En 2019, Juan Solanas avait livrĂ© un puissant film sur le processus juridique qui avait amenĂ© au rejet par le SĂ©nat du projet de loi lĂ©galisant lâavortement votĂ© pourtant par la Chambre des dĂ©putĂ©s argentins, malgrĂ© une mobilisation impressionnante, par millions dans les rues. Le film Femmes dâArgentine. Que sea ley avait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© Ă Cannes, ovationnĂ© par de nombreuses artistes arborant le foulard vert des argentines (Cf. Monde libertaire n°1816, p. 41). Eh bien les femmes, les jeunes, la population ont Ă©crit la page suivante et la loi est ! Le 30 dĂ©cembre 2020, le SĂ©nat a ratifiĂ© la lĂ©galisation de lâavortement jusquâĂ la 14e semaine de grossesse, par 38 voix pour, 29 contre et une abstention.
Jusquâici, lâavortement nâĂ©tait autorisĂ© quâen cas de viol ou de grand danger pour la vie de la mĂšre, selon une loi datant de 1921. Hormis ces cas, lâavortement Ă©tait pĂ©nalisĂ© : entre un et quatre ans de prison pour la femme qui avorte et six ans pour ceux et celles lâayant aidĂ©e. Selon le gouvernement, entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins sont pratiquĂ©s chaque annĂ©e dans ce pays de 44 millions dâhabitants, soit, 29 000 par mois, 970 par jour, 40 par heure. Soit aussi par an, 38 000 femmes hospitalisĂ©es pour complications dâavortements clandestins et 20 % de dĂ©cĂšs en couches concernant les avortements (Ă lâĂ©chelle mondiale, 11 %).
Le texte autorisant lâavortement avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© approuvĂ© le 11 dĂ©cembre dernier par les dĂ©puté·es, par 131 voix, 117 contre et 6 abstentions, deux ans et demi aprĂšs lâĂ©chec de la premiĂšre tentative. En 2018, le SĂ©nat avait rejetĂ© par sept voix un texte similaire. Cette fois ci, le projet de loi a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par le pouvoir exĂ©cutif et non par le Collectif Campagne nationale pour le droit Ă lâavortement lĂ©gal, sĂ»r et gratuit qui rĂ©unit quelque 700 organisations. Il est signĂ© par le prĂ©sident, Alberto Fernandez, qui en avait fait une promesse de campagne.
Le 30 décembre 2020, désormais une date historique en Argentine
Une immense victoire donc aprĂšs des annĂ©es de mobilisation, de manifestations gigantesques dans les rues, de dĂ©ferlantes de foulards verts pour exiger EducaciĂłn sexual par decidir [note] , Anticonceptivos para no abortar [note] , Aborto legal para no morir [note] . Le 30 dĂ©cembre 2020 est dĂ©sormais une date historique en Argentine. Câest une victoire sur les rĂ©actionnaires de tous poils, catholiques et Ă©vangĂ©liques, trĂšs prĂ©sents tant dans les allĂ©es du pouvoir que dans les campagnes les plus Ă©loignĂ©es. Ceux lĂ -mĂȘmes ont reçu lâappui du pape François, argentin, en plein dĂ©bat au SĂ©nat : sur @Pontifex, « le fils de Dieu est nĂ© rejetĂ© pour nous dire que toute personne rejetĂ©e est un enfant de Dieu. Il est venu au monde comme un enfant vient au monde, faible et fragile, afin que nous puissions accepter nos faiblesses avec tendresse. » Pas trĂšs explicite, certes, mais interprĂ©tĂ© comme un rejet du texte prĂ©sentĂ© en cette fin dâannĂ©e 2020.
Le texte adoptĂ© prĂ©voit pour toutes les femmes et « personnes gestantes » (femmes et hommes trans) de plus de 16 ans la possibilitĂ© dâavorter sur simple demande. Il permet les avortements thĂ©rapeutiques jusquâĂ la fin de la grossesse en cas de danger pour la santĂ© de la personne enceinte et en cas de viol. Lâavortement peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© par voie mĂ©dicamenteuse ou chirurgicale, et dans un dĂ©lai de dix jours maxima aprĂšs la demande exprimĂ©e. Les mineures de moins de 13 ans doivent ĂȘtre accompagnĂ©es par au moins un de leurs parents ou un tuteur. Entre 13 et 16 ans, lâavortement est possible dans le cadre dâun article du code civil qui stipule que les personnes ayant « lâĂąge et la maturitĂ© suffisants peuvent exercer seules les actes permis par la loi », mais quâen situation de conflit avec les reprĂ©sentants lĂ©gaux, elles peuvent se faire assister par une aide juridique. Cependant, une ombre de taille : le texte permet lâobjection de conscience des mĂ©decins et des institutions, ce qui peut constituer un obstacle pour les droits des femmes en favorisant le risque de non accĂšs Ă lâavortement.
Ainsi lâArgentine rejoint les quatre autres pays de la rĂ©gion, Cuba, lâUruguay, le Guyana et la province de Mexico, les seuls Ă autoriser lâavortement sans condition en AmĂ©rique latine. EspĂ©rons que les forces verdes, puissent faire appliquer cette loi, malgrĂ© les obscurantistes anti-avortement, celestes, et quâun vent mobilisateur souffle sur toute la rĂ©gion latino-amĂ©ricaine.
HélÚne Hernandez
Groupe Pierre Besnard
Source: Monde-libertaire.fr