Lâautonomie en France est un phĂ©nomĂšne politique complexe Ă temporaliser. Ses conditions et son contexte dâĂ©mergence sont lâobjet dâintenses dĂ©bats, parmi les autonomes eux-mĂȘmes, au sein dâautres composantes politiques qui sont confrontĂ©s au phĂ©nomĂšne et dans une moindre mesure dans les milieux universitaires. En simplifiant Ă lâextrĂȘme, une thĂšse domine. Lâautonomie serait nĂ©e dans le sillage de lâintroduction des thĂšses du courant marxiste radical opĂ©raiste venu dâItalie. Il sâagirait dâun Ă©piphĂ©nomĂšne Ă©meutier parisien intervenu Ă la fin des annĂ©es 1970 sur fonds de dĂ©composition de la scĂšne de la gauche radicale de la capitale. Ă partir des annĂ©es 1980, il conviendrait de ne parler que de survivances, notamment dans les squats ou sur le terrain de lâantifascisme.
Du point de vue des sources, une telle approche ne tient pas la route. Sâil est Ă©vident que la fin des annĂ©es 1970 correspond en France Ă une sĂ©quence particuliĂšre, tout du moins Ă Paris, des groupes autonomes ont toujours existĂ© en marge des structures organisĂ©es du mouvement rĂ©volutionnaire et dans les luttes. On peut sâaccorder sur le fait que ce que lâon nomme aujourdâhui autonomie tend a qualifier un phĂ©nomĂšne spĂ©cifique dont on peut retracer les premiĂšres formes dâagrĂ©gations collectives jusquâĂ partir de la fin des annĂ©es 1960 et du dĂ©but des annĂ©es 1970. Mais le refus des partis, des systĂšmes de reprĂ©sentations et de dĂ©lĂ©gations, le recours Ă lâaction directe, la perception de la vie privĂ©e comme espace politique, lâexpĂ©rimentation de formes dâorganisations horizontales et dĂ©centralisĂ©es, le refus du travail, pour ne citer que quelques espaces de conflictualitĂ© autour desquels gravitent les autonomes, ne sont ni des espaces nouveaux et inexplorĂ©s de la pratique rĂ©volutionnaire, ni des thĂ©matiques propres uniquement Ă lâautonomie.
Parler dâautonomie revient Ă dessiner les contours dâune aire politique qui ne peut ĂȘtre rĂ©ellement considĂ©rĂ© comme un courant idĂ©ologique Ă part entiĂšre. Elle ne semble avoir aucun corpus thĂ©orique figĂ©, rigidifiĂ© autour de quelques figures, de quelques penseurs aisĂ©ment identifiables. Ă lâinverse, elle apparaĂźt ĂȘtre une multitude de point dâintersection entre des activistes venus dâhorizons politiques diffĂ©rents au sein de tentatives de mettre en pratique ici et maintenant des formes dâorganisations et dâintervention politiques qui rompent avec les formes de dominations et dâoppressions du systĂšme capitaliste. Une aire politique qui a connu des phases dâaccĂ©lĂ©ration, de dĂ©clin, des victoires, des dĂ©faites, sans que le phĂ©nomĂšne ne disparaisse totalement.
En son sein, il est indĂ©niable que certains courants thĂ©oriques ont une influence plus notable que dâautres, selon les pĂ©riodes. Une large part des variantes des courants anarchistes et communistes semblent y ĂȘtre reprĂ©sentĂ©s, notamment dans leurs variantes synthĂ©siste et anti-autoritaire. En cherchant Ă ĂȘtre prĂ©cis, on peut rapidement identifier des influences venues des gauches communistes, en particulier ses versants anti-lĂ©ninistes, de lâanarchisme individualiste, des situationnistes, de lâopĂ©raisme et de ses hĂ©ritiers, du syndicalisme rĂ©volutionnaire, du communisme libertaire pour ne citer que quelques unes des plus significatives.
Ces influences ne sont pas jamais strictement idĂ©ologiques. Elles sâentremĂȘlent avec un large spectre de pratiques et de phĂ©nomĂšnes sociaux, de scĂšnes contre-culturelles, notamment punk et hip hop, dâinfluence gĂ©nĂ©rationnelles ou contextuelles, de luttes et de mouvements sociaux.
En ce sens, lâune des difficultĂ©s Ă documenter lâautonomie est sa trĂšs grande fragmentation, notamment dans le cas de la France. Le vaste agrĂ©gat de collectifs autonomes est loin de reprĂ©senter un ensemble uni et aisĂ©ment identifiable. Certains collectifs se cristallisent autour des thĂ©matiques spĂ©cifiques telles que les luttes pour le logement, les luttes anti-carcĂ©rales ou de solidaritĂ© avec les prisonniers, lâantifascisme, les luttes Ă©cologiques, les luttes ouvriĂšres. Dâautres sont le fruit de ruptures politiques au sein des courants ou des pĂŽles organisĂ©s du mouvement rĂ©volutionnaire et du mouvement ouvrier. Chaque gĂ©nĂ©ration qui investit le champ du politique et de la politique est un terrain propice pour lâautonomie sans que ces phĂ©nomĂšnes dâagrĂ©gation ne suivent un chemin balisĂ© Ă lâavance. La porositĂ© entre lâautonomie et de nombreux courants de la gauche radicale achĂšve souvent de rendre les choses aisĂ©ment perceptible au profane.
Pour un collectif comme le notre, cela veut dire quâil est difficile dâintroduire un minimum dâordre dans le dĂ©sordre. En autres termes, il nâest pas toujours raisonnable de vouloir tout rassembler au sein dâune mĂȘme rubrique. Il est parfois prĂ©fĂ©rable de rassembler les publications selon leur biais thĂ©matiques plutĂŽt que par une appartenance rĂ©elle ou supposĂ©e. Câest particuliĂšrement vrai pour lâautonomie. En ce sens, cette rubrique et ce quâelle contient en dit un peu sur les autonomes dans la mesure oĂč sây trouve concentrĂ©s certaines publications au sein desquels les autonomes ont jouĂ© un rĂŽle significatif. Mais on trouve Ă©galement des publications de collectifs autonomes ou de regroupements auxquels participent des autonomes dans dâautres rubriques du site.
La rubrique est organisĂ©e de maniĂšre chronologique sans respect rĂ©el pour les phĂ©nomĂšnes de filiation qui peuvent exister dâune revue Ă lâautre. On aurait pu grouper MatĂ©riaux pour lâIntervention avec Camarades, Autonomie pour le Communisme ou Nous voulons tout ! Faire de mĂȘme avec Les Fossoyeurs du Vieux Monde et Os Cangaceiros.
Nous avons choisi de passer outre une telle organisation pour plusieurs raisons.
La premiĂšre est que si certaines individualitĂ©s ou collectifs se retrouvent impliquĂ©s dans plusieurs publications qui peuvent se suivre chronologiquement, il nâest pas possible de parler de continuitĂ© au sens strict. Au sein des rĂ©seaux de relations inter-personnelles qui en sont Ă lâorigine, les dynamiques de recompositions nĂ©cessitent de repenser le concept de filiation. Par exemple, MatĂ©riaux pour lâIntervention est une publication Ă cheval entre lâhistoire des gauches communistes et lâautonomie. Une partie de ses animateurs fondent Camarades qui sâinscrit Ă la fois dans une dynamique dâintroduction de lâopĂ©raisme italien en France et comme tentative de construction dâun pĂŽle de lââAutonomie organisĂ©eâ, largement inspirĂ©e du modĂšle italien. Certaines des personnes gravitant autour de Camarades participent Ă Autonomie pour le communisme qui est en grande partie liĂ©e aux tensions qui Ă©mergent dans le sillage de la manifestation des sidĂ©rurgistes lorrains du 23 Mars 1979 au sein de la scĂšne de lââautonomie parisienneâ en pleine dĂ©sagrĂ©gation. Par la suite, Nous voulons tout ! rassemble de jeunes activistes qui Ă©voluaient jusque-lĂ dans le sillage ou en marge des cercles liĂ©s Ă Camarades. Un lien tĂ©nu permet de relier toute ces publications entre elles. Parce quâun certain agrĂ©gat de relations inter-personnelles en est Ă lâinitiative. Mais ces regroupements sont en constante Ă©volution, eux-mĂȘmes traversĂ©s tout autant par des divergences thĂ©oriques que par les expĂ©riences individuelles et collectives de ceux qui les constituent. Les individus vont et viennent au grĂ© des initiatives, des publications.
La seconde raison est que nous estimons nĂ©cessaire de contrer lâhistoire officielle de lâautonomie en France en dĂ©montrant, par le corpus de sources dont nous disposons, que son Ă©mergence nâest pas uniquement liĂ© Ă un simple phĂ©nomĂšne dâimportation du modĂšle italien dâune part et, dâautre part, quâil est risible de considĂ©rer les expĂ©riences postĂ©rieures Ă la fin des annĂ©es 1970 comme de simple survivances. Quâune rupture soit intervenue entre la fin des annĂ©es 1970 et le dĂ©but des annĂ©es 1980, de nombreux Ă©lĂ©ments semblent aller en ce sens, notamment du point de vue dâune rupture gĂ©nĂ©rationnelle. En revanche, le phĂ©nomĂšne qui se manifeste Ă la charniĂšre entre les dĂ©cennies 1970 et 1980 ne participe encore une fois dâun simple effet de transposition du contexte italien sur le contexte français. Les dynamiques de recomposition qui frappent lâaire de lâautonomie en France semblent plus volontiers faire Ă©cho Ă celles qui touche son homologue germanophone. Ă savoir lâĂ©clatement de lâaire de la gauche extra-parlementaire entre une âvieille gĂ©nĂ©rationâ de militants, pour la plupart actifs depuis la fin des annĂ©es 1960, qui se rallie aux expĂ©rimentations parlementaires qui se forme Ă la pĂ©riphĂ©rie des mouvements Ă©cologistes, et une âjeune gĂ©nĂ©rationâ, majoritairement politisĂ©e pendant la sĂ©quence du Deutsche Herbst, qui refuse lâintĂ©gration au champ politique traditionnel et souhaite retourner Ă des formes dâinterventions intimement liĂ©es aux problĂ©matiques de la vie quotidienne.
Enfin, la troisiÚme et derniÚre raison est que les forces de notre collectif ne permettent pas de se livrer à une analyse plus fine du corpus rassemblé dans cette rubrique.
Source: Archivesautonomies.org