Une date annuelle
Le 18 dĂ©cembre est une date « traditionnelle » de solidaritĂ© avec les migrant·es. En fait, le 18 dĂ©cembre 1990 lâONU a adoptĂ© une « convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ». Câest donc au dĂ©part plutĂŽt une date des associations dâaide aux Ă©trangers. Le fait que cette date ait Ă©tĂ© retenue comme « acte 4 » des sans-papiers a donc dĂ©jĂ en soi une signification politique. Il nâĂ©tait en effet pas Ă©vident il y a seulement deux ans quâun certain nombre dâassociations de solidaritĂ© se mobilisent pour la rĂ©gularisation de tous et toutes.
Câest la consĂ©quence de la rĂ©ussite des mobilisations prĂ©cĂ©dentes des sans-papiers. Câest aussi le rĂ©sultat dâune tactique qui a su prendre en compte avec intelligence le contexte de la pandĂ©mie de COVID. Depuis le premier confinement, les collectifs de sans-papiers martĂšlent sans relĂąche ce qui devrait ĂȘtre deux Ă©vidences. PremiĂšrement, on ne peut pas lutter efficacement contre une Ă©pidĂ©mie en empĂȘchant lâaccĂšs aux soins et Ă un logement dĂ©cent de dizaines de milliers de personnes. Maintenir les centres de rĂ©tention mĂȘme en pĂ©riode de suspension des transports internationaux, maintenir les sans-papiers dans une situation de clandestinitĂ©, câest maintenir un foyer Ă©pidĂ©mique. DeuxiĂšmement, les sans-papiers ont fait partie massivement des « premiĂšres lignes » contre le COVID, des professions qui sont apparues comme indispensables lors du premier confinement. La sociĂ©tĂ© et lâĂtat leur doivent donc une reconnaissance. Le tout sans perdre le fil de ce qui reprĂ©sente lâargument de fond : lâĂ©galitĂ© des droits.
Poser le 18 dĂ©cembre comme « acte 4 », câĂ©tait donc aussi tisser une alliance politique avec les associations et les syndicats. Ce qui signifie que des questions de fond comme le rapport avec les forces de police ou la question du trajet et des nĂ©gociations avec la prĂ©fecture se sont posĂ©es dans une recherche de consensus.
Une tentative de capitaliser sur les mobilisations précédentes
Le souci actuel du mouvement des sans-papiers, câest que si elles et ils ont rĂ©ussi des mobilisations trĂšs fortes Ă la sortie du confinement, si ce sont eux et elles qui ont marquĂ© le retour de la lutte sociale dĂšs la levĂ©e du confinement, elles et ils nâont rien obtenu pour le moment, mĂȘme pas la rĂ©gularisation de ceux et celles qui ont jouĂ© un rĂŽle indispensable durant le premier confinement. La marche qui aboutissait Ă la manifestation du 17 octobre (acte 3) Ă©tait une tentative dâĂ©largir le mouvement nationalement. CâĂ©tait un pari difficile, car les formes dâorganisation sont trĂšs disparates sur le territoire, de mĂȘme que les nationalitĂ©s concernĂ©es. Il existe un peu partout des associations de solidaritĂ©, mais elles sont plus ou moins fortes, plus ou moins implantĂ©es localement, et plus ou moins politisĂ©es, et parfois plutĂŽt liĂ©es Ă une dĂ©marche religieuse. En revanche, il nâexiste pas partout des collectifs de sans-papiers auto-organisĂ©s, ayant leur propre autonomie politique. Câest plutĂŽt un phĂ©nomĂšne de la rĂ©gion parisienne et de la rĂ©gion de Lille, sans doute du fait de la concentration plus forte de lâimmigration. Un des objectifs de cette marche nationale Ă©tait de tisser des liens pour construire ce type de solidaritĂ©.
Mais pour construire un mouvement, un objectif commun (la rĂ©gularisation de toutes et tous) ne suffit pas, il faut aussi des Ă©chĂ©ances de mobilisation et un espoir de victoire. Sans rien gagner, il y a en effet un gros risque dâessoufflement de la mobilisation. DâoĂč lâappel Ă la mobilisation du 18 dĂ©cembre.
Cette mobilisation a Ă©tĂ© un peu Ă lâimage de celle du 17 octobre. Si on la mesure Ă lâaune des mobilisations actuelles, câĂ©tait une grande rĂ©ussite : des actions dans plus de 60 villes, une manifestation Ă Paris qui avait de lâallure en plein dĂ©but de couvre-feu et moins dâune semaine aprĂšs la rĂ©pression fĂ©roce de la manifestation contre la loi de sĂ©curitĂ© globale. CâĂ©tait une belle manifestation, grĂące aux flambeaux, et dynamique. Le dĂ©ploiement policier Ă©tait impressionnant, la manifestation a Ă©tĂ© encadrĂ©e par les cognes tout le long du parcours. Par contre, ils ne se sont pas montrĂ©s agressifs. Les sommations des flics pour la dispersion ont Ă©tĂ© faites Ă 20h15, et les sans-papiers ont obtempĂ©rĂ© immĂ©diatement. Nous Ă©tions muni·es dâattestations indiquant que nous venions de la manifestation et que si elle Ă©tait autorisĂ©e jusquâĂ 20h, cette autorisation nous couvrait forcĂ©ment le temps de rentrer chez nous. Je ne sais pas quelle est sa validitĂ©, mais il ne semble pas quâil y ait eu de problĂšmes au retour. Je ne sais pas si beaucoup de monde est restĂ© ensuite, mais de toutes façons, câĂ©tait nassĂ© dâavance et toute tentative aurait ressemblĂ© Ă un suicide.
Mais si on considĂšre le nombre de manifestant·es, on peut aussi parler dâun recul puisque nous Ă©tions entre 1500 et 3000 personnes (lâauteure de ces lignes ne sait toujours pas compter le nombre de manifestant·es malgrĂ© son Ăąge avancĂ©…). Donc, une trĂšs belle mobilisation compte tenu des circonstances, mais un mouvement qui nâarrive pas Ă gagner en ampleur numĂ©rique. Il y avait beaucoup de collectifs de sans-papiers. La mobilisation syndicale Ă©tait moindre quâespĂ©rĂ©.
Il y a eu aussi une tentative politique qui a Ă©chouĂ©. Les collectifs ont en effet essayĂ© de sâappuyer sur des dĂ©clarations de la gĂŽche officielle pour demander Ă la mairie de Paris dâaccorder une carte de rĂ©sident·e (qui nâaurait eu de valeur que symbolique et non juridique bien sĂ»r), et Ă titre de test, lâautorisation dâoccuper le parvis de lâhĂŽtel de ville (Ă cĂŽtĂ© des festivitĂ©s de NoĂ«l). La rĂ©action dâAnne Hidalgo a Ă©tĂ© brutale : elle a demandĂ© Ă la PrĂ©fecture de mettre en Ćuvre tous les moyens pour empĂȘcher les manifestant·es dâapprocher du parvis. Ce qui a Ă©tĂ© fait comme on vous lâa indiquĂ© plus haut. Ăa ne fera quâune dĂ©monstration de plus de lâhypocrisie du PS.
Quelques victoires tout de mĂȘme
Quand jâĂ©cris que rien nâa Ă©tĂ© obtenu, je force quand mĂȘme un peu le trait. Il vous a Ă©tĂ© rendu compte rĂ©guliĂšrement dans la rubrique « sans frontiĂšres » de grĂšves pour la rĂ©gularisation, et de ce cĂŽtĂ©, des victoires continuent dâĂȘtre obtenues. Il faut saluer notamment la victoire des « Chronopost » qui ont rĂ©ussi Ă inclure dans la rĂ©gularisation non seulement ceux et celles qui travaillaient pour Chronopost, mais aussi une partie de celles et ceux qui sont venu·es les soutenir et ont participĂ© Ă la mobilisation. Ce type de mouvement continue, parfois auto-organisĂ© par les sans-papiers, parfois sous la banniĂšre Sud et parfois sous la banniĂšre CGT. Comme toute action du mouvement ouvrier en gĂ©nĂ©ral, ça ne fait pas tellement de bruit mĂ©diatique, mais ça continue, et ça continue dâautant plus quâelles et ils obtiennent ainsi satisfaction, mĂȘme si câest aprĂšs des combats Ăąpres et trĂšs longs.
Et câest aussi un des enjeux de cet acte 4 de la mobilisation. Visibiliser ces luttes dâabord. Mais aussi articuler une revendication gĂ©nĂ©rale de rĂ©gularisation des sans-papiers avec le combat qui se mĂšne au quotidien de rĂ©gularisation par le travail. Et il faut relever la prĂ©sence constante des collectifs de lutte tels que les Chronopost ou les frichtis dans toutes les manifestations de sans-papiers, au-delĂ de banniĂšres politiques ou syndicales divergentes.
Le combat des sans-papiers pour leur rĂ©gularisation ne date pas dâhier, mais nous sommes bien dans une pĂ©riode de mobilisation importante et prometteuse. VoilĂ qui tranche avec la situation gĂ©nĂ©rale. VoilĂ aussi la meilleure rĂ©ponse aux discours puants que nous dĂ©versent constamment les grands mĂ©dias.
Sylvie
Encadré : Ailleurs en France
Parmi les nombreux rassemblements de province (une soixantaine) :
- 200-300 personnes Ă Bayonne pour un rassemblement aux flambeaux, musique, danse, prises de parole et participation active de jeunes migrants subsahariens
- 250-300 personnes à Foix avec déambulation
- Ă Limoges, le rassemblement Ă©tait co-organisĂ© principalement par le collectif âChabatz dâEntrar (voir CA N°290 et 299), les habitants du squat de lâavenue de la RĂ©volution, lâassociation des Sans-Papiers et le syndicat CGT des travailleurs Sans-Papiers. Il y a eu environ 400 manifestant·es, quelques flambeaux et instruments de musique. Pratiquement pas dâaffichage dâĂ©tiquettes syndicales ou politiques. Le rassemblement a eu lieu devant la prĂ©fecture pour partir ensuite devant le Conseil DĂ©partemental. Le groupe intervenant spĂ©cifiquement en soutien aux mineurs isolĂ©s avait tenu Ă ce que nous y passions pour pointer lâattitude scandaleuse du CD87 (prĂ©sidĂ© par un socialo, principal de collĂšge retraitĂ©). Lorsque le juge reconnaĂźt quâun jeune est mineur isolĂ©, le prĂ©sident du Conseil dĂ©partemental fait systĂ©matiquement appel en Cour administrative dâappel, espĂ©rant que celle-ci (Ă Bordeaux) casse le premier jugement. Il doit penser que ces quelques mineurs isolĂ©s coĂ»tent Ă lâAide Sociale Ă lâEnfance un « pognon de dingue » comme dirait lâautre. AprĂšs avoir copieusement huĂ© cette attitude nous sommes repartis jusquâĂ la mairie pour quelques prises de parole et une soupe chaude prĂ©parĂ©e par la cantine du squat. En cette soirĂ©e de courses de NoĂ«l en centre-ville, certains passants Ă©taient surpris, mais lâaccueil Ă©tait plutĂŽt sympathique. La flicaille Ă©tait en nombre, mais sans agressivitĂ©.
- Ă Lyon, entre 100 et 200 personnes rassemblĂ©es sur une place proche du centre-ville, mais dans le dernier quartier populaire du coin, lĂ oĂč on trouve encore des vendeurs Ă la sauvette : la GuillotiĂšre. (un coin oĂč il y avait toujours un peu de monde prĂ©sent pendant le second confinement). Des prises de parole diverses, mais pas de dĂ©ambulation (câest Ă cĂŽtĂ© dâune grande artĂšre est-ouest). Pas mal de flics mais trĂšs peu visibles, pas dâincidents.
Source: Oclibertaire.lautre.net