La chose est connue, la CanebiĂšre se transforme et certains aimeraient en faire la nouvelle rambla française. On y met du nouveau goudron, on te la nettoie, on te la repeint, on y met la biennale dâart contemporain et on y chasse les pauvres. Dans ce tableau dĂ©sastreux, un dĂ©tail â certes moins grossier que lâhĂŽtel de luxe collĂ© Ă Noailles â devrait toutefois attirer notre attention : lâexposition « la dent creuse, cartographie de la colĂšre » Ă la mairie des 1er et 7e arrondissements. Dans cette exposition financĂ©e par la rĂ©gion, on y parle du « drame de la rue dâAubagne » qui aurait enclenchĂ© un « rĂ©veil des citoyens » auquel « dâautres colĂšres se sont mĂȘlĂ©es : les gilets jaunes, les femmes, le climat, les lycĂ©ens. », â Jâaimerais trĂšs sincĂšrement comprendre ce que peut ĂȘtre « la colĂšre du climat » mais ce nâest pas ma question. Les artistes, apparemment sur une bonne piste, ont dĂ©cidĂ© « de capter lâexpression symptomatique dâune colĂšre plus large, imbriquant les piĂšces apparemment disparates dâun seul et mĂȘme puzzle » Ă lâoccasion des deux ans du « drame », et ce, au « fil des marches, des revendications, des solidaritĂ©s, des mobilisations et des affrontements » ce qui au bout du compte devient cinq ou six photos et quelques phrases vides.
En effet, Ă lâhiver 2018, les immeubles sâeffondraient et les barricades sâenflammaient ; la lutte contre la gentrification entrait dans une nouvelle phase qui elle-mĂȘme sâinscrit dans une histoire plus vaste, une tradition anarchiste plus quâun « rĂ©veil de citoyens » en vĂ©ritĂ©. Ă cette occasion la CanebiĂšre Ă©tait le théùtre dâaffrontements violents avec les forces de lâordre et une plaque tournante des luttes. Ni « colĂšre qui se mĂȘle » ni pique-nique. En revanche, les manifestant.e.s les plus tĂ©mĂ©raires montaient des barricades avec des Ă©chafaudages et brĂ»laient les sapins de NoĂ«l de la ville. Nous attaquions les magasins de luxe et le Mercure encore en travaux, nous occupions les futurs locaux de Manifesta, redoutant leur installation futur. Et surtout, ne lâoublions pas ! Nous attaquions la mairie des 1er et 7e arrondissements. Nous attaquions ces vitres qui furent brisĂ©es, coloriĂ©es, affichĂ©es puis calfeutrĂ©es, protĂ©gĂ©es et cachĂ©es. En ce temps, le message Ă©tait clair et sâadressait Ă©galement aux personnes les plus proche de nous : gentrificateurs par lâart, nous ne sommes pas vos amis ! DĂ©cideurs publics collabos, cachez vous ! Ă ce moment lĂ , nous nâentendions pas trop parler des artistes et la mairie sâĂ©tait claquemurer derriĂšres des panneaux de bois comme une vulgaire banque.
gaz lacrymogĂšnes, un gilet-jaune dans la foule, un diptyque de feu de poubelle â il y a de quoi ĂȘtre en « colĂšre » justement, parce que la « rage » est passĂ©e de lâautre cĂŽtĂ© de la vitre.
Ă ce sujet, la sagesse populaire est sans dĂ©tour : il nây a que deux cĂŽtĂ©s Ă une barricade : celui des ami.e.s et celui des ennemis. Il nây a que deux cĂŽtĂ©s Ă une vitrine : celui de la vie et celui de la marchandise. Dans cette exposition rĂ©voltante, la « colĂšre » â notre colĂšre Ă lâorigine â est devenue marchandise. Marchandise culturelle, gratuite peut-ĂȘtre, mais marchandise quand mĂȘme. La « rage », notre rage, est devenue reprĂ©sentation. La vitre qui hier Ă©tait la surface de lâexpression populaire : casse, bris, collages, tags est maintenant une sĂ©paration. Mais il ne sâagit pas seulement dâun problĂšme de mise en images du monde, certes la contestation elle-mĂȘme est devenue image, une image lisible, traduite dans un langage institutionnel â en lâoccurrence quelques cadres et des murs blancs au rez de chaussĂ© de la mairie de proximitĂ©. Mais il sâagit surtout dâune dĂ©possession. De celui, badaud, qui se retrouve spectateur sĂ©parĂ© de ces propres gestes : tenir la banderole, cramer un fumi â y compris de gestes qui sont scandaleux pour cette mĂȘme institution et largement criminalisĂ©s, comme allumer un feu par exemple. Le spectateur est sĂ©parĂ© de ces propres mots et de ces propres Ă©motions : « colĂšre », « rage », « contestation », de ces couleurs : rouge, orange, jaune. Dans le monde rĂ©ellement renversĂ©, le vrai est un moment du faux dirait Guy Debord, nous disons : le manifestant esseulĂ© face Ă la reprĂ©sentation de sa manifestation est comme un con.
Je vois dĂ©jĂ les Ă©ternels rĂ©formistes rouler leurs gros yeux vers le ciel et les artistes, si naĂŻfs quâils en deviennent navrant, tomber des nues. Pourtant, il faut bien le dire : cette exposition dĂ©possĂšde, aliĂšne, dĂ©sarme la contestation et par-dessus le marchĂ© tout en valorisant la fausse alternative Ă©lectoraliste, rĂ©pare lâimage dâune institution honnit. Ces artistes qui prĂ©tendent combattre « avec nous » â câest-Ă -dire en nous filmant justement quand il ne le faut pas â volent au secours des institutions bourgeoises. Ce sont encore eux qui repeignent aprĂšs lâĂ©meute, ramassent les mĂ©gots Ă la plaine et Ă©teignent les feux de poubelles, sauf les gros, quâils se hĂątent de prendre en photo. Les responsables dâune telle usurpation sont connus, ce sont les mĂȘmes depuis des annĂ©es, sauf quâils se sont emparĂ©s de la mairie et ont pu y mettre leurs photos de merde. Ce sont les artistes et les politiciens dit « de gauche ». Tous des traĂźtres. Parfois, lors dâune exposition par exemple, les artistes doivent bien donner leurs noms. LâidentitĂ© des deux « artistes » â le mot tend Ă devenir une insulte â exposantes Ă la mairie se trouve facilement sur lâaffiche officielle et lâadresse de leur association est indiquĂ©e sur le site BFMverif. Nous en profiterons pour glisser dans leur boĂźte aux lettres un mot expliquant nos dĂ©saccords.
Ce qui est effrayant dans cette affaire ce nâest pas lâincroyable bĂȘtise qui pousse certain.e.s ignorant.e.s Ă agir nâimporte comment sans se soucier des autres, mais bien la vitesse avec laquelle les mĂ©canismes de rĂ©cupĂ©ration fonctionnement. La vitesse avec laquelle le gilet-jaune rĂ©putĂ© irrĂ©cupĂ©rable Ă su se retrouver sous cloche. Il est aussi frappant de voir la mairie fraĂźchement installĂ©e â et tous ceux quâelle reprĂ©sente : les artistes-naĂŻfs et autres bourgeois inavouĂ©s porteurs de lâidĂ©alisme ambiant â avoir le rĂ©flexe stupide de mettre un gilet-jaune sur le devant de son pare-brise comme un automobiliste qui ne veut pas ĂȘtre emmerdĂ© au rond-point. Plus quâune appropriation symbolique qui ne trompe personne, câest pour eux un grigri, une amulette quâils espĂšrent efficace pour les protĂ©ger de « la contestation », de « la colĂšre » et de « la rage ». Plus ils lâenferment dans un cadrage « la contestation » plus ils sâen espĂšrent protĂ©gĂ©. Dans ce cirque, les artistes sont des sorciers corrompus au service des dominants. Toute cette armĂ©e de techniciens de lâart et de la culture Ă©crasante servent le Spectacle et nourrissent la confusion. Cette bataille contre le Spectacle il ne faut pas lâoublier, car il sâagit du rouage le plus perfectionnĂ© de la machine Ă rĂ©cupĂ©ration et Ă valorisation capitaliste. Son incommensurable capacitĂ© Ă retourner nos propres forces contre nous. La sociĂ©tĂ© du Spectacle nâest pas quâun livre incomprĂ©hensible Ă©crit par un vieux fou comme on veut bien nous le faire croire. La sociĂ©tĂ© du Spectacle câest lorsque tout ce quâon vit sâĂ©loigne dĂ©jĂ dans une reprĂ©sentation. Câest notre stupĂ©faction solitaire devant la vitrine de la mairie du 1e et 7e arrondissement, et lâimpuissance qui sâen dĂ©gage. Et les consĂ©quences de la sociĂ©tĂ© du Spectacle nous les connaissons aussi : câest la lĂąchetĂ© de nos liens, lâinconsistance de notre rĂ©sistance. Câest la sensation qui parfois sâempare de nous, quâil nây a rien de solide derriĂšre, ni communautĂ©s ni joies profondes. Câest cette dĂ©sagrĂ©able impression que ce qui nous entoure nâest quâun dĂ©cor de cinĂ©ma. Câest cette raretĂ© des lieux et des temps rĂ©ellement partagĂ©s. Câest aussi la CanebiĂšre comme toboggan pour touristes et le vieux port comme zoo de la marchandise. Pour lutter contre le Spectacle nous devons construire des lieux, permettre des Ă©changes et des liens intenses. CrĂ©er des Ă©vĂ©nements, faire advenir des situations. Nous savons que pour cela les leçons de lâart sont incontournables. Câest dans nos lieux, centre sociaux autogĂ©rĂ©s, bars et fĂȘtes clandestines que peuvent advenir des situations. Pour cela, nous voulons compter sur les artistes, les vrai.e.s, ceux et celles qui sâallient, ceux et celles qui dĂ©sertent. Ceux et celles qui, Ă la place dâun pouvoir misĂ©rable dans la machine Ă broyer capitaliste, optent pour devenir des artisans de la vie nouvelle.
ARTISTES 2 MERDE POLITISEZ VOUS !
ARTISTES 2 MERDE REJOIGNEZ NOUS !
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Source: Mars-infos.org