« Et puis rĂ©guliĂšrement un compte masculin dĂ©barque et explique que le mieux Ă faire, contre les violences sexuelles, câest de tuer, torturer, mutiler leurs auteurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraĂźtre, ce genre de comportement appartient pleinement Ă la culture du viol. »
Article repris du blog sur lâĂ©cologie politique dâAude Vidal.
Ăa arrive comme ça, dâun coup, et ça prend tout le monde par surprise. Alors certes il y a des secousses qui font espĂ©rer que⊠et puis non. Ou plus tard. Matthieu Foucher Ă©tait parti « Ă la recherche du #MeTooGay » en septembre 2020 mais celui-ci est arrivĂ© quatre mois plus tard, tĂ©lescopant le #MeTooInceste qui venait dâexploser. Nous voilĂ donc scrollant les deux hashtags et likant Ă tour de bras, espĂ©rant signifier notre reconnaissance et donner un peu de courage Ă celles et ceux qui en ont dĂ©jĂ beaucoup. On vous croit, on est derriĂšre vous, vous nâavez rien Ă vous reprocher. Câest leur faute.
Et puis rĂ©guliĂšrement un compte masculin dĂ©barque et explique que le mieux Ă faire, contre les violences sexuelles, câest de tuer, torturer, mutiler leurs auteurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraĂźtre, ce genre de comportement appartient pleinement Ă la culture du viol. Si vous aussi ça vous met mal Ă lâaise, câest pour ça.
Comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ?
Thibaut : On leur coupe la bite. RĂ©solu. Fin.Thomas : Moi si je connais le nom des agresseurs incestueux. (Photo dâhommes opĂ©rant des mitrailleuses.)
Pierrick : Jâai Ă©tĂ© flic au tribunal. Jâai emmenĂ© devant le juge un mec de 40 ans soupçonnĂ© dâavoir violĂ© sa niĂšce de 3 ans. Dans les couloirs il mâa avouĂ© avec un sourire quâelle a aimĂ©. Il est malencontreusement tombĂ© dans un escalier en colimaçon. (Ce tweet a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© pour des raisons de comprĂ©hension⊠et par maniaquerie ortho-typographique.)
The King : Quand je lis toutes les horreurs sur #MeTooInceste : Nous ne pouvons pas attendre que Dieu fasse tout le travail. (Photo psychĂ©dĂ©lique dâhomme menaçant en chemise dâuniforme de police, gilet pare-balles et arme Ă feu.)
Dâabord vous aurez remarquĂ© la dĂ©licatesse : pas un mot pour les personnes qui ont le courage de tĂ©moigner. Mais alors, si ces mecs-lĂ ne font pas ça en pensant aux personnes qui ont subi les faits, Ă qui pensent-ils ? Probablement Ă leur gueule : se poser en chevalier blanc, en mec qui jamais oh non⊠câest flatteur. Câest dĂ©gueulasse, dâinstrumentaliser les malheurs des autres, mais ça paye : le policier, par exemple, a Ă©tĂ© amplement remerciĂ© sur Twitter par des personnes qui lâont traitĂ© comme un hĂ©ros et lui ont « fait des cĆurs avec les mains ». Câest une partie du problĂšme que jâai dĂ©jĂ abordĂ©e ici en posant la question des gratifications recherchĂ©es par des hommes dans des postures fĂ©ministes.
Ces rĂ©actions violentes tĂ©moignent aussi dâune grande ignorance. Le viol, câest partout. Le violeur, câest potentiellement nâimporte qui. Ăa nâest pas un monstre qui se repĂšre de loin, câest le copain qui ne se vante pas de forcer son Ă©pouse quand elle ne veut pas ; câest le collĂšgue qui dit aprĂšs un verre que de toute façon câest toutes des salopes, mĂȘme les petites ; câest le tas de merde qui se vante dâen choper plein alors quâobjectivement il est moche comme le cul de DSK ou de Trump. Vu la prĂ©valence du viol dans la vie des femmes, et comme ces violences ont majoritairement lieu dans des espaces privĂ©s entre proches, ces violeurs ne sont pas quelques dizaines de monstres multi-rĂ©cidivistes dont on pourrait « se dĂ©barrasser » mais des milliers de nâimporte qui quâon croise partout. Ce nâest donc pas les personnes qui sont Ă Ă©liminer mais la culture qui doit changer. Les mecs qui se dĂ©chaĂźnent contre des monstres fantasmatiques ont le droit dâignorer ça, personne nâest tenu·e de sâintĂ©resser Ă tout. Mais si on lâignore câest quâon sâen fout, au fond, alors pas la peine de sortir les menaces violentes et le costume de justicier.
Croire ou faire croire que le violeur est un monstre Ă qui on rĂ©serve bien Ă©videmment les pires chĂątiments, câest contradictoire avec la rĂ©alitĂ© des faits : sous-dĂ©clarĂ©s, les viols ne sont pas non plus punis comme le prĂ©voit la loi [1]. 10 % des viols font lâobjet de plaintes [2], et sur ces 10 %, 10 % Ă 20 % font lâobjet dâune condamnation, avec de nombreuses requalifications de « crime » en « dĂ©lit ». Pourquoi ce grand Ă©cart entre les dĂ©clarations de principe et la rĂ©alitĂ© ? Parce que LE viol, câest horrible, tout le monde est dâaccord. Mais dans la vraie vie ce nâest jamais le viol parfait, dans lequel la contrainte, le pouvoir et le refus sont des Ă©vidences pour tout le monde [3]. Ce qui se passe vraiment, câest quâune majoritĂ© de personnes blĂąment les victimes, ne comprennent pas leur comportement et excusent pour x ou y raisons celui du violeur [4]. LĂ tout de suite, « tomber » pour viol alors quâ1 Ă 2 % seulement des faits font lâobjet de condamnations, câest vraiment pas avoir de bol et faire partie de la mauvaise classe dâhommes [5]. Alors que lâimaginaire de disponibilitĂ© sexuelle des femmes aux hommes est prĂ©sent partout, dans tous les pays et tous les milieux, y compris bourgeois, intellectuels ou militants de gauche.
Les propos ultra-violents envers un violeur fantasmatique participent en fait au dĂ©ni de ce quâest le viol. Ils valorisent en outre une masculinitĂ© violente ou des actes hors-la-loi (câest particuliĂšrement le cas de ce policier qui se fait juge, oubliant les principes du rĂ©gime politique dĂ©jĂ pas bien exigeant quâil est censĂ© servir) qui, loin dâĂȘtre la solution, contribuent au problĂšme. Qui, au fond, est un problĂšme de toute-puissance masculine.
Merci Ă NoĂ©mie Renard, autrice dâEn finir avec la culture du viol (Les Petits Matins, 2018), et Ă ValĂ©rie Rey-Robert, autrice dâUne culture du viol Ă la française (Libertalia, 2019), sans qui je nâaurais pu comprendre mon malaise devant ces manifestations violentes.
Source: Dijoncter.info