A la demande de sa famille, le Conseil de lâOrdre des mĂ©decins sanctionne deux praticiens jugĂ©s trop indĂ©pendants dans leur mode dâaccompagnement dâune personne en transition de genre.
Le 18 janvier 2021, la chambre disciplinaire du Conseil rĂ©gional dâOccitanie de lâOrdre des mĂ©decins a rendu publique une dĂ©cision rare, qui a provoquĂ© la stupeur et la mobilisation des associations FiertĂ© Montpellier Pride et Angel. Ces deux entitĂ©s oeuvrent en faveur des droits dans le domaine LGBTQI+. La premiĂšre est notamment connue comme entitĂ© fĂ©dĂ©ratrice pour lâorganisation de la Pride annuelle dans les rues de Montpellier. De son cĂŽtĂ© Angel est plus particuliĂšrement une association de jeunesse LGBT+.
Aux termes de la dĂ©cision mentionnĂ©e, deux mĂ©decins montpelliĂ©rains se trouvent sanctionnĂ©s. Lâun, psychiatre, est suspendu dâexercice pour une durĂ©e dâun mois. Lâautre, endocrinologue, pour une durĂ©e de trois mois. Les deux Ă©taient intervenus professionnellement auprĂšs dâune jeune personne â majeure, toutefois â engagĂ©e dans un processus de transition de genre. On protĂšgera lâidentitĂ©, masculine, de celle-ci, en la dĂ©signant sous lâinitiale N.
Lâimplication du Conseil de lâOrdre dĂ©coule de dĂ©marches, connaissant aussi un volet judiciaire, engagĂ©es par les parents de N., Ă lâencontre de personnes lâayant aidĂ© dans sa transition â cela quoiquâil fĂ»t majeur au moment oĂč il a bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâaccompagnement mĂ©dical incriminĂ©. Il est Ă noter que les deux associations prĂ©cĂ©demment mentionnĂ©es, et tout particuliĂšrement Angel, connaissent clairement le parcours de N., quâelles ont reçu au titre de leurs activitĂ©s dâaccueil et dâentraide pour des personnes concernĂ©es par une transition de genre.
Dans un communiquĂ© commun, FiertĂ© Montpellier Pride et Angel dĂ©bordent du seul cas de N. « Cette action disciplinaire [Ă lâencontre des deux mĂ©decins ayant accompagnĂ© N, NDLR] est DANGEREUSE » Ă©crivent les deux associations en mettant en majuscules ce dernier mot, car « elle ouvre la voie Ă de nouvelles plaintes de la part de parents refusant la transition de leurs enfants, elle fait peser un risque sur tous les mĂ©decins ne suivant pas le protocole dĂ©suet et transphobe » aujourdâhui en vigueur pour ce qui concerne les transitions de genre.
Le protocole en cause est celui dit de la SoFECT. Il a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© dans les annĂ©es 80 par des Ă©quipes mĂ©dicales universitaires, puis validĂ© par une circulaire administrative. Or, dans un rapport de 2009, la Haute AutoritĂ© de SantĂ© elle-mĂȘme relevait quâune circulaire est un document dâordre administratif, et non juridique, de sorte que « ce protocole ne repose sur aucune base lĂ©gale ». Mais foin de chicaneries administratives : « La question est que ce protocole est de plus en plus rejetĂ© par les premiers concernĂ©s, qui veulent le voir disparaĂźtre » souligne Olivier VaillĂ©, prĂ©sident de FiertĂ© Montpellier Pride.
Pourquoi rĂ©clamer cette disparition ? « Parce que les personnes en transition se voient soumises Ă psychiatrisation, avec notamment lâexigence dâun suivi de deux annĂ©es sous ce rĂ©gime, avant mĂȘme tout accĂšs aux traitements mĂ©dicamenteux intĂ©ressant leur transformation physique ». Autrement dit, la transition nâest pas abordĂ©e, dans les faits, comme manifestation dâun libre choix. Elle est renvoyĂ©e Ă une suspicion de pathologie, au moment mĂȘme oĂč lâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS) sâapprĂȘte Ă retirer la transidentitĂ© de la classification internationale des maladies.
Au cĂŽtĂ© du prĂ©sident associatif Olivier VaillĂ©, le jeune Alec peut tĂ©moigner, sur la base de sa propre expĂ©rience de transition : « Ce protocole SoFECT impose un parcours prĂ©-tracĂ©, rigide, qui ignore que chaque personne est spĂ©cifique dans son dĂ©sir de transition, lui aussi chaque fois spĂ©cifique. On impose des suivis trĂšs lourds, des traitements prĂ©liminaires inutiles, voire prĂ©judiciables. DerriĂšre ce qui se prĂ©sente au nom dâune vĂ©ritĂ© scientifique neutre, on voit en fait la reconduction dâune conception trĂšs idĂ©ologique, basĂ©e sur le modĂšle binaire dâhommes parfaits dâun cĂŽtĂ© et de femmes parfaites de lâautre ».
