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A la recherche de l’historiographie anarchiste en Belgique – Ici et maintenant

A la recherche de l’historiographie anarchiste en Belgique



Rédigé par ici et maintenant

28 mars 2022

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Après
la
découverte du Mundaneum de Mons, et en particulier de son
fonds documentaire anarchiste,
nous
poursuivons notre entretien en compagnie de
Jacques
Gillen. Historien,
collaborateur
du
Centre d’histoire et de sociologie des gauches, il a travaillé
sur l’histoire de l’anarchisme belge, en particulier sur
la colonie
L’Expérience,
fondée par Émile Chapelier et Eugène-Gaspard
Marin en 1905. Ce dernier avait tenu une sorte de journal de bord que
Jacques Gillen a pu consulter pour réaliser son mémoire.
Il a également eu l’opportunité de questionner la
seconde compagne d’Eugène-Gaspard Marin, âgée
de plus de 90 ans à l’époque. Nous avons souhaité
aborder avec lui la question de l’historiographie anarchiste en
Belgique.

Jacques
Gillen, en tant qu’historien, vous êtes l’auteur de
« Les anarchistes en Belgique »
.
Est-ce une impression ou les mouvements anarchistes belges n’ont
pas fait l’objet de nombreuses recherches du point de vue de
l’histoire et de l’histoire politique ?

Beaucoup
de choses ont été dites au sujet du mouvement
anarchiste en Belgique, jusqu’en 1914. Je fais bien entendu
allusion à l’ouvrage de Jan Moulaert, qui demeure une
référence en la matière. Il a réalisé
un travail très précieux. Par contre, pour la suite,
c’est beaucoup plus fragmenté… à part un
ou deux mémoires de fin d’étude (
master) :
celui de Didier Karolinsky

axé sur l’entre-deux guerres, et celui de Nicolas
Inghels

[
accessoirement, un
fidèle compagnon du groupe Ici & Maintenant ! NDLA
]
qui couvre la période de 1945 à 1970. Ces deux mémoires
ne s’intéressent pas à tout le mouvement
anarchiste, ils ne sont pas publiés et mériteraient
d’être complétés. Bien que de qualité,
ces travaux restent parcellaires et, en outre, ils commencent à
dater. En-dehors de cela, il existe quelques articles épars,
mais c’est tout…

C’est
finalement un volet de l’histoire politique et sociale belge
assez peu traité, dirait-on…

Il
convient d’emblée de faire trois remarques. La première,
c’est la question des sources. Jusqu’en 1914, on est
relativement bien documenté, parce qu’il y a pas mal de
journaux anarchistes en Belgique, il y a les fameux dossiers de la
police, à Bruxelles et à Liège en particulier,
les dossiers des étrangers… Bref, il y a quand-même
matière à étudier le mouvement anarchiste belge,
notamment aussi grâce aux quelques fonds documentaires dont
nous disposons (comme ici, au Mundaneum). Par contre, à partir
de l’entre-deux guerres et encore plus à partir de 1945,
en termes de sources archivistiques, ça se réduit à
peau de chagrin !… D’abord parce qu’il y a
beaucoup moins de publications. En forçant le trait, disons
qu’en-dehors de
Pensée
et action
et
d’
Alternative
libertaire
, il y a
tout au plus quelques rares publications sporadiques. Bien-sûr,
nous disposons des archives de Hem Day, mais ce n’est pas
suffisant pour dresser un tableau complet de l’anarchisme en
Belgique. En Flandre, à ma connaissance, ce n’est pas
très différent.

La
deuxième remarque est liée à une tendance qui
voit le jour à l’issue de la Première Guerre
mondiale : lorsque le conflit éclate, le mouvement
anarchiste se divise. Il y a celles et ceux qui vont refuser la
guerre, quel que soit le prétexte, et d’autre part, il y
a celles et ceux qui vont prendre parti pour la guerre, afin de
lutter contre un impérialisme qui représente un danger
bien pire que la pseudo-démocratie parlementaire. Au sortir de
la guerre, le mouvement anarchiste est éclaté et il a
bien du mal à renaître de ses cendres. Il y a bien
quelques tentatives de regroupements qui ont lieu mais ces tentatives
ne sont jamais durables. Bref, il n’y a plus de mouvement
anarchiste organisé, fort, actif, comme il avait pu l’être
à certains moments avant 1914. Par ailleurs, peu avant la fin
de la Première Guerre, la Révolution russe éclate
et dans son sillage va naître le Parti Communiste. Le Parti
Communiste va désormais rallier beaucoup d’anarchistes.
L’effectif même des anarchistes diminue donc
considérablement durant l’entre-deux guerres. Resterait
la difficulté d’identifier les anarchistes infiltrés,
actifs au sein du mouvement syndical : leur nombre est
probablement impossible à chiffrer… Difficile également
de faire la part de ceux qui avaient un penchant révolutionnaire
et ceux qui étaient anarchistes conscients.

