PlutĂŽt lâinsurrection que la guerre ?
De quel antimilitarisme parle-t-on ? Avant 1914, celui-ci peut ĂȘtre une condamnation de lâarmĂ©e briseuse de grĂšves, au service du capitalisme ou une critique du service militaire, des guerres coloniales, voire une mĂ©thode de renversement du pouvoir en retournant les armes contre la bourgeoisie. Il est dâautres nuances avec cet outil quâest la grĂšve gĂ©nĂ©rale. Pourtant actif, virulent mĂȘme, lâantimilitarisme rĂ©volutionnaire incapable dâĂ©viter la guerre divise durablement ses partisans. Pour Guy Dechesne, dans son ouvrage Un siĂšcle dâantimilitarisme rĂ©volutionnaire, « la PremiĂšre guerre mondiale est lâĂ©chec tragique et simultanĂ© de la rĂ©volution et de lâantimilitarisme ».
La question fondamentale Ă la lecture de ce livre est bien de se demander comment les prolĂ©taires des pays europĂ©ens, les partis politiques socialistes dans leurs diffĂ©rentes nuances ont pu se lancer dans cette effroyable tuerie, faisant voler en Ă©clats le concept de lâinternationale et de la solidaritĂ© de classe. Pourtant rappelons-nous, la mise Ă bas de la colonne VendĂŽme pendant la Commune devait constituer le symbole de la fin des conflits entre les peuples. LâAIT devait ouvrir Ă la solidaritĂ© ouvriĂšre. Edouard Vaillant, en 1889, Ă©crit aux allemands : « Chez vous comme chez nous, le militarisme est la forme la plus odieuse et la plus dangereuse de la rĂ©action. » A Fourmies en 1891, la troupe tire sur une manifestation de grĂ©vistes qui revendique la journĂ©e de huit heures, rĂ©sultat : 10 morts et 35 blessĂ©s. (Cf sur ce site lâarticle Fourmies la rouge dans la chronique Des idĂ©es et des luttes 12 juillet 2021) Lâopposition Ă lâarmĂ©e et Ă la guerre est virulente en ces temps.
Un effet de raz de marée
Et pourtant, les responsables du SPD comme Bebel se dĂ©clarent prĂȘts Ă dĂ©fendre la patrie. En France Jules Guesde fait preuve de circonvolutions intellectuelles Ă©tonnantes. Certes tout le monde souligne quâil faut sâopposer Ă la guerre mais tout le monde y vient et en quelques jours câest un raz de marĂ©e, si bien restituĂ© dans le roman Les Thibault de Roger Martin du Gard ou analysĂ© dans lâessai Les Somnambules de Christopher Clark. Guy Dechesne montre bien cette Ă©volution. Les textes de la fin du XIXĂšme siĂšcle appellent Ă la grĂšve, au refus de se soumettre au service militaire, des hommes comme Janvion, Yvetot, Armand sont arrĂȘtĂ©s pour insubordination ou autres infractions liĂ©es Ă lâatteinte au patriotisme. La CGT appelle Ă la rĂ©volte, Clemenceau qui a assurĂ© sa mutation, rĂ©prime sans Ă©tat dâĂąme. Au sein du mouvement ouvrier, les rĂ©actions sont diverses et, peut-ĂȘtre parce que nous connaissons la fin de lâhistoire, apparaissent nettement les divisions, les accents de nationalisme face au pangermanisme et au panslavisme. Certains responsables estimeront mĂȘme que la guerre peut avoir un effet bienfaisant dans lâavancĂ©e rĂ©volutionnaire. Dâautres, minoritaires, apporteront leur soutien aux insoumis par leur exfiltration et lâinstauration du Sou du soldat.
DâĂ©tonnants revirements
Le lecteur observera le revirement dâantimilitaristes les plus virulents dont le plus cĂ©lĂšbre est sans aucun doute Gustave HervĂ©. Câest aussi lâun des apports du livre de Guy Dechesne que de prĂ©senter nombre de citations et de les confronter aux faits. Les plus excessifs seront souvent les plus ardents dĂ©fenseurs de lâUnion sacrĂ©e. Des militants comme Malatesta ou Louis Lecoin dĂ©jĂ actif en 1912 seront bien isolĂ©s. Personne nâest dupe des propos de congrĂšs. Comme lâĂ©crit lâancien communard Maxime Vuillaume : « Les rĂ©solutions du CongrĂšs socialiste ne doivent effrayer personne. Elles sont Ă notre avis de pure forme. »
A lâapproche du conflit, les femmes sont les plus mobilisĂ©es. Les instituteurs de lâEcole Ă©mancipĂ©e sont poursuivis. En Allemagne, les opposants Ă la guerre sont arrĂȘtĂ©s. Pendant la guerre, participer aux confĂ©rences de Zimmerwald, de Kienthal qui regroupaient les opposants Ă la poursuite du conflit entraĂźne des peines de prison pour dĂ©lit politique. AprĂšs novembre 1918, lâantimilitarisme sâaffaiblit surement. Les communistes reprendront un temps le flambeau pour mieux retourner leur veste. La CGT participe Ă lâeffort de guerre en 1938, ce qui fait rĂ©agir Le Libertaire, « Qui aurait pu prĂ©voir quâun jour, par simple dĂ©cision de quelques bureaucrates trahissant leur mandat, les cotisations syndicales serviraient Ă nourrir la guerre ».
Et Guy Dechesne de conclure par une interpellation du lecteur : « Un antimilitarisme cohĂ©rent peut-il atteindre pleinement son but dans la sociĂ©tĂ© actuelle ou une rĂ©volution prĂ©alable est-elle nĂ©cessaire ? [âŠ] Quoi quâil en soit, le chemin est long avant dâatteindre une sociĂ©tĂ© dĂ©militarisĂ©e. »
âą Guy Dechesne
Un siĂšcle dâantimilitarisme rĂ©volutionnaire
Socialistes, anarchistes, syndicalistes et féministes 1849-1939
Ed. Atelier de création libertaire, 2021
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Source: Monde-libertaire.fr