Câest lâhistoire de personnes qui nâont pas de maison. Elles en trouvent une, vide depuis au moins deux ans. La maison est belle et grande. Alors elles emmĂ©nagent histoire dâen avoir une, de maison. Des maisons vides, il y en a plein. Des gens sans maison, tout autant. Alors autant en profiter !
Câest aussi lâhistoire de Roland. PropriĂ©taire. Il est Ă lâaise dans la vie parce que le brave Roland ne vit pas dans sa maison, il se paye en plus un appart. Un jour, Roland apprend que SA PropriĂ©tĂ©, SON “Chez lui” (oĂč il ne vit pas) est occupĂ© par des gens. Roland voit rouge car la propriĂ©tĂ© privĂ©e, câest sacrĂ©. Il traine les gens en justice et apprend quâil doit attendre quelques mois avant de rĂ©cupĂ©rer sa maison, trĂȘve hivernale oblige. Mais Roland ne veut pas attendre. Il contacte ses anciens collĂšgues de la dĂ©pĂȘche et nous raconte une histoire Ă faire pleurer dans les chaumiĂšres. Roland nâa plus accĂšs Ă ses chaussettes, il vit quasiment Ă la rue. Les squatteurs lâempĂȘchent de rejoindre sa chĂšre et tendre en ehpad car la vente de sa maison en serait bloquĂ©e… Une version de la rĂ©alitĂ© qui ne parle pas de lâabsurditĂ© de possĂ©der des rĂ©sidences secondaires quand dâautres sont Ă la rue. En tous cas, les dĂ©s sont jetĂ©s, tous les opportunistes peuvent entrer en scĂšne.
Ah, en fait, câest lâhistoire de Bassem, influenceur sur les rĂ©seaux sociaux, autoproclamĂ© justicier 2.0. Selon lui, il est inacceptable que des personnes sâorganisent par elles-mĂȘmes pour vivre dans des maisons vides. Sans chercher Ă comprendre les tenants et aboutissants de lâaffaire, il sâĂ©rige en defenseur de la propriĂ©tĂ© privĂ©e. Il balance alors des vidĂ©os sur le net et appelle tout un chacun Ă venir en aide au proprio et Ă mettre fin Ă cette “injustice”. Au cas oĂč ce nâĂ©tait pas encore clair, Bassem a quelques penchants rĂ©actionnaires, et saupoudre allĂšgrement ses dires de propos vantant les organisations identitaires et nationalistes. La mayonnaise prend. Le temps des rĂ©seaux est celui oĂč les debats politiques et les conflits Ă©thiques sont remportĂ©s grace au nombre de followeurs, oĂč lâindignation et la spontanĂ©itĂ© Ă©clipse la rĂ©flexion et le recul.
Câest plutĂŽt lâhistoire de gens dont le mĂ©tier est de nous marteler les rĂšgles dâun jeu quâon nâa pas choisi et qui nous est imposĂ©. Un jeu rĂ©gi par lâargent oĂč rĂšgne lâexploitation des riches sur les pauvres. Un jeu oĂč la Famille, la PropriĂ©tĂ© et le Travail sont les atouts sacrĂ©s. Alors quand on les contacte pour leur parler dâune maison volĂ©e, ils foncent devant la maison, camĂ©ra Ă la main. Ils harcĂšlent pour un bout dâimage, sâinvitent chez les voisins pour pouvoir rassasier leur curiositĂ© malsaine et leur soif de sensationnalisme. Qui sont donc ces terribles voleurs de maison, on a hĂąte de savoir, de les montrer du doigt. Mais surtout, il est urgent que “JUSTICE SOIT FAITE”. Alors tels de preux chevaliers, les journalistes nous racontent cinq jours durant les incroyables Ă©popĂ©es de… pas grand choses en fait. Si ce nâest de gens qui voulaient vivre dans une maison vide et qui se font harceler pour la quitter.
Mais câest aussi lâhistoire de personnes qui ne jurent quâen tricolore. Ils sâennuient dans leur petite vie oĂč la haine de lâautre est lâunique langage. Ils attendent un bout dâos Ă ronger, une nouvelle passion haineuse Ă partager. Quand ils apprennent quâune maison est squattĂ©e et quâen plus cette maison appartient Ă un vieux “bien de chez nous”, la fachosphĂšre se lĂšche les babines, et profite de la tribune ouverte Ă lâoccasion pour se rencontrer et se renforcer. Alors eux aussi ils se mettent Ă harceler, insulter… mais attention, pour dĂ©fendre la veuve et lâorphelin, ou dans ce cas plutĂŽt le vieux bourgeois. Ils se rassemblent derriĂšre cette phrase affichĂ©e par tous les mĂ©dias : “Que Justice soit faite”.
Attends, je crois que câest aussi lâhistoire de gens qui gĂšrent un commerce. Ils ont leurs petites heures et leurs petites valeurs ; câest vrai que leur travail est hors la loi. Mais un travail est un travail. Ils adorent raconter que ce sont de vrais bandits et quâils dĂ©testent la police mais certains la dĂ©testent surtout quand elle les empĂȘche de faire leur travail. Car les sous câest vraiment sacrĂ©. La maison du vieux, sans doute quâils sâen foutent au fond. Le problĂšme, câest de ne pas pouvoir bosser. Et la prĂ©sence de la police et des mĂ©dias devant la maison les en empĂȘcherait. Alors eux aussi menacent, frappent et vont jusquâĂ collaborer avec cette fameuse police quâils prĂ©tendent dĂ©tester. Car oui faut bien gagner sa croute, et tant pis pour les dommages collatĂ©raux.
Câest une histoire pas trĂšs jolie et vieille comme le monde. Lâhistoire de gens qui ont chacun leur petit intĂ©rĂȘt Ă dĂ©fendre, du coin de deal Ă la propriĂ©tĂ© privĂ©e en passant par la tribune politique, et sâallient pour virer ceux qui dĂ©rogent aux rĂšgles. Lâhistoire aussi dâhonnĂȘtes citoyens qui ne supportent pas lâidĂ©e de la triche, que certains aient lâaffront de vivre dans une maison quâils nâont ni mĂ©ritĂ©e Ă la sueur de leur front, ni acquise par hĂ©ritage Ă travers les liens du sang.Câest lâhistoire dâune maison vide qui est Ă nouveau vide. Mais câest une histoire qui pourrait en devenir dâautres, un peu plus jolies. Lâhistoire Ă Ă©crire de personnes qui en ont marre de la guerre entre pauvres, sâen prennent Ă leurs proprios quâils ne veulent plus engraisser plutĂŽt quâau galĂ©rien du coin, luttent contre les affaires juteuses de la mafia de la spĂ©culation immobiliĂšre, dĂ©cident dâun coup de poker de vivre leur vie comme ils en ont envie, sans chefs, sans thune, sans propriĂ©tĂ© privĂ©e et sans exploitation.
Source: Iaata.info