Après
1945, dans les années 60 et 70, il y a une résurgence
des idées libertaires, notamment avec mai 68 et ses
conséquences, l’influence du mouvement Provo (venu des
Pays-Bas)… Quelle est la part d’anarchisme dans l’un
et l’autre cas, on pourrait en discuter… En tout cas,
ces phénomènes sont plutôt limités dans le
temps et seul le journal
Alternative
Libertaire
aura une
activité vraiment pérenne, durant 30 ans, de 1975 à
2005.

Il
y a d’ailleurs eu un groupe de la FA qui a porté ce nom,
en marge du journal, de 2000 à 2007 environs. On pourrait
presque dire qu’il y a une « génération
Alternative Libertaire » en Belgique, qui a eu
connaissance de l’anarchisme par les publications et les
affiches de ce journal.

Sans
doute, oui ! En tout cas, c’est une des seules sources un
peu durables dont nous disposons après la Seconde Guerre
mondiale.

On
pourrait presque dire, en forçant le trait, qu’en
Belgique, il y a des anarchistes mais pas de mouvement anarchiste…

Oui,
et c’est assez vrai même avant la Première Guerre,
période durant laquelle le mouvement anarchiste belge est le
plus fort (toute proportion gardée), et même si le
mouvement anarchiste était bien présent jusqu’en
1914 et conservait une certaine influence dans le milieu ouvrier. Cet
ancrage ouvrier, on continue de le trouver dans l’entre-deux
guerres au sein du syndicalisme révolutionnaire. On peut
supposer qu’au sein des différentes tendances du Parti
Communiste, les anarchistes ont dans certains cas réussi à
infléchir la tendance plus révolutionnaire !…
Mais après la Première Guerre mondiale, on ne
retrouvera plus cette capacité à rassembler des
centaines de personnes au cours de meetings anarchistes. Il y en a eu
beaucoup avant 1914, à Bruxelles, à Liège, à
Verviers. Les anarchistes avaient une certaine popularité, à
n’en pas douter !

Les
anarchistes belges semblent avoir eu du mal à s’organiser
à grande échelle après la Première
Guerre…

Il
y a bien eu quelques tentatives entre les deux guerres mais rien n’a
abouti. Au demeurant, ce fut aussi le cas durant cet « âge
d’or » d’avant 1914 !… Les
tentatives pour s’organiser selon une structure fédérale
n’ont tenu que quelques années, au mieux. Très
vite, des conflits d’intérêt ou des divergences de
point de vue ont ruiné les efforts des groupes anarchistes de
se rassembler en fédération. Dans le cas de Georges
Thonar, par exemple, il y a aussi une dimension de conflits
interpersonnels qui vient s’ajouter. Sa volonté tenace
de fonder une organisation anarchiste a éveillé la
méfiance, pour ne pas dire davantage, de nombre de compagnons
anarchistes. Beaucoup de ces figures demeurent assez méconnues,
même si Thonar, Émile Chapelier (l’un des
fondateurs de la colonie L’Expérience) et surtout Hem
Day, sont assez emblématiques.

Jacques
Gillen, vous évoquiez au début de l’interview
trois remarques à faire expliquant le faible traitement du
mouvement anarchiste en Belgique… Nous en avons évoqué
deux. Quelle est la troisième ?

Eh
bien c’est tout simplement le manque d’intérêt
des historiens ou des facultés pour ce type de sujet. Il y a
eu une période où l’histoire des gauches était
en vogue mais cela tend à disparaître. Encore que ce ne
soit pas aussi global : les universités de Liège
et de Gand restent très actives sur ce sujet. L’ULB, en
revanche,

est beaucoup
moins active qu’auparavant sur ce terrain de recherche. Et
toujours est-il que ce sont les facultés d’Histoire qui
suscitent les sujets sur lesquels on travaille.

On
pourrait également se questionner sur un éventuel
intérêt du public pour ce sujet. Ce n’est pas
évident à cerner même si, en réalité,
je pense qu’une histoire de l’anarchisme en Belgique
pourrait rencontrer un certain succès. On peut observer un
retour de certaines idées « anarchistes »
(avec de gros guillemets !…) : des initiatives à
caractère collectif, égalitaire, coopératif…
Sans être proprement anarchistes, elles manifestent tout de
même une proximité avec les idées libertaires, la
plupart du temps sans le savoir. En tout cas, il y aurait un gros
travail à faire pour démonter les stéréotypes,
qui ont la peau dure, de l’anarchiste violent et opposé
à toute forme d’organisation. Pour ce qui est de
favoriser l’accès du public à ce type
d’information, le Maitron en ligne est accessible intégralement
et gratuitement. Je collabore d’ailleurs à la partie
traitant plus spécifiquement de l’anarchisme en
Belgique, le DBMOB (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en
Belgique).

Propos
Recueillis par Christophe, du groupe Ici & Maintenant

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Source: Ici-et-maintenant.group