Une premiĂšre journĂ©e de grĂšve, Ă lâappel de la CGT, pour les hospitaliers aprĂšs le SĂ©gur de la santĂ©
Une cinquantaine dâemployĂ©s du Centre hospitalier universitaire de Montpellier ont passĂ© le temps du dĂ©jeuner, ce jeudi midi, sous les fenĂȘtres du Centre Benech, Ă lâhĂŽpital Lapeyronie. Lequel abrite lâadministration qui gĂšre les onze mille agents travaillant au service du plus gros employeur de la ville. La CGT avait appelĂ© Ă une journĂ©e de dĂ©brayage des âhĂ©ros essentiels de lâannĂ©e 2020â (selon ses propres termes, teintĂ©s dâhumour noir).
On est Ă prĂ©sent en janvier 2021. Le COVID est toujours lĂ , pour Ă©craser certains services. Mais il faut aussi compter avec Chronos, pour pourrir lâambiance de ce dĂ©but dâannĂ©e. Chronos est un logiciel, dont la direction hospitaliĂšre vanta les qualitĂ©s de toute confiance quâil allait permettre dâinstaller dans la gestion des temps de travail des personnels, et leur rĂ©munĂ©ration correspondante, au moment de sa mise en service. Sauf que patatras : pour la deuxiĂšme annĂ©e consĂ©cutive, un bug fait que 104 000 heures de travail sont rĂ©clamĂ©es Ă 2500 agents environ, qui seraient un trop-perçu !
Soit environ une semaine entiĂšre de temps de travail supplĂ©mentaire, que ces personnels devraient effectuer cette annĂ©e, pour rĂ©parer la soit disant erreur informatique, dâun systĂšme qui leur reste en grande partie opaque. En matiĂšre de confiance, comme de reconnaissance des efforts exceptionnels consentis par temps de COVID, on imagine meilleure façon dâattaquer lâannĂ©e. Cette bavure technologique a Ă©tĂ© lâoccasion de rappeler un chapelet dâinsatisfactions et dâirrĂ©gularitĂ©s touchant au temps de travail.
Il en va des soldes positifs finaux, qui ne sont pas reconvertis en heures supplĂ©mentaires rĂ©munĂ©rĂ©es, mais en repos compensateurs (« on va troquer un jour de NoĂ«l travaillĂ© loin des enfants contre un mardi anonyme en pleine semaine de fĂ©vrier » citait en exemple RĂ©my Ruiz, lâun des responsables syndicaux). Il en va des temps de dĂ©shabillage-rhabillage non comptĂ©s, qui finissent par totaliser plusieurs journĂ©es. Et encore les temps de dĂ©passement pour les nĂ©cessitĂ©s de service, qui font pschitt en-dessous de quinze minutes. ParticuliĂšrement lourd : un dimanche sur deux est travaillĂ©, quand la loi nâen prĂ©voit quâun sur trois. Etc.
Chaque exemple peut paraĂźtre en lui-mĂȘme mineur. Au total des mises bout Ă bout, la portĂ©e symbolique est considĂ©rable, pour des mĂ©tiers de lâattention et du sacrifice sans compter, sur lesquels on a voulu broder toute une phrasĂ©ologie de lâhĂ©roĂŻsme. Le mĂȘme RĂ©my Ruiz rĂ©cuse fermement ce terme, manipulateur et galvaudĂ©. Dans un dĂ©veloppement trĂšs nourri, Ă teneur quasi philosophique, il a dĂ©fendu au contraire la notion de « mission » mais alors en lui confĂ©rant un sens extrĂȘment fort : « Ne plus rien ressentir face Ă la dĂ©tresse et la mort, câest cesser dâĂȘtre humain. Câest dans la lutte quotidienne pour rester humain [auprĂšs des patients] que rĂ©side la pĂ©nibilitĂ© du service hospitalier ».
Câest celle-ci qui mĂ©rite dâĂȘtre honorĂ©e. On parle dâhonneur ? Câest donc lâoccasion dâexaminer la liste des rĂ©cipiendaires de la derniĂšre promotion de la LĂ©gion dâhonneur au CHU du Montpellier : « Sur 11 000 agents, aucun salariĂ© du rang [parmi les rĂ©cipiendaires de la dĂ©coration]. Exclusivement des chefs de service et des directeurs. Exclusivement des hommes, quand 80 % des effectifs sont des femmes ». De quel honneur faut-il donc parler, si on considĂšre que les 800 000 heures de travail en excĂšs effectivement dĂ©comptĂ©s par le fameux Chronos, « reprĂ©senteraient les 450 postes supplĂ©mentaires Ă crĂ©er, dont les services ont besoin ».
A dĂ©faut de LĂ©gion dâhonneur, il se sera donc distribuĂ© des primes COVID inĂ©galitaires, des revalorisations SĂ©gur « qui nâont fait que compenser partiellement les baisses de rĂ©munĂ©ration accumulĂ©es Ă travers le gel des salaires pendant des annĂ©es antĂ©rieures ». Dans cet univers de mĂ©dailles en chocolat, il faut encore remarquer « quâen percevant la revalorisation du SĂ©gur, les plus pauvres des agents y ont perdu leur prime dâactivitĂ©, et se retrouvent encore plus pauvres ».
Il nây a pas de hĂ©ros, mais des travailleurs accomplissant leur mission. Cette mission doit ĂȘtre honorĂ©e. « Mais lâhonneur, ça ne rapporte rien. Nous ce quâon veut, ça nâest pas de lâhonneur. Câest de la justice » a conclu lâorateur. Et de se diriger vers une stĂšle de carton appelant Ă la âmort de Chronosâ. Au pied de celle-ci, il a dĂ©posĂ© le premier stĂ©toscope de son dĂ©but de carriĂšre, alors chargĂ© de beaucoup dâespoir, dâhonneur et de dignitĂ©. Il y a rajoutĂ© sa blouse dâinfirmier. Y a mis le feu. Brasier des vanitĂ©s.
Source: Lepoing.net