Ămilien Bernard brosse le portrait du « cĂ©lĂšbre Ned Kelly, le roi du bush, le Robin des Bois version kangourous », depuis la destruction des registres de prĂȘts hypothĂ©caires jusquâĂ sa fin quâil voulu Ă©pique et qui deviendra lĂ©gendaire.
Rob Roy, brigand des Highlands, est Ă©voquĂ© par Thomas Giraud avec beaucoup de sensibilitĂ© et dans une prose dâune inĂ©galable Ă©lĂ©gance. Convoyant des troupeaux, ce voleur Ă©cossais en prĂ©lĂšve dans la plus grande discrĂ©tion une infime partie. « Ces moutons et ces brebis dĂ©robĂ©s, il les redistribue, il Ă©galise. » Puis, un jour, câest le troupeau tout entier. « Avant Adam Smith et un peu diffĂ©remment, il se trouve des airs de main invisible dans cette capacitĂ© dĂ©sarmante, et dĂ©sarmĂ©e, Ă ĂŽter autant avec si peu. » Pourtant, « il ne se sent pas voleur, ce nâest pas ainsi quâil se nommerait, enfin pas vraiment, pas complĂštement. Il a une explication lĂ -dessus, solide, dĂ©finitive et efficace. La voici. Quâest-ce quâĂȘtre un voleur ? Dâune, les dĂ©finitions des livres, des recueils de droit et de jurisprudence nâaident pas, elles confondent la cause et la consĂ©quence. De deux, il a notĂ© que le voleur est toujours celui que les puissants dĂ©signent comme tel en identifiant de maniĂšre bien opportune des intĂ©rĂȘts, des biens qui ne peuvent passer entre dâautres mains sans lâaccord prĂ©alable des possĂ©dants. Celui qui prend de la nourriture pour survivre, juste ce quâil faut, une pomme pour un repas, un peu de farine pour un pain, est-ce un voleur ? Et celui qui fait un travail et, dans le cadre de celui-ci, prĂ©lĂšve un peu plus afin de redistribuer une partie de ce supplĂ©ment Ă dâautres, Ă dâautres qui ont peu, ou beaucoup moins, qui ne mangent pas toujours Ă leur faim, qui nâont ni noms, ni couteaux, ni terre ? Est-ce vraiment un voleur ? » Le rĂ©cit de son errance pour Ă©chapper Ă ses poursuivants est tout simplement sublime.
Lâenfance de Hend U Merri, lâinsoumis kabyle, est racontĂ©e par Sarah Haidar, sa rencontre prĂ©coce avec la faim, avec lâinjustice. Il devient rapidement dangereux et passe Ă lâattaque, car ne demandait pas « lâamĂ©lioration dâun monde mais son abolition ».
La vie de Phoolan Devi est dâune rare violence : « Je suis nĂ©e moins quâun chien, mais je suis devenue une reine » explique son autobiographie. Indienne, issue de la plus basse des castes, mariĂ©e Ă 11 ans, violĂ©e, rejetĂ©e, elle rejoindra les dacoĂŻts et deviendra leur cheffe, pour rĂ©pandre la vengeance, avant dâĂȘtre assassinĂ©e, en 2001. La postĂ©ritĂ© sâempare alors de sa lĂ©gende, des statuettes Ă son effigie vendues sur les marchĂ©s jusquâĂ ce rĂ©cit poignant, imaginĂ© par Linda LĂȘ.
PlutĂŽt que de proposer une classique reconstitution Ă©pique et linĂ©aire, chacun des auteurs sâefforce dâutiliser une forme narrative appropriĂ©e, relevant bien souvent plutĂŽt de lâĂ©vocation. Ainsi Patrick PĂ©cherot glane autant aux sources historiques quâĂ la mĂ©moire populaire pour restituer la personnalitĂ© de Cartouche, lui donnant tantĂŽt le visage de Jean-Paul Belmondo dans le film Ă©ponyme, que celui que lui prĂȘte une gravure dĂ©nichĂ©e sur les quais, dans le bac dâun bouquiniste.
Serge Quadruppani restitue un Sante Notarnicola plus vrai que nature, en partie Ă lâaide de ses Ă©crits autobiographiques, partant de sa remise en semi-libertĂ© aprĂšs vingt annĂ©es passĂ©es en prison, remontant Ă son arrestation, Ă son procĂšs, Ă son enfance Ă Bari, son premier coup avec sa bande, les Ă©meutes de juillet 1962, piazza Statuto Ă Turin.
SĂ©bastien RutĂ©s sâĂ©chine Ă brosser le portrait de Joaquim Murieta, bandit californien, ou mexicain, ou chilien, grĂące Ă un rĂ©cit polyphonique dans lequel sâexpriment autant Octavio Paz et Pablo Neruda que toutes sortes de personnages imprĂ©gnĂ©s de sa lĂ©gende.
Enfin Jean-Luc Sahagian sâintĂ©resse aux cĂ©lĂšbres hors-la-loi du Nordeste brĂ©silien, Maria Bonita, LampiĂŁo et leur bande de Cangaceiros, selon un procĂ©dĂ© assez voisin, rapportant comme des documents dâenquĂȘte : tĂ©moignages dâun compagnon de route, description dâimages collectĂ©es dans la presse populaire ou au musĂ©e anthropologique de Salvador de Bahia, carnets dâun cinĂ©aste assassinĂ© alors quâil prĂ©parait un film sur eux, article de la Revue de lâinstitut des sciences sociales de SĂŁo Paulo qui explique : « Ils sont dĂ©jĂ pure image et cela sera encore renforcĂ© par leur disparition tragique. En effet, leur exĂ©cution est pensĂ©e avant tout dans lâidĂ©e de briser cette image, montrer leur faiblesse, souiller le glamour, en exposant leurs tĂȘtes et en diffusant largement les photos de ces atrocitĂ©s. Mais, paradoxalement, cela jouera en leur faveur, comme pour le Che qui acquiert ainsi, post-mortem, une aura christique. En surexposant leur mort, en tentant de salir, lâĂtat brĂ©silien de GetĂșlio Vargas ne fait quâaffirmer la part infĂąme de la rĂ©pression et lâhĂ©roĂŻsme des hors-la-loi. Ils sont mĂȘme sanctifiĂ©s par la maniĂšre ignoble dont on a disposĂ© de leurs corps (exposant leurs crĂąnes dans un musĂ©e) et, comme des saints, ils deviennent ainsi des corps souffrants mais triomphants, triomphants car souffrants ! »
Une belle collection de hors-la-loi dĂ©fiant lâordre Ă©conomique, social et politique. En espĂ©rant que dâautres volumes suivront.
BANDITS ET BRIGANDS
Ămilien Bernard, Thomas Giraud, Sarah Haidar, Linda LĂȘ, Patrick PĂ©cherot, Serge Quadruppani,SĂ©bastien RutĂ©s, Jean-Luc Sahagian
210 pages â 19 euros
Ăditions LâĂchappĂ©e â Collection « Lampe-tempĂȘte » â Paris â Novembre 2020
www.lechappee.org/collections/lampe-tempete/bandits-et-brigands
Source: Lundi.am