Novembre 27, 2022
Par Collectif Emma Goldman
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Nous
partageons ici un document que nous avons produit (des notes) dans le
cadre du colloque organisé par le Mouvement d’éducation populaire
et action communautaire (MEPACQ), “Pour en finir avec les
inégalités, sortons du capitalisme”, en novembre 2022 et plus
précisément pour la participation d’un membre du Collectif Emma
Goldman au panel intitulé “Les mythes du capitalisme”.

Vous avez sans doute déjà remarqué la façon que les médias présentent les nouvelles économiques. Dans un bulletin d’informations, on passe de la circulation à la météo en passant par les indices TSX ou Nasdaq. L’économie est présentée comme un fait naturel au même titre que la météo. Dans la même émission, on peut parler de gaz à effet de serre et de la crise climatique et dans un segment subséquent, on peut parler de trucs et astuces pour réaliser un flip (achat et revente immobilière qui fait monter les prix), des meilleures opportunités de placement ou encore de la « création de richesse » sans jamais faire de lien entre le capitalisme et l’urgence climatique. 

Sur Terre, des personnes meurent de faim alors qu’il y a une surproduction de nourriture. Elles meurent simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter de quoi se nourrir. La planète se réchauffe, les terres brulent, les catastrophes naturelles se multiplient et il y a un risque d’effondrement des écosystèmes en raison de l’activité humaine. Le capitalisme, un système qui cherche à maximiser les profits pour une petite élite, est un désastre, ce qui apparaît évident pour le plus grand nombre. Mais il semble qu’il n’y ait aucune alternative. Après tout, on a vu au dernier siècle ce qu’a donné le « communisme » (lire ici le capitalisme d’État). Du moins, c’est ce qu’on continue de nous dire. 

Mais l’économie capitaliste est loin d’être un fait naturel et surtout pas une fatalité ou un système indépassable. N’en déplaise à Francis Fukuyama, ce n’est pas la fin de l’histoire. Ce qui a été construit par les humains peut tout autant être défait. Les exemples de luttes et de résistances contemporaines sont là pour le démontrer.

Toutefois, le capitalisme ne s’effondrera pas sous le poids de ses propres contradictions. L’histoire récente nous démontre la formidable capacité de ce système d’exploitation à s’adapter, voire à récupérer la critique (ex. capitalisme vert, économie de soi-disant partage, gestion participative en entreprise, etc.). Chose certaine, il n’y aura ni grand soir, ni sauveur… C’est ici et maintenant qu’il faut créer des fissures dans le système, par nos résistances et nos rébellions, réhabiliter le commun, créer comme l’appelle l’écrivain et philosophe John Holloway des brèches.

 Se libérer de la dépossession/dépendance

Pour les marxistes orthodoxes du siècle dernier, écrit le philosophe Pierre Madelin, « l’émancipation du prolétariat passait par l’appropriation et la socialisation des moyens de production, sans remettre en cause ni la nature de ses moyens de production, ni l’idéal productiviste qu’ils devaient servir, ni même la nécessité d’une centralisation de leur gestion [MADELIN 2017, p.55] ». Si nous dénoncions le développement d’un grand projet inutile tel que GNL Québec, il faut préciser que, pour nous, sa mise en marche sous autogestion ouvrière n’aurait guère plus de sens. Pas plus qu’une mine à ciel ouvert exploitée au milieu d’un village par une coopérative de mineurs autogérée.  C’est à ce propos que le sociologue John Holloway écrivait : « la révolution ne consiste pas à détruire le capitalisme, mais à refuser de le fabriquer [HOLLOWAY 2016] ».

Sortir de la crise écologique et se libérer du capitalisme implique aussi de se libérer de la dépossession (de notre puissance, de nos facultés, de nos capacités) dont il nous afflige et de la subordination du moindre aspect de nos vies à sa logique marchande.

L’essayiste français Michel Bounan, etc. écrit dans La folle histoire du monde: « Le système marchand […] se développe, se maintient et se renforce là où des communautés humaines ne peuvent être autosuffisantes. Qui achèterait des aliments là où chacun.e pourrait cueillir, ramasser et chasser à sa guise ? Qui s’emploierait dans des activités rébarbatives en échange de biens qu’il possède en abondance ? Le système marchand a pour ennemi fondamental la capacité de satisfaire, de façon libre et autonome, des besoins fondamentaux [BOUNAN 2006] ».  

« Si c’était facile on le saurait » ou les freins à l’émancipation individuelle et collective 

« La religion, la propriété et le gouvernement, qui régissent l’esprit, les besoins et les comportements humains, constituent le bastion de l’asservissement de l’homme et de toutes les horreurs que cela entraîne » écrivait Emma Goldman [GOLDMAN 1911].

1) La propriété privée

« Depuis ses origines, le capitalisme a été un mouvement de clôture nous rappelle Holloway.  N’importe quelle forme de propriété implique une clôture, une appropriation, une séparation de quelque chose de sa jouissance ou de son utilisation en commun [HOLLOWAY 2016, p.67] ». 

« Le système marchand repose sur le désir et la privation [HOLLOWAY 2016, p.37] ».

Un propriétaire terrien peut laisser ses terres à l’abandon indépendamment des besoins de la collectivité. Un propriétaire d’immeuble peut préférer louer ses appartements à des touristes et ce malgré une crise aiguë dans le domaine de l’habitation. Il peut spéculer sur la valeur marchande de ses propriétés, etc.

Une minorité s’accapare les ressources et les richesses au détriment du plus grand nombre, du bien commun.

2) Le travail salarié et discipline du travail

 « Le travail crée le capital et il crée le capitalisme, un monde structuré par le travail 

[HOLLOWAY 2016, p.186]  ».

 «Le travail tel qu’il s’instaure et se généralise avec le capitalisme est fondé sur l’organisation de la dépendance matérielle à travers la privation des moyens de production et le commerce de la subsistance […] Il faut d’abord avoir été dépossédé de tout moyen d’existence pour être obligé de vendre sa force de travail à un patron en vue de recevoir un salaire pour ensuite acheter des marchandises afin de survivre [COLLECTIF MUR PAR MUR 2021, p.176] ». 

On comprendra que la place qu’occupe le capitaliste/bourgeois n’a rien à voir avec le mérite ou les efforts fournis. Le prolétariat est rempli de personnes qui travaillent très fort. Il est davantage lié à notre statut dû à notre naissance  (au même titre que l’aristocrate d’autrefois), aux opportunités que nous avons ou pas en raison de notre genre, de notre couleur de peau, de nos réseaux de contact (capital social), etc.

Dans une large mesure, la pensée et le mouvement révolutionnaire n’ont pas remis radicalement en cause le travail.

Une fois acceptés les formes et les rythmes de travail dans l’usine, la lutte contre le capital continue, mais s’effectue principalement à l’Intérieur des règles instaurées par le capitalisme lui-même. Une fois l’idée du travail intériorisée, l’horizon des possibles se réduit considérablement. Donc, il ne suffit pas de faire fonctionner la shop sans patron pour abattre le capitalisme – bien que ça soit déjà mieux. Il restera toujours les contraintes économiques liées à  la productivité et la concurrence. Bref, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de patron que le travail devient moins aliénant, qu’on sort de la logique de quantification, de la rationalisation, voire de l’exploitation.  L’exemple du mouvement de récupération d’usines en Argentine en 2001, dont l’usine FaSinPat, Fábrica sin patrón, est intéressant (regardez à ce sujet le documentaire The Take (La prise)).

3) Un avion (l’État) ne peut être transformé en bateau

« L’État moderne n’est pas neutre, il est structurellement lié à l’accumulation du capital et la destruction de la terre [MADELIN 2017, p.137] ».

À cet énoncé vous pouvez rétorquer qu’il y a bien eu des avancés sur le plan social. Pourtant, même l’État-providence ne s’oppose que superficiellement au capitalisme. De plus, la plupart des règlements en matière d’environnement ou de droits octroyés aux ouvriers et ouvrières, aux femmes et à la communauté LGBTQIA2 + n’ont pas été adoptés par consultation référendaire, mais à la suite des luttes menées par ces groupes.

L’auteur de Changer le monde sans prendre le pouvoir (Lux Éditeur) affirme tant qu’à lui dans Crack Capitalism que : « L’État se caractérise par sa séparation de la société. Il n’instaure pas la cohésion sociale, mais agit comme un complément nécessaire à l’instauration de cette cohésion à travers le processus des échanges […] ». Et en définitive pour Holloway: « L’État, et par conséquent la politique comprise comme domaine distinct, est une suppression, un déplacement, un détournement de notre lutte pour un monde différent [HOLLOWAY 2016, p.227] ». 

« L’impératif n’est donc pas de construire le parti en vue de la prise du pouvoir, mais recréer de l’autonomie là où celle-ci a été détruite par l’intermédiaire mortifère engendrée par le marché mondialisé [HOLLOWAY 2016, p.100] ». Il faut entretenir la diversité, la décentralisation et la redondance (en opposition au système de production et de distribution qui favorise la centralisation et la spécialisation) ici incarnée dans le proverbe « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier  » pour développer des communautés plus résilientes et en mesure de contrôler au niveau local un système de production et de distribution développé pour satisfaire les besoins de tous et toutes. C’est par en bas que nous devons le faire et non par le sommet du pouvoir politique, l’État.

Oui, mais…

Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, intégré et numérique. Nous vivons dans une société tellement complexe qu’il nous serait impossible de nous passer de l’État.  

« Aujourd’hui, la satisfaction du moindre de nos besoins fondamentaux – l’eau, l’électricité, l’habitat, la nourriture, le chauffage – est tributaire de systèmes politiques, industriels et économiques complexes et fragiles (les crises et la présente pandémie nous le rappellent) sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle [MADELIN 2017, p.19] ».

Pire, les individus seraient incapables de s’organiser par eux et elles-mêmes, car ils formeraient un ensemble chaotique et plus souvent conflictuel. On a simplement à penser à tous ces films et séries post-apocalyptiques et à analyser comment des sociétés sans État et post-capitalistes sont présentées.  Mais une société sans état n’est pas nécessairement vertueuse (ex. les États dits en faillite) et elle n’est pas non plus nécessairement une jungle.

Les Premiers Peuples en Amérique du nord n’étaient pas organisés en États à l’arrivée des Européens et Européennes. Ils formaient des sociétés et communautés complexes qui avaient une culture forte et entretenaient des liens avec d’autres peuples.

Malgré cela, l’État n’est pas une garantie au maintien de la paix. Déjà, la paix est un concept tout relatif dépendamment de la place que vous occupez dans la société, de votre couleur de peau, de vos croyances religieuses, etc. C’est sans oublier que l’histoire est jonchée de morts et remplie de violences commises au nom de la raison d’État. Également, on ne peut pas dire que l’État ou les structures supra-étatiques que nous connaissons se sont avérés être les plus compétents pour enrayer les inégalités sur la planète et lutter efficacement contre les pandémies et le réchauffement climatique.

Nous n’avons pas besoin d’aller bien loin pour trouver des exemples d’auto-organisation. Nous avons seulement à penser à des situations de crise comme le déluge du Saguenay, la crise du verglas et même dans une certaine mesure à la dernière crise sanitaire où des formes d’entraide et de solidarité à large échelle se sont mises en place. C’est une tendance plutôt répandue. 

Stratégie des brèches… ouvrir la voie à quelque chose d’autre 

Le marché tend à étendre son contrôle sur le vivant, mais tout n’est pas que rapport marchand. Il gruge toujours plus de notre temps, mais bon nombre de nos rapports sociaux ou activités sont à l’extérieur de l’idée de l’optimisation de la productivité et ne sont pas déterminés par l’argent ou les règles du pouvoir.

John Holloway définie les brèches ainsi : « Les brèches sont des explorations dans l’asymétrie, des explorations dans l’antipolitique de la dignité. La dignité est l’affirmation immédiate d’une subjectivité niée, la prise de position contre un monde qui nous traite comme des objets et nous refuse la capacité de déterminer nos propres vies, qui nous nient en tant que sujets capables et dignes de décider pour nous-mêmes [HOLLOWAY 2016] ».

En mettant en place des pratiques autonomes, l’autoproduction par exemple, ou en se réappropriant les savoirs et les savoir-faire vernaculaires,  une communauté peut arriver à se soustraire de la dépendance aux marchés et aux institutions étatiques. Par exemple, si le mouvement zapatiste a su résister au harcèlement parfois violent des paramilitaires à la solde de l’État fédéral mexicain et à l’absence de facto de l’État c’est largement parce que leur autonomie politique repose en grande partie sur la souveraineté alimentaire.

Nos luttes et nos résistances, que ce soit sur les piquets de grève ou sur les barricades dressées sur les chemins de fer, peuvent ouvrir des brèches au cours desquelles une autre relation au temps est possible et où les rapports de domination sont brisés pour en créer d’autres .

Cette approche implique un pouvoir d’action directe et immédiat contrairement à une stratégie révolutionnaire totalisante qui pourrait nous inspirer qu’un sentiment d’impuissance.

Ni primitiviste, ni désertion

On peut affirmer à juste titre que certaines expériences ont fini par se replier sur elles-mêmes, dans une démarche de séparation et d’exemplarité. « En se focalisent  sur la défense d’espaces sociaux non encore soumis au capital ou d’expériences cherchant à échapper à cette soumission, elles négligent d’affronter le capitalisme sur son propre terrain celui de la domination dans le travail par exemple [MADELIN 2017, p.108] ». 

Toutefois, ces expériences ne sont pas fatalement condamnées à l’isolement, à être enfermées sur elles-mêmes et pacifiées. On a qu’à penser aux mobilisations contre GNL de petits producteurs bio et artisans du fjord, aux zones à défendre (ZAD) en France ou aux caracoles zapatistes au Mexique. Ces expériences peuvent même nourrir d’autres luttes au sens propre et figuré et renforcer la combativité en nous permettant d’être moins dépendants et dépendantes aux logiques de la consommation et du travail salarié. 

Ne te trompe pas de colère… 

Le capitalisme nous rend malades. On a simplement à parler aux gens de Rouyn-Noranda qui doivent vivre avec des taux élevés d’émissions toxiques en raison de la fonderie Horne ou encore aux gens qui habitent le quartier Arvida, à Jonquière près de la vieille aluminerie. C’est les capitalistes et leurs allié.es qui engendrent la souffrance et qui sèment la désolation derrière eux. Certains et certaines préfèrent identifier des bouc-émissaires pour mieux nous diviser entre les travailleurs et les travailleuses né-e-s au pays ou à l’étranger ou encore entre les travailleurs et travailleuses et les sans-emplois pour maintenir ce système qui engendre la misère et menace tout forme de vie sur terre. Outre un discours qui nourrit l’intolérance, le ressentiment, voire la haine les populistes et l’extrême droite n’ont rien à offrir aux chômeurs et chômeuses, aux travailleurs et travailleuses, aux mal-logés, aux précaires, aux personnes en situation d’itinérance, etc. [COLLECTIF EMMA GOLDMAN 2020].

Les besoins dans nos milieux de vie sont énormes et bien qu’en général nous ayons peu de moyens, il existe des possibilités pour faire des choses autrement (sans la médiation et l’argent et sans demander la permission à quiconque (institutions, gouvernement, etc.)). L’auto-organisation au Saguenay a pris différentes formes comme la Marmite autogérée, des marchés gratuits et pendant un temps l’Espace social libre (un centre social autogéré). Elle permet de favoriser l’entraide, la solidarité, la mobilisation collective et l’éducation populaire dans les quartiers, en plus d’entrevoir pendant un instant des rapports sociaux différents. Parfois, ces moments d’échanges peuvent être la graine qui entraîne d’autres formes de solidarité et de luttes.

Références bibliographiques :

Michel Bounan (2006).  « Dans la folle histoire du monde », Allia.

Collectif Emma Goldman (2020). « Combattre l’extrême droite  et le populisme. L’expérience du Saguenay-Lac-St-Jean».  M Éditeur.

Collectif Mur par mur (2021).  « Pour un Anarchisme révolutionnaire », Éditions L’Échappée.

Emma Goldman (1911). « Anarchism : What It Really Stands for » dans Anarchism and Other Essays, Mother Earth.

John Holloway (2016). « Crack Capitalism : 33 thèses contre le capital », Libertalia.

Pierre Madelin (2017). « Après le capitalisme : Essai d’écologie politique », Éditions Écosociété.




Source: Ucl-saguenay.blogspot.com