La diffusion des Ă©tudes de genre dans la sociĂ©tĂ©, lâaccĂšs facilitĂ© aux informations et aux soutiens grĂące Ă Internet, font craquer ce cadre de toute part. « Et de fait, nombre de mĂ©decins sâaffranchissent des recommandations de ce protocole. Certains par conviction, nâen acceptent pas les attendus. Mais bien dâautres, simplement, se basent sur leurs connaissances, leur expĂ©rience, pour imaginer lâaccompagnement le plus appropriĂ©, en confiance avec la personne qui leur fait appel ».
De fait, le psychiatre quâa consultĂ© N. est plus proche de sa fin de carriĂšre que de ses dĂ©buts. Il est rĂ©putĂ© pour son expertise, de longue date, dans lâaccompagnement de personnes aux parcours transidentaires. En toute conscience professionnelle, il a considĂ©rĂ© que les trois consultations consacrĂ©es Ă N. pendant sur une durĂ©e de deux mois rĂ©pondaient valablement aux attentes et besoins de celui-ci, dont lâaffirmation masculine ne laissait aucun doute ni ne soulevait problĂšme.
Au regard de quoi, les militants sâĂ©tranglent lorsquâils constatent que dans les documents relatifs Ă cette affaire, la Chambre disciplinaire sâobstine Ă recourir au prĂ©nom dâorigine de N., alors mĂȘme que les services de lâEtat-civil ont dument enregistrĂ© sa nouvelle identitĂ© depuis novembre 2018 ! « Câest honteux » sâexclame leur communiquĂ©, Ă propos de ce mĂ©genrage (câest-Ă -dire une dĂ©signation de genre dĂ©libĂ©rĂ©ment erronĂ©e), qui en dit beaucoup sur une visĂ©e au fond discriminatoire.
Il nâest dâailleurs pas inutile de rappeler en quoi consiste le Conseil de lâOrdre des mĂ©decins. Il ne manque pas de praticiens ou usagers de la santĂ© pour en contester lâexistence. Lâargumentation est dâabord historique, le principe des ordres professionnels ayant Ă©tĂ© imposĂ© par le RĂ©gime de Vichy, selon ce versant spĂ©cifique des idĂ©ologies fascistes, qui prĂŽne une mise en ordre sociale sur la base des vieilles corporations professionnelles prĂ©-modernes. Ce premier Conseil de lâOrdre se vautra dans la collaboration avec lâoccupant, notamment sous lâangle antisĂ©mite.
Puis le nouveau Conseil de lâOrdre, Ă partir de la LibĂ©ration, continua dâĂȘtre critiquĂ©, quant Ă son pouvoir rĂ©glementaire indĂ©pendant de lâexercice juridique gĂ©nĂ©ral. A son accession au pouvoir en 1981, François Mitterrand promettait â sans suites â la suppression de pareille « offense Ă la dĂ©mocratie ». On estime souvent que cette instance se conforme au profil souvent conservateur de la profession quâelle encadre, en ignorant les Ă©volutions non conventionnelles dans les pratiques mĂ©dicales, voire en dĂ©fiant les Ă©volutions sociĂ©tales, en sâarcboutant sur une rĂ©glementation dĂ©ontologique corporative. Cela sâest tristement illustrĂ© au moment des grandes luttes sur lâIVG. Et pas que.
On peut analyser dans ces mĂȘmes termes lâattitude aujourdâhui adoptĂ©e en matiĂšre transidentaire. Il est probable que les mĂ©decins sanctionnĂ©s Ă Montpellier fassent appel de la dĂ©cision les frappant. Ils disposaient dâun mois pour ce faire (Ă partir de la dĂ©cision connue le 18 janvier). Quant aux associations militantes, elles ont lancĂ© une pĂ©tition. Elles demandent que le ministre de la santĂ© sâoppose Ă la dĂ©cision incriminĂ©e, quand celle-ci lui parviendra, et quâil aura alors le moyen juridique dâinterfĂ©rer.
Fondamentalement, « nous demandons lâabandon du protocole SoFECT, et la mise en place dâun nouveau dispositif, qui soit strictement dĂ©-psychatrisĂ©, et qui mette au centre lâautonomie de la personne dans le choix du type dâaccompagnement mĂ©dical lui convenant le mieux ». Clairement, « la transidentitĂ© nâest pas une maladie ».
Source: Lepoing.net