AVERTISSEMENT PRELIMINAIRE : ce texte ne vise nullement à « flinguer » Philippe Corcuff au service de telle ou telle organisation, secte ou coterie concurrente. Il a simplement pour but de rĂ©affirmer certaines positions matĂ©rialistes qui me semblent toujours utiles aujourdâhui ; Ă inciter les militants, sâils le souhaitent, Ă rĂ©flĂ©chir Ă la nocivitĂ© des discours identitaires postmodernes dominants Ă gauche et Ă lâextrĂȘme gauche et dans les milieux libertaires ou ceux qui se proclament « radicaux » aujourdâhui ; et Ă rappeler que les Ă©crits dâun universitaire, fĂ»t-il partisan de causes qui sont aussi les nĂŽtres (la dĂ©fense des droits des sans-papiers , la lutte contre lâantisĂ©mitisme, le racisme antimusulmans et lâextrĂȘme droite, par exemple), doivent ĂȘtre soumis Ă la critique et confrontĂ©s Ă dâautres recherches, militantes ou pas, sans cĂ©der au copinage sans principes, ou Ă pire Ă lâomerta, si rĂ©pandus dans les milieux dits « radicaux ».
SECONDE PRECISION : ayant publiĂ© un Inventaire de la confusion dans la revue Ni patrie ni frontiĂšres en 2011, il y a dix ans, je pense dĂ©sormais que les termes de « confusionnisme » et de « confusionnistes », utilisĂ©s pour saisir des rĂ©alitĂ©s mouvantes [A1] sont trĂšs insuffisants. En effet, si lâon en prend en compte lâhistoire longue du mouvement ouvrier et de ses courants intellectuels, ou des courants qui lâont influencĂ©, on ne peut se contenter de sâexclamer « Ah mais, câest du confusionnisme ! », lorsque des militants ou des intellectuels de gauche, dâextrĂȘme gauche ou anarchistes, aujourdâhui, tiennent des discours nationalistes, populistes, complotistes et/ou antisĂ©mites.
Au sein mĂȘme des Ă©crits de la gauche (au sens large) depuis les origines du mouvement ouvrier (chez Marx, Proudhon, Bakounine, et leurs disciples, et chez les syndicalistes rĂ©volutionnaires) sont prĂ©sents de grosses scories, voire des Ă©lĂ©ments de virus mortels, nationalistes, conspirationnistes, antisĂ©mites, populistes, etc. Rien ne sert de se scandaliser parce que ces Ă©lĂ©ments rĂ©apparaissent aujourdâhui, sous de nouvelles formes.
Comme je lâĂ©crivais en 2011, « Il ne sâagit pas ici de reprendre la thĂšse banale de âla convergence des extrĂȘmesâ, mais plutĂŽt de souligner que, notamment depuis la disparition du camp des Etats staliniens, depuis la fin de la guerre froide, et grĂące Ă lâusage intensif dâInternet par les militants et sympathisants dâextrĂȘme gauche sâest dĂ©veloppĂ©e une sous-âcultureâ anticapitaliste, antisioniste et anti-impĂ©rialiste rĂ©actionnaire, ou anti-impĂ©rialiste Ă sens unique car dirigĂ©e contre un seul âimpĂ©rialismeâ ou une seule puissance (les Etats-Unis), et (presque) jamais contre sa propre bourgeoisie. »
Et je poursuivais : « On observe une porositĂ©, voire une interchangeabilitĂ©, croissante des concepts utilisĂ©s par lâextrĂȘme droite et lâextrĂȘme gauche. Cela est dĂ» en partie : Ă lâabandon, par lâextrĂȘme gauche, de la rĂ©fĂ©rence au rĂŽle central du prolĂ©tariat dans les mouvements sociaux (et donc dans la future rĂ©volution sociale) ; Ă lâabandon de la rĂ©fĂ©rence au communisme (sociĂ©tĂ© sans classes, sans salaires, sans propriĂ©tĂ© privĂ©e et sans Etat) ; et Ă la disparition de toute rĂ©fĂ©rence Ă la nĂ©cessitĂ© dâun affrontement violent avec lâEtat bourgeois . La disparition de ces trois points programmatiques (centralitĂ© du prolĂ©tariat mondial, usage stratĂ©gique de la violence contre lâEtat et projet communiste) ne sâest pas traduite par un approfondissement de la rĂ©flexion des ârĂ©volutionnairesâ, mais par un formidable retour en arriĂšre, facilitĂ© par lâabsence de connaissance de lâhistoire du mouvement ouvrier chez les jeunes gĂ©nĂ©rations militantes. »
Et les camarades de Mouvement communiste ajoutaient, pour leur part : « Lâabandon de ces trois points programmatiques ne peut tout expliquer ; en effet, des camarades ayant abandonnĂ© ces points programmatiques ne sont pas forcĂ©ment tombĂ©s dans la connivence confuse avec les idĂ©es dâextrĂȘme droite. Il faut donc identifier au moins une deuxiĂšme cause : les positions dĂ©jĂ erronĂ©es dĂ©fendues par les groupes et courants dâextrĂȘme gauche aprĂšs 1968 (mais dont certaines viennent dâencore plus loin) et qui ont pu sâĂ©panouir aprĂšs lâabandon de ces points programmatiques. Ces positions plus simplistes Ă©taient dâailleurs partagĂ©es, en partie ou en totalitĂ©, par des courants plus proches de lâextrĂȘme droite. Il sâagit de : la caractĂ©risation des pays capitalistes comme impĂ©rialistes, suivant lâanalyse de LĂ©nine ; lâopposition erronĂ©e entre un capitalisme financier âprĂ©dateurâ et un capitalisme industriel âsainâ, opposition implicite chez LĂ©nine, comme chez Hilferding, thĂ©oricien de la DeuxiĂšme Internationale ; lâincomprĂ©hension de ce que furent le fascisme et le nazisme. »
Le chantier est donc vaste et nous ne pourrons compter sur notre Candide pour nous aider Ă y voir plus clair, bien au contraire….
Y.C., Ni patrie ni frontiĂšres, 1er novembre 2021
Source: Mondialisme.org