quâon a gagnĂ©. GagnĂ© quoi, pauvre type ? La dĂ©faite de la Blondasse ? Ăa suffit Ă ton bonheur dâopposant dĂ©mocrate ?
Ok, je te situe, je connais tes soubassements, je sais dâoĂč tu viens, de ce nĂ©ant politique qui ne conçoit sa pratique que comme piĂšce rapportĂ©e : Macron contre Le Pen, ce mĂȘme Macron qui a tout fait pour que la Blondasse soit Ă lâĂ©tiage oĂč elle est en sachant pouvoir compter sur ton rĂ©flexe dâopposant dĂ©mocrate de second tour. Tu es algorithmĂ© pour ça, programmĂ© comme surnumĂ©raire de la derniĂšre heure, et ce depuis longtemps.
Car ça marche, et plutĂŽt bien, depuis que Mitterrand, ce grand stratĂšge des causes indignes, a dĂ©cidĂ© de sortir le scrogneugneu paternel de sa boĂźte Ă merde dans le seul but de jouer Ă sa guise la partition du front dit rĂ©publicain. Bonne idĂ©e manipulatrice quâon continue de payer cher, mĂȘme sans front rĂ©publicain ! Je me souviens de potes gĂ©nĂ©ralement abstentionnistes actifs et dĂ©terminĂ©s â conscients, en somme â qui, pris de panique, avaient votĂ© Chirac en 2002 pour faire barrage au Borgne de Saint-Cloud. DĂ©jĂ , le sermonneur Edwy Plenel Ă©tait Ă la manĆuvre, au Monde alors, oĂč il faisait la pluie et le beau temps. « Sâabstenir, câest faire le jeu du fascisme », disait-il. Eh oui ! Lâerreur a la vie longue, mais elle fait les bons tirages â oĂč les bons scores, comme aujourdâhui sur « Mediapart », oĂč la rengaine est la mĂȘme : contre le fascisme, Macron malgrĂ© tout. Pourtant, en 2002, tous les sondages, mĂȘme les plus secrets, qui arrivaient Ă la rĂ©daction du Monde, attestaient arithmĂ©tiquement de lâimpossibilitĂ© dâune victoire du Gueulard Ă flamme tricolore. ImpossibilitĂ© arithmĂ©tique, je rĂ©pĂšte. Jâavais eu beau expliquer aux copains que, travaillant comme correcteur au « journal de rĂ©fĂ©rence », je le savais et quâils pouvaient sâĂ©viter en toute tranquillitĂ© dâesprit de sombrer dans le grotesque en votant Chirac. Sans effet : la peur Ă©tait rĂ©elle. Peur non fondĂ©e, mais historique. Un peu hystĂ©rique aussi.
Peut-ĂȘtre penseras-tu, Castor, que je mâĂ©gare avec « mes rĂ©fĂ©rences » ? Tu aurais tort. Jâaccepte, comme toi, lâhypothĂšse de lâincertitude, mais elle ne mâempĂȘche pas de raisonner. Il est possible, en effet, que cette fois-ci lâextrĂȘme droite soit en situation de gagner lâĂ©lection. Possible, mais peu probable, au vu des rĂ©itĂ©rants appels au barrage que subit de tous cĂŽtĂ©s lâĂ©lecteur et de la prĂ©fĂ©rence indubitable que patronat, mĂ©diacrates et influenceurs de divers types manifestent pour ce Macron quâils ont adoubĂ© en 2017. Souviens-toi des louanges quâils lui ont dressĂ©es. Reste la part de lâinconnu, donc, cette donnĂ©e non maĂźtrisable qui fait Ă mes yeux â pourquoi le taire ? â le seul charme de ce si sombre dimanche Ă venir. Et câest prĂ©cisĂ©ment pour cela que je tâen veux, Castor, de te rallier objectivement au camp dominant, celui de lâĂborgneur, ce qui va mĂ©caniquement avoir pour effet de conforter son score et relĂšve pour moi dâune immoralitĂ© majeure.
Je vais mâexpliquer, mais je prĂ©cise dâabord : quand je parle de « charme », câest surtout, je sais que tu es Ă cran en ce moment, pour te faire bisquer, tâĂ©nerver, te permettre de me traiter de dandy, dâesthĂšte, dâirresponsable ou de nâimporte quoi. Jâai lâhabitude depuis le temps. Ce genre de qualifications aurait mĂȘme tendance Ă me faire marrer. Elles sont si Ă©culĂ©es quâil ne reste plus que quelques militants obtus â formule souvent plĂ©onastique, jâadmets â et des activistes de terrasse gagnĂ©s Ă lâidĂ©e de lâurgence Ă©lectorale antifasciste pour en faire leurs cacahouĂštes. Pour le reste, jâattends de les voir, surtout les seconds, organiser â si la Blondasse passait â des cordons sanitaires de protection de celles et ceux quâelle a mis dans son viseur, les Ă©migrĂ©s non blancs de partout qui feraient tache dans sa France rancisĂ©e. Car il ne suffit pas dâĂȘtre un activiste dâisoloir pour ĂȘtre antifasciste consĂ©quent.
Ce pays est aujourdâhui assez Ă©galement rĂ©parti en trois blocs Ă©lectoraux dĂ©passant ou frisant les 30% : la droite ultra-libĂ©rale autoritaire qui va de Macron â quâon a vu Ă la manĆuvre â Ă PĂ©cresse â quâon ne verra pas de sitĂŽt ; la droite extrĂȘme identitariste qui va de Le Pen Ă Dupont-Aignan en passant par le morpion de CNews ; la gauche nouvelle donne, enfin, en voie de remodĂ©lisation populisto-Ă©colo-radicale autour de lâUnion populaire, dont la position dominante lui permet dâenvisager, Ă lâoccasion des prochaines lĂ©gislatives, une refondation Ă©lectorale plus large avec ce quâil reste du PC, dâEELV, du NPA et, peut-ĂȘtre, si lâespĂšce survit, des sociaux-dĂ©mocrates qui nâauront pas rejoint Macron-LBD.
Mais il convient de se mĂ©fier des visions strictement arithmĂ©tiques car si ces trois blocs sont bien rĂ©els Ă©lectoralement parlant, le pays, lui, semble irrĂ©mĂ©diablement divisĂ© en deux camps antagonistes : les gagnants â ou ceux qui se vivent comme tels â et qui votent pour le premier bloc, surtout dans sa variante macronarde, et les perdants, dont les votes sont flottants et peuvent varier dâune Ă©lection Ă lâautre de maniĂšre parfois inattendue. Les pauvres sont comme ça, contradictoires. Ils ne font masse consciente, comme lâont prouvĂ© les Gilets jaunes que quand ils se mettent en mouvement. Pour une raison simple et qui pourrait sâĂ©noncer ainsi : le propre dâun mouvement, câest dâĂ©largir la perspective et dâouvrir lâimaginaire quand le propre de lâisoloir, câest dâisoler celui qui vote, de la ramener Ă sa condition de monade atomisĂ©e. Sâil est con, il le demeure. A votĂ© !
Partant de lĂ , lâĂborgneur tient la corde et la Blondasse est Ă la peine. Autrement dit, le « fascisateur », pour parler comme Lordon, Ă toutes les chances de rempiler pour cinq ans de destruction sociale sans retour. Ce sera sa maniĂšre de signer ses basses Ćuvres en chargeant lâhistoire dâune nouvelle leçon : quand on veut tout casser, on peut. Autrement dit : deux fois je vous ai fait le coup et deux fois vous mâavez adoubĂ©, bande de cons !
Donc, il faut voter Macron contre Le Pen, Castor, comme chante le chĆur outragĂ© des Ă©ditorialistes, commentateurs, ratiocineurs, ergoteurs de lâantifascisme Ă©lectoraliste. Je sais que tu te plieras Ă la consigne et que le soir de ce dimanche maudit, tu tâen voudras. Mais tu es comme ça, con, mais du genre antifasciste, câest-Ă -dire dotĂ© dâun affect particulier : celui qui acquiesce toujours Ă la politique du barrage, du « moindre mal ».
« Politiquement, Ă©crivit Hannah Arendt â que tu dois connaĂźtre au moins de nom â, la faiblesse de lâargument du moindre mal a toujours Ă©tĂ© que ceux qui choisissent le moindre mal oublient trĂšs vite quâils ont choisi le mal. » Et, dans cette conjoncture oĂč nous nous trouvons, câest bien lĂ quâest le problĂšme. Car le « moindre mal » reste le mal. Et plus encore le mal quâon lĂ©gitime, quâon appelle de ses vĆux, quâon sollicite et qui, invariablement, nous cloue au sol de lâindignitĂ© et de la honte. Pour moi, Macron réélu Ă 55% avec une abstention Ă 20%, ce nâest pas Macron réélu Ă 50,2% avec une abstention Ă 40%. Je ne doute pas que, quel que soit le score, Macron, du moment quâil est Ă©lu, nous fera, par ailleurs, Ă tous, abstentionnistes compris, son Ă©ternelle roulade jupitĂ©rienne, son doigt dâhonneur Ă lui. Allez vous faire foutre ! Câest un type dĂ©pourvu de toute morale. Il se croit programmĂ© pour gagner. Il gagne et point final. Le reste, câest son job, celui pour lequel le bloc bourgeois â le vrai, pas celui des petits rentiers du troisiĂšme Ăąge conservateur â le soutient Ă donf. Parce quâil dĂ©truit mĂ©thodiquement tout ce qui les emmerde : les conquis sociaux, les services publics, la SĂ©cu, lâhĂŽpital, la protection sociale en somme. Parce quâil nâa aucun scrupule Ă mater sauvagement la rĂ©volte sociale quand elle se lĂšve. Parce quâil est lâhomme du mensonge permanent, de la dissimulation systĂ©matique, du tout et de son contraire. Parce quâil nâa de lui que lâidĂ©e de son excellence en toutes matiĂšres.
Oui, mais le fascisme, câest autre chose, me diras-tu ? Je rĂ©ponds en laissant la parole Ă Max Horkheimer â que, pour le coup, tu ne dois mĂȘme pas connaĂźtre : « Celui qui ne veut pas parler du capitalisme doit se taire Ă propos du fascisme. » Mais, pauvre pomme lavĂ©e Ă lâhumanisme bon teint dâun monde dĂ©shumanisĂ© Ă lâextrĂȘme, comment peux-tu imaginer un seul instant que celui pour lequel, par barrage et sens des responsabilitĂ©s, tu vas voter ce dimanche nâest pour rien dans le retour du fascisme. Tu crois vraiment ça, Castor sagace. Tu penses que câest en votant Macron que tu vas faire reculer le fascisme. Il est lĂ le fascisme, dans les plis du capitalisme, bien lovĂ© pour servir en cas de nĂ©cessitĂ©. Lis les classiques, bordel ! Tu tâimagines une seconde Schiappa et Darmanin prendre le maquis ? Non, Castor, tu nâimagines pas. Dâailleurs tu nâimagines rien. Tu votes, et câest bon.
La dĂ©mocratie, câest la capacitĂ© dâagir ; lâĂ©lection, câest exactement le contraire, sauf Ă considĂ©rer que la dĂ©lĂ©gation de sa voix Ă qui en fait ce quâil veut pendant cinq ans est une capacitĂ© dâagir. Lâabstention nâa pas plus de valeur en soi que le vote. Son seul intĂ©rĂȘt, câest lâaffirmation dâun refus : celui dâĂȘtre sur la photo. Ce dimanche, elle aura une autre valeur, lâabstention : celle de refuser une compromission morale. Voter pour Macron pour faire barrage Ă Le Pen est moralement inacceptable, jâinsiste. Au nom de toutes celles et ceux quâil a Ă©borgnĂ©s, matraquĂ©s, insultĂ©s, mĂ©prisĂ©s, calomniĂ©s, humiliĂ©s, emprisonnĂ©s parce quâils rĂ©clamaient justice. Au nom de Zineb Redouane qui, Ă quatre-vingt ans, ne demandait rien dâautre que de vieillir tranquille, fenĂȘtres ouvertes ou fermĂ©es. Au nom de tous ceux, Castor, qui ont maintenu la flamme de la rĂ©volte sociale en attendant quâun jour tu les rejoignes. Il faut croire que tu nâavais ni le temps ni lâenvie. Tant pis pour toi. Tu trouveras le temps de voter, ce dimanche, pour nous Ă©viter le fascisme. Grand bien te fasse, mais tu ne tâen tireras pas comme ça. Pas seulement, du moins. Il te faudra bien comprendre, un jour, que le pragmatisme Ă©lectoral nâest jamais quâune solution de petit bricoleur quand la monnaie du Mal est aussi clairement dĂ©testable Ă pile quâĂ face. La cohĂ©rence morale est Ă ce prix.
Je te salue, Castor.
Ni Le Pen ni Macron !
Freddy GOMEZ
Source: Acontretemps